jeudi 9 mai 2013

Venezuela, l'assassinat de Sabino Romero sans suite ?

Au Venezuela,
 le meurtrier 
d'un chef Amérindien 
court toujours

Par Rachael Petersen -Traduction de Marie Andre

Deux mois après l’assassinat au Venezuela de Sabino Romero, le chef des Amérindiens Yukpa, les activistes et les membres de sa communauté demandent pourquoi le meurtrier n'a toujours pas été retrouvé. Le dimanche 3 mars 2013, le responsable indigène Sabino Romero a été abattu dans l'Etat de Zulia, à l'ouest du Venezuela. Deux hommes en moto se sont approchés de la voiture de Romero et ont tiré, tuant le cacique et blessant sa femme. Il est mort peu de jours avant le décès de l'ancien Président du Venezuela, Hugo Chavez. 

Certains ont craint que la mort du président n'ait éclipsé la procédure d'enquête. Foro por la Vida, une des organisation de défense des droits humains les plus en vue du Venezuela, a réclamé une “instruction exhaustive, transparente et rapide” pour trouver le responsable de l'assassinat.

Des sources ont très rapidement soupçonné qu'un tueur à gages avait été recruté. Romero était un chef emblématique dans le conflit qui dure entre les propriétaires terriens, les exploitants de ranchs et les indigènes de Zulia. Il s'était fait le défenseur de la délimitation des terres ancestrales des Yukpa et manifestait contre les projets de mine de charbon dans les montagnes de Perija, à la frontière colombienne.

Près de deux mois après sa mort, aucun suspect n'a été reconnu inculpé de l'assassinat. Les activistes et des groupes de la communauté ont organisé une manifestation le 24 avril 2013 au Centre Culturel du Parc Central de Caracas, afin de relancer les recherches de la justice.

L'événement, appelé “El legado indocampesino: Homenaje al Cacique Sabino en Caracas” (L'héritage indien et paysan : hommage au chef Sabino à Caracas), a réuni des artistes, des musiciens, des écrivains et des activistes pour commémorer la vie de Sabino Romero. Le site d'information alternatif vénézuélien Apporea a publié des photos de l’événement sur son blog. Comme ils le font remarquer, on ne sait toujours pas qui a commandité l'assassinat de Sabino.

Sur son blog, le Bureau d'Amérique Latine donne une explication possible du le retard de la justice, citant Lusbi Portillo, depuis longtemps allié des Yukpa et coordinateur de l'ONG Société Homme et Nature :

Le CICPC (Service des Investigations Scientifiques, Pénales et Criminelles) poursuit ses investigations sur la mort de Sabino mais la police et les éleveurs des ranchs perturbent le processus. Chaque fois qu'ils arrêtent quelqu'un pour l'interroger, la police et les éleveurs se mettent à manifester, ils barrent les routes et brûlent des pneus. Et chaque fois que quelqu'un est interrogé il y a du raffût.

Le blog VenezuelaAnalysis.com cependant, un blog politique vénézuélien indépendant, rapporte qu'un comité de dix-sept Yukpas a rencontré le Ministre des Affaires Etrangères, Elias Jaua, le 25 mars 2013. Juau a promis de payer les Yukpa d'ici à soixante jours afin qu'ils puissent habiter leurs terres.

Trinchera Creativa (@TrincheCreativa) un collectif d'arts graphiques a été le premier à twitter une photo de Sabino Romero avec pour légende: Combien faut-il tuer de chefs pour que la justice vénézuélienne se réveille et condamne les meurtriers?
 
Associated Press rapporte au moins huit assassinats au sein de la tribu Yukpa ces dernières années, en général en raison de conflits sur les droits à la terre. En 2008, José Manuel, le père de Sabino, un Indien Yukpa centenaire a été battu à mort. Certaines sources rapportent actuellement que la fille de Romero craint [anglais] elle aussi pour sa vie en raison de ses activités en faveur de la défense du peuple Yukpa et ajoutent qu'en 2012, son “frère a été assassiné après qu'on lui a arraché les yeux avec du fil de fer. A ce jour personne n'a été puni pour ce crime.”

Les Yukpa se battent depuis des années pour réclamer le droit ancestral à leurs terres actuellement occupées par les éleveurs des ranchs et les  exploitants agricoles. Lusbi Portillo tient depuis longtemps un blog sur Soberania.org où il raconte régulièrement les luttes des Yukpa depuis 2004.

Malgré la propagande officielle du gouvernement en faveur des populations indigènes, peu de choses ont été faites pour délimiter les territoires indigènes. Sur leur blog, Foro por la vida note que seulement 3% du territoire Yukpa a actuellement été délimité.

En 2008 lors d'un épisode de l'émission “Aló President,” l'ex-président Hugo Chavez a fait la déclaration suivante en faveur des Yukpa :

“Qu'il n'y ait pas de malentendu : entre les propriétaires terriens et les indiens, le gouvernement est pour les indiens… cela ne fait aucun doute… Les Yukpa doivent être protégés par le gouvernement, par les forces armées et par l'Etat… ces terres ont été occupées par les Yukpa pendant très longtemps, elles leur ont permis de gagner leur vie en produisant de la viande et du lait. Ils ont été chassés de leurs terres. Et je ne parle pas de la conquête espagnole, je parle des trente dernières années… Maintenant nous avons une révolution. Les forces armées, les services de renseignements et le gouvernement soutiennent tous les peuples indigènes… Une commission de délimitation des terres a reçu une feuille de route. Ils vont marquer les délimitations [du territoire] car c'est dans la constitution et c'est la loi.”

On peut voir la déclaration complète sur la vidéo ci-dessous:



Marino Alvarado, le directeur de l'organisation vénézuélienne de défense des droits humains PROVEA, fait remarquer que la lutte des Yukpa dépasse le discours officiel contre les propriétaires terriens et concerne les programmes miniers dans la région:

Le combat que menait Sabino Romero était contre le modèle de développement basé sur l'industrie extractive énergétique. La délimitation [du territoire Yukpa] était paralysée non seulement par la “pression de l'oligarchie des propriétaires terriens” - comme l'affirme une certaine propagande officielle - mais aussi parce que sur les territoires indigènes de tout le pays il y a des ressources déjà vendues.

Selon le Groupe de Travail International sur les Affaires Indigènes (IWGIA), le Venezuela compte environ plusieurs dizaine de milliers d'amérindiens répartis en 40 groupes différents. 


La constitution de 1999 reconnaît explicitement la nature multi-ethnique du pays et comporte des clauses qui encouragent la participation des populations indigènes à tous les niveaux de la politique. Le Venezuela a par ailleurs ratifié plusieurs mesures internationales en faveur des droits des indigènes dont  la Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail [français] et  la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes [français].




La législation nationale compte la  loi organique sur la délimitation et les garanties pour l'habitat et les terres des peuples indigènes et la loi organique sur les peuples et les communautés indigènes (LOPCI).

Cependant, les relations entre le gouvernement et les peuples indigènes restent paternalistes, ignorantes des besoins locaux et des structures de prise de décisions. Le manque de progrès en faveur des droits des indigènes -et tout particulièrement la délimitation des territoires indigènes- a provoqué la mobilisation de groupes contre le gouvernement. 


Les Yukpa attendent de voir si justice va leur être faite pour l'assassinat des leurs et la confiscation de leurs terres ancestrales.


Articles en relations sur le blog Libres Amériques :
  1. Venezuela, assassinat du chef Yupka Sabino Romero
  2. L'état vénézuélien complice de la mort de Sabino Romero 

Source : Global Voices