mardi 19 novembre 2013

Colombie, assassinat de César Garcia opposant à «La Colosa»

Le «fou» qui s'opposait 
à « la Colosa »
(Mine d'or de l'Anglo-Gold Ashenti)

Par Carolina Gutierrez Torres - Traduction et notes de Libres Amériques

Avec l'assassinat de Pédro César Garcia Moreno, l'un des plus grands détracteurs de la présence du mégaprojet minier « La Colosa » à Cajamarca, la peur s’est emparée des responsables paysans du département du Tolima en Colombie. César García, surnommé le Fou, a toujours été à la tête des manifestations. Il allait avec un drapeau de la Colombie scandant « oui à la vie, et non à la mine », et criant « si la campagne ne produisait pas, la ville serait affamée », et les gens s’enthousiasmaient et reprenaient les slogans. « El Loco » était toujours souriant et il avait un pouvoir d'attraction que tous reconnaissaient.

Avant chaque journée de manifestations, César allait de ferme en ferme pour encourager ses voisins du village de Cajon La Leona, d’Anaime - Cajamarca, du Tolima, pour qu’ils sortent dans les rues pour rejeter l'exploitation minière à grande échelle voulant s’emparer de leurs terres.

César pouvait rassembler des foules. Et il en fut de même le jour de ses funérailles. Ils auraient été près de 1500 personnes à l’accompagner. Le « Fou » était parti après avoir reçu une balle dans la tête et il a fallu qu’il parte. Avec des mariachis et la foule.

« Cesar Garcia a été assassiné, l'opposant au mégaprojet minier la Colosa », ont titré les rares médias ayant mentionné la mort du « Fou ». Il n'était plus possible de dissocier son nom de la mine, quatre ans plus tôt, il s’était déclaré être son plus solide détracteur.

César Garcia avait protesté contre la participation de la multinationale AngloGold Ashanti (Afrique du Sud), il avait rejeté leurs demandes d'extraire environ 24 millions d'onces d'or dans les montagnes, fournissant de l'eau et des aliments.

Le samedi 2 Novembre 2013, ils ont tué « El Loco »

César était sur un chemin de halage en direction de sa maison, monté sur une mule. Quelques pas devant, à pied, l’accompagnait sa fille Erica Natalia, de 9 ans, et derrière lui son épouse, Mary Luz Amaya, également sur ​​une mule.

Seuls ont été entendus un coup de feu sec et le bruit que Garcia fit en tombant de l’animal. Il est mort instantanément. « Quand je lui ai fermé les paupières ... les yeux déjà ne répondaient plus », a expliqué Mary Luz au son de sa voix calme, sonnant avec courage.

Aucune autorité ne lui a apporté assistance  - a-t-elle raconter -, seul un supérieur de la police a ordonné de faire la levée du corps. Il a demandé que la « procédure » se fasse en la présence de la Vice-présidente du Comité d'Action communale du village de Cajon La Leona. Que présidait César Garcia Moreno.

Mary Luz a fait seulement un appel, « Maman, ils ont tué César ! », et immédiatement la voix s'est propagée dans toute la région. Amis, famille et voisins ont commencé à arriver peu à peu sur les lieux, jusqu’à atteindre quelques centaines, a relevé Mary Luz. Et tous, comme dans une procession, ils ont accompagné le corps pendant une demi-heure pour trouver une voiture et l'emmener à Anaime - Cajamarca.

Deux jours après, les obsèques se sont tenues. Des funérailles populaires avec des mariachis, des larmes, et une peur latente parmi les autres responsables (paysans), qui se demandaient qui serait le prochain.

« Je vais vous dire ceci : ni les plus riches ni le plus nombreux de Anaime - Cajamarca ne peuvent avoir un enterrement comme celui de César. Il était un personnage très important pour la région », pour son meilleur ami Victor Rodriguez, qui le connaissait « depuis tout petit », voyant en lui « comme un fils ». 

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Ce samedi Novembre 2 il était sorti pour semer « des plants de Nacedero » (1). « Des plantations dont les racines ne pouvant assécher l'eau », expliqua Mary Luz. Ils étaient en train de parler de la fête costumée qui aurait lieu le lendemain, de comment les gosses seraient heureux, « il voulait se déguiser en Antioqueño et moi (avec le costume) de Boyaca ». Les gosses sont leurs deux enfants, Erica Natalia et Juan Felipe, 4 ans, et il existe un troisième de plus, depuis deux ans à leurs soins, parce que leurs parents ne pouvaient pas en assumer la charge.

Pour ses enfants César García n’en faisait jamais assez. C'est ce que disent ses amis, il était un père, et un fils dévoué. « Imaginez-vous, petite madame, quelle tristesse de voir partir un garçon qui répondait (aux besoins) de deux foyers : de ses enfants et de ses parents », a  déploré Victor Rodriguez. S’il déplore la mort de García, c’est que cela signifie la solitude absolue pour sa femme, ses cinq enfants et pour ses parents ayant déjà de plus de 90 ans et qui dépendaient de lui.

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Le 3 Juin 2011, une « marche de carnaval » avait défilé dans les rues de la ville d’Ibague avec pour slogan « Non à l'exploitation minière, oui à la vie ». Pour la première fois les habitants de Anaime - Cajamarca, d’El Espinal et des autres communes du Tolima s’étaient unis pour s’opposer catégoriquement à l'exploitation minière (depuis 2007 Anglo-Gold Ashanti avait annoncé la découverte de réserves d'or de « la Colosa » et aujourd'hui se poursuivant par étapes d'exploration).

« De manière massive et avec des exercices artistiques, nous avions voulu signaler que le modèle d'exploration que l’on veut nous imposer, va nous voler les possibilités d’un futur pour nos enfants », a déclaré Alexander Renso, membre du Comité environnemental de défense de la vie à Ibague.

Lors de ce premier carnaval, Alexander Renso avait rencontré César Garcia, « El Loco » qui avait à ses frais la décoration de la Jeep qui défilait, chargée de bananes, de fruits de la passion, et autres fruits de la région.

« L'idée était de montrer que la sécurité alimentaire serait également en danger. ». Pour Renso « l’ami César García était un des leaders charismatiques de la région. »

Pour Jimmy Torres, président de Conscience Citoyenne, « il était toujours à la recherche d’un sentiment de joie dans la vie ». Et pour Mary Luz Amaya, sa femme, «  il était d’une joie imperturbable qui tomba amoureuse quand elle l'a rencontré : elle avait 12 ans et lui environ 21 ans. Deux ans plus tard ils ont commencé à vivre ensemble et cela a duré 14 ans. Vivant de ce que produisait la terre.

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« Depuis qu’est arrivée (la multinationale) Anglo-Gold Ashanti, (la région d’) Anaime -Cajamarca s’est soumise à un silence collectif - a signalé - Viviana Sanchez, journaliste indépendante, membre de Conscience Citoyenne.

D'abord, parce que personne ne savait rien au sujet de l'exploitation minière (ayant toujours été une région agricole et non pas minière), et, deuxièmement, par peur ». Pour briser le silence est né les réseaux des comités environnementaux et paysans du Tolima, dont faisait partie César García.

Le réseau vient de terminer une lettre adressée au Défenseur du Peuple, au ministère de l'Intérieur, au Procureur et au gouvernement local, leurs demandant une enquête sur l'assassinat de César Garcia Moreno. Leurs demandant que soit fournit une protection aux autres responsables.

« Ce que j'ai ressenti le jour où j'ai appris sa mort ? Imagine-toi. Tout d'abord, j'ai eu peur, je me suis demandé qui pouvait lui succéder, César étant une personne tellement représentative de la communauté. Puis, j'ai senti de la douleur, de la colère ... Et aussi... de l’anxiété ... et de la peur » a expliqué Jimmy Torres.

Le jour même, où a été tué « El Loco », l’entreprise minière Anglo-Gold-Ashanti a publié un communiqué public dans lequel « elle regrettait » sa mort, et exprimait « ses condoléances aux familles, amis et connaissances », et signifiait son « rejet énergique face aux manifestations de violentes de toutes natures ». 

Et l’entreprise minière a déclaré, qu'elle était « respectueuse de toutes les opinions et des positions juridiques, même, celles qui expriment une opposition respectueuse à l'exploitation de la mine ». De plus il a été également demandé au Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme « d’identifier les auteurs ».

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Qui a tué « El Loco » ? « Non, non, non je ne sais pas quoi dire ... Il existe beaucoup de commentaires, mais pour des questions de sécurité, vous savez, il est préférable de rester en veilleuse (ou silencieux)... Vous voyez ce que je veux dire ? » . Par mesure de sécurité, aussi, nous avons omis le nom, de qui a fait cette déclaration.


Complément d’information de Projet Accompagnement Solidarité Colombie :


Le texte d’origine provient du site La silla Vacia (La chaise Vide), il a a été rédigé en espagnol par Rodrigo Rojas

Anaime se situe dans la localité de Cajamarca, dans le département de Tolima, près d'un canyon bordant les landes en danger d'extinction de la Cordillère Centrale. C'est une abondante source d'eau qui donne naissance aux rivières qui approvisionnent le département de Tolima. C'est la terre de paysans robustes qui aiment la nature, et c'est le cœur de la résistance contre le projet d'industrie minière La Colosa, par Anglo Gold Ashanti.

Pedro César García était un paysan originaire de là-bas, Président de l'Assemblée d'Action Communale et membre de la Conscience Paysanne, un mouvement créé il y a trois ans pour défendre son territoire des effets et problèmes générés par les mégaprojets miniers. Il a été assassiné devant son épouse et sa fille de 9 ans le samedi 4 novembre, et accompagné par plus de 2000 personnes à son ultime demeure lundi dernier.

Le mardi 5 novembre 2013, a également été enterré José Antonio Ramírez, surnommé El Boyaco. C'était un humble chauffeur de Cotracaime, l'unique entreprise qui se mobilise dans ces montagnes. Le 25 octobre, alors qu'il emmenait dans sa jeep une équipe de commission de l'Institut Géographique Agustín Codazzi, il a été attaqué avec un engin incendiaire qui l'a tué et a aussi blessé un fonctionnaire. Ils travaillaient sur les délimitations des zones de landes avec l'Institut Von Humboldt.

Ce sont les martyres anonymes d'une confrontation à grande échelle qui se crée dans le pays et dont les conséquences n'ont pas terminé d'être rendues visibles dans le pays. C'est la confrontation de paysans enracinés dans leur vocation et leur terre ancestrale, qui résistent à être déplacés et abandonner le labeur que leur ont enseigné leurs ancêtres: l'agriculture. Ils ne veulent pas de l'industrie minière dans leurs fermes, ils ne veulent pas voir disparaître les rivières et les montagnes et voir leur vie changer dramatiquement.

De vraies garanties doivent être données au vaillant village d'Anaime et à Cajamarca qui pleurent aujourd'hui leurs morts, pour exprimer leurs luttes et continuer leurs cultures fruitières.

En ce moment de douleur et d'incertitude, il y a une prière autochtone, qui exprime l'espérance de victoire face à la mort: 

"Ne t'approches pas de ma tombe en sanglotant. Je ne suis pas là. Je ne dors pas là. 

Je suis comme mille vents qui soufflent. Je suis comme un diamant dans la neige, brillant. 

Je suis la lumière du soleil sur le grain doré. Je suis la douce pluie de l'automne attendu. 

Quand tu te réveilles dans le matin tranquille je suis la volée d'oiseaux qui gazouillent. Je suis aussi les étoiles qui scintillent pendant que la nuit tombe à ta fenêtre. 

Pour tout cela, ne t'approches pas de ma tombe en sanglotant. Je ne suis pas là. Je ne serai jamais mort."

Note :

(1) Le « Nacedero » est un arbuste et une plante médicinale.


Source : le journal El Espectador (Colombie)