mardi 12 novembre 2013

Colombie, grands projets miniers et violences contre les femmes

Les grands projets 
de développement aggravent 
 les risques pour les femmes défenseures des droits humains




Par Katherine Ronderos
 
Les menaces contre les dirigeantes et  dirigeants locaux et contre les femmes défenseures des droits humains continuent de faire partie de la stratégie d’intimidation appliquée par les acteurs du conflit armé en Colombie. Le Réseau du Cauca pour la vie et les droits humains (Red por la Vida y los Derechos Humanos del Cauca) dénonce, dans son rapport sur la situation des droits humains dans la région du Cauca 2012, que les menaces visent des dirigeantes de communautés autochtones  ainsi que des femmes défenseures engagées dans la défense de l’environnement et des paysans.

Le 30 septembre 2013, Adelinda Gómez Gaviria, femme défenseure et dirigeante paysanne, a été assassinée près de chez elle, dans la commune de Almaguer, région du Cauca en Colombie. 

Gómez Gaviria rentrait chez elle avec son fils de seize ans, après avoir assisté à une réunion d’un comité local de femmes, lorsqu’elle a été abordée par deux inconnus. 

Elle a été atteinte de cinq coups de feu et est décédée, alors que son fils se trouve dans un état critique dans un hôpital de la ville de Popayán. Gómez Gaviria a consacré sa vie à la communauté et travaillait au sein du Comité de Integración del Macizo Colombiano (FundeCIMA) dans le cadre du Proceso de Mujeres Maciceñas(Processus pour les femmes du massif colombien du Comité d’intégration du massif colombien).

Dans une entrevue accordée à l’AWID, une représentante de FundeCIMA nous a parlé du rôle actif joué par Gómez Gaviria dans l’organisation d’une réunion sur l’environnement et l’industrie minière tenue à Almaguer en février 2013, pour analyser l’impact des entreprises minières liées à l’extraction de l’or dans sa région et proposer une opposition collective contre les projets miniers illégaux et de grande ampleur. 

Bien qu’un mois avant son assassinat, Gómez Gaviria avait reçu des menaces téléphoniques anonymes lui disant « Arrêtez de vous mêler de ces affaires de mines,  c’est risqué et vous allez vous faire tuer », elle n’a pas prêté attention à la menace, car elle ne se considérait pas comme un personnage public, comme d’autres femmes défenseures de la région.

La région du Cauca s’oppose à l’extraction de ses ressources naturelles, en particulier de l’or, qui suscite la convoitise des grandes sociétés transnationales d’investissement de capitaux dans la région, et dénonce le nombre croissant de concessions minières accordées à l’exploration et à l’extraction. 

Selon le rapport sur la situation des droits humains dans la région du Cauca 2012, le Service colombien de géologie a reçu 510 demandes de permis, qui correspondent à 25 % de l’ensemble des terres de la région accessible aux multinationales, et a octroyé 248 permis (11.5%) d’extraction minière.

L’essor de l’exploitation minière en Colombie
 
Malgré les grandes richesses naturelles de la Colombie, l’essor de l’extraction minière est relativement récent. Durant la dernière décennie, dans le cadre d’une stratégie nationale visant à attirer les investissements étrangers et à faire de l’industrie minière le moteur ou la « locomotive » de la croissance économique, le gouvernement colombien a assoupli les restrictions imposées à l’exploration et l’exploitation minières. Ces réformes législatives ont permis au pays de se présenter comme « zone d’intérêt » pour les sociétés multinationales en quête d’opportunités d’investissement. 

Le Plan national de développement (PND) 2010-2014 « Prospérité pour Tous » indique que le secteur minier est le deuxième en importance en termes d’exportations nationales et que l’investissement étranger direct a enregistré une hausse de 74% entre 2006 et 2009 (principalement dans les secteurs de l’or, du ferronickel et du charbon). 

L’intention du Plan National de Développement minier et Politique environnementale Vision  Colombie 2019 est de faire de la Colombie un « pays minier ». 

Aujourd’hui, 40% du territoire colombien a été cédé sous licence à, ou fait l’objet d’une demande de licence de la part de sociétés multinationales qui cherchent à développer des projets d’exploitation de produits miniers ou de pétrole brut.

Le gouvernement a déclaré l’activité minière comme étant « d’utilité publique et d’intérêt social », autorisant dès lors l’expropriation unilatérale de la propriété privée. Le gouvernement a également décrété que toute manifestation à l’encontre de l’industrie minière est illégale, et a concédé des permis d’exploitation minière dans des zones protégées telles que les zones marécageuses, les réserves autochtones et les territoires collectifs appartenant à des communautés afro-descendantes.

Ce modèle de développement économique menace de créer une crise humanitaire; l’entrée des sociétés multinationales peut contribuer à accroître la militarisation dans les zones rurales, car l’armée nationale colombienne et les sociétés privées de gardiennage vont devoir protéger les multinationales dans des zones instables, multipliant ainsi les possibilités d’affrontements violents.

Risques accrus pour les femmes défenseures

Le Groupe de travail colombien sur les femmes et le conflit armé , dans son rapport 2012, lancé un cri d’alarme sur l’impact direct de la position du gouvernement du Président Juan Manuel Santos et sa « locomotive minière » sur des zones qui sont déjà très touchées par le conflit armé. En 2012, les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux (ESCR) ont été au premier plan de l’agenda politique et des débats de l’opinion publique à l’échelle nationale et internationale.

Malgré les chiffres présentés par l’Unité nationale de la protection de la Colombie montrant une augmentation du budget alloué à la protection des défenseur-e-s des droits humains, la réalité des agressions, en particulier des assassinats, confirme que la protection physique est insuffisante en l’absence de politiques en matière de mécanismes de protection.

Un aspect particulièrement inquiétant est le fait que le Système d’information sur les attaques commises à l’égard de défenseur-e-s des droits humains en Colombie  (SIADDHH) dénonce une hausse excessive des cas de violences enregistrés contre des dirigeant-e-s locaux et des femmes défenseures en Colombie. 

Dans son bulletin trimestriel correspondant à janvier-mars 2013, le SIADDHH rend compte d’un total de 45 attaques individuelles contre des défenseurs des droits humains, dont 49 % à l’égard de femmes défenseures, contre les 28 % enregistrés durant la même période en 2012.
 

Les organisations de la société civile ont cherché à introduire des recours constitutionnels contre les politiques qui favorisent l’exploitation minière de grande ampleur, mais le conflit armé qui frappe la Colombie depuis des années, ainsi que les hauts niveaux d’impunité dans ce domaine font que les effets négatifs de l’exploitation minière de grande ampleur se transforment en problèmes de droits humains qui doivent faire l’objet d’une attention à l’échelle nationale et internationale.

Malgré les faibles progrès accomplis dans l’application de mesures collectives de protection, et le fait que seules 3668 demandes de protection sur 9717 (soit 38 %) aient été favorablement accueillies par l’Unité nationale de protection du gouvernement, ainsi que l’absence de plans de contingence de la part du ministère de l’intérieur, certains progrès ont été accomplis dans l’amélioration et l’extension de la couverture du programme de protection.  

Par exemple, des discussions de fond se sont déroulées dans le cadre de Tables rondes sur les garanties à l’échelle nationale entre les organisations locales et nationales des droits humains et des fonctionnaires gouvernementaux ; par ailleurs, la Cour suprême a considéré, en 2012, que les crimes commis à l’égard de défenseur-e-s des droits humains ou de dirigeant-e-s lié-e-s à la défense des droits fonciers ont le caractère de crimes contre l’humanité, étant donné le contexte de persécution systématique. 

Les débats politiques à l’échelle nationale n’ont toutefois pas abordé les causes réelles de la violence commise à l’égard des défenseur-e-s des droits humains en Colombie, à savoir les lacunes au niveau des enquêtes ou de la prévention réelle des agressions, l’impunité, la corruption, la stigmatisation et l’abandon des dirigeants dans des régions qui ont été livrées aux acteurs armés et aux sociétés multinationales .

 Appel international en faveur d’une approche fondée sur les droits humains des projets de développement de grande ampleur
 
Dans son dernier rapport sur la Relation entre les projets de développement de grande ampleur et les activités des défenseurs des droits de l’homme, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Margaret Sekaggya, souligne que ces défenseur-e-s des droits humains qui interviennent au nom des communautés touchées par les projets de développement de grande envergure sont de plus en plus souvent qualifié-e-s « d’ennemis du gouvernement » ou « d’ennemis du développement », voire « d’ennemis de l’État ».  

Ils et elles font l’objet de harcèlement, sont stigmatisé-e-s et pénalisé-e-s pour faire ce qu’ils font, ils et elles sont aussi confronté-e-s à des menaces, y compris des menaces de mort et des agressions physiques. Sekaggya souligne que plutôt que freiner le développement, les défenseur-e-s jouent un rôle important pour le promouvoir.

Le rapport met l’accent sur la nécessité d’une approche fondée sur les droits des projets de développement de grande envergure, notamment sur les principes d’égalité et de non-discrimination, de participation, de protection, de transparence et de responsabilisation, ainsi que sur l’accès à des mesures correctives adéquates. Il est donc essentiel que les communautés et tous ceux qui défendent leurs droits puissent « participer de façon active, libre et significative à l’évaluation et l’analyse, à la conception du projet ainsi qu’à la planification, la mise en œuvre, au suivi et l’évaluation des projets de développement ».

Dans ce rapport, la Rapporteuse spéciale insiste sur l’obligation qui incombe aux États de protéger quiconque entend exercer son « droit légitime de participer aux décisions et exprime son opposition à des projets de développement de grande ampleur » et souligne le fait que les entreprises privées et les bailleurs de fonds privés et publics peuvent aussi contribuer à la responsabilisation.

Bien que les États membres aient adopté différentes approches pour garantir le respect de tous ceux qui sont touchés par le projet de développement de grande envergure, dans le cas de la Colombie, Sekaggya affirme que la Régie nationale des hydrocarbures exige, sur la base d’une législation, de préciser dans tous les contrats la méthodologie qui sera utilisée pour évaluer l’impact d’un projet sur les populations touchées, et les bénéfices que ce projet leur apportera. 

Cependant, Sekaggya note que « ce droit fait l’objet d’interprétations diverses, ce qui aboutit à une mise en œuvre inégale ». Sekaggya signale finalement qu’elle demeure très préoccupée par les risques et les défis particuliers auxquels les femmes défenseur-e-s des sont confrontées, qui sont liés à leur travail et aux droits qu’elles défendent et qu’il faut donc garantir « qu’elles puissent travailler sans craindre quelques représailles que ce soit ». 

Parmi les principales recommandations de ce rapport, l’accent est mis sur le besoin de mettre en place des évaluations régulières de l’impact sur les droits humains dans le cas des projets de développement de grande envergure, et de garantir que les effets potentiels soient analysés, de même que les différents motifs de discrimination.

Source d'origine : AWID