dimanche 3 novembre 2013

Rép. Domicaine, 250.000 personnes sans papiers d'indentité

“Je suis Dominicain 
comme vous” : 
La République Dominicaine rend apatrides des milliers de Haïtiens d'origine

Par Ángel Carrión - Traduction de Suzanne Lehn

Antonio Benítez Rojo (1), L'île qui se respecte : la Caraïbe et l'esprit post-moderne : Pourquoi dans la Caraïbe les gens doivent-ils toujours fuir vers la liberté, ou plutôt, vers un espace qui se peint dans l'imagination comme la liberté ? La réponse est évidente : les sociétés caribéennes sont parmi les plus répressives au monde. Après la décision du Tribunal Constitutionnel de la République Dominicaine de dépouiller de leur nationalité tous ceux qui sont nés dans le pays d'immigrants en situation irrégulière, la vérité de ces mots est révélée dans toute sa crudité. 

Les répercussions de cette décision sans appel du Tribunal Constitutionnel vont affecter plusieurs générations de Dominicains d'origine haïtienne, dont les familles sont venues gagner leur vie en République Dominicaine. 

La majorité n'est même jamais allée en Haïti, n'y a aucune famille. Malgré cela, du jour au lendemain des milliers de personnes sont devenues apatrides.

On ignore le nombre exact le nombre de personnes concernées par cette décision. Selon les éléments du Bureau National des Statistiques (Oficina Nacional de Estadísticas), il y a en République Dominicaine 244.151 personnes nées de parents “étrangers” – dont 86 % d'origine haïtienne.

L'organisation Reconoci.do s'est donné pour tâche de collecter les témoignages de Dominicains dont la situation juridique a basculé du fait de la politique de dénationalisation du gouvernement dominicain. 

Ci-dessous, la jeune écrivaine Deisy Toussaint, récompensée de nombreux prix littéraires nationaux, raconte comment elle n'a pas été autorisée à obtenir un passeport pour représenter son pays à des événements culturels internationaux (en espagnol) :



La campagne de reconoci.do est aussi présente sur Twitter (@reconoci_do), où elle dialogue activement avec ses abonnés :
@Evenelr: Cent ans d'injustice ne font pas le droit… Le jugement du TC nous le rappelle : le racisme et la xénophobie sont la honte de l'humanité.
Imaginez qu'un groupe de personnes pleines de préjugés décide qui est dominicain/e. Comment vous sentez-vous ?
La communauté internationale s'est alarmée de ce jugement. Chiara Liguori, enquêtrice pour Amnesty International dans la Caraïbe, a écrit :
Cette récente décision détruit totalement la vie des citoyens dominicains d'origine haïtienne, surtout s'ils sont forcés par le Plan National de Régularisation à quitter le pays.
C'est une injustice totale de dire que les personnes qui ont vécu Dominicains pendant des décennies n'appartiennent plus au pays et n'y ont aucun droit.
L’UNICEF (Le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance) a réagi par un communiqué de presse, affirmant avoir, bien avant la décision du Tribunal Constitutionnel, exprimé sa préoccupation quant au grand nombre d'enfants qui seraient dépouillés de toute protection légale :
En 2008, dans les observations finales pour la République Dominicaine, le Comité des Droits de l'Enfant signalait que le droit constutionnel à acquérir une nationalité par le jus solis [droit du sol] était fréquemment nié aux enfants dépourvus de certificats officiels de naissance ou nés de parents sans résidence officielle en République Dominicaine. Le Comité exprimait sa grave préoccupation pour le grand nombre d'enfants apatrides généré par cette politique.
En janvier dernier, le blog La neurona impasible a publié une réflexion sur Haïti qui trouve aujourd'hui toute sa pertinence :
Vraiment nous sommes tous Haïti ? Quand la terre a tremblé il y a trois ans et a arasé un pays déjà ravagé, la communauté internationale a fait des promesses d'aides matérielles et économiques. Et pour beaucoup ce n'est resté que cela, des promesses, à la fin des fins de la publicité pour leurs causes particulières et leurs ambitions et leurs bains de foule égocentriques.
[...]
La communauté n'a, certainement, pas fait tout ce qu'elle pouvait, et ce sont les individus qui ont réalisé le plus gros. L'heure est peut-être venue de se racheter et de réparer toutes les erreurs du passé.
L'auteur et chanteuse Rita Indiana Hernández a ajouté sa voix au choeur d'indignation dans le journal El País :
La malédiction suspendue maintenant sur les Haïtiens est le produit de mécanismes plus puissants, sinistres et glissants que ceux qui sont accompagnés de roulements de tambour. Cette magie, comme l'ont signalé d'autres, se retranche derrière la loi pour justifier un racisme impitoyable.
Déjà les victimes de l'holocauste esclavagiste vivaient dans sa peur, eux qui pendant des générations ont vu en face la méchanceté que l'avarice installe dans l'homme. Parmi les nombreuses traditions héritées par la syncrétique société dominicaine, cette magie survit de manière spéciale. Après quasi un siècle de travail forcé et de mauvais traitements de toute sorte, nous voulons arracher le droit à la nationalité aux enfants nés de Haïtiens en République Dominicaine.
Narciso Isa Conde, sur le blog Lo Cierto Sin Censura, débusque les motivations racistes de la décision du Tribunal Constitutionnel :
Mes grand-parents paternels étaient des Arabes libanais, ils sont venus avec de faux passeports turcs et se sont enregistrés sous des noms si altérés par rapport à l'original que grand'père Antonio Isa n'était ni Isi ni Antonio.
Si nous nous en tenons à la lettre de ce cruel jugement, mon père Tony et moi, ses fils et les miens, descendons d’ “illégaux” et devrions donc aussi être dépouillés de notre nationalité et de nos papiers dominicains.
Mais il se trouve que nous sommes des “blanquitos” et ne provenons pas de l'immigration haïtienne.
Il est clair qu'au-delà de la population dominicaine d'ascendance haïtienne, beaucoup de Dominicains et Dominicaines d'aujourd'hui sommes de conditions similaires ; nous procédons de généalogies familiales venues ou amenées d'ailleurs. Nos habitants d'origine, appelés “indios”, ont été exterminés par les envahisseurs blancs.
Il est donc aisé de s'aviser du caractère raciste, néo-nazi de ce jugement, dans un pays où le racisme et la xénophobie dominants s'expriment fondamentalement contre l'émigration noire d'origine haïtienne et sa descendance ; jusqu'à telle extrémité que d'imposer la déclaration “indio/india” dans les registres d'identité aux Dominicain(e)s à peau café ou café au lait clair ou sombre.
Autre article sur ce sujet à lire sur Global Voices : ici [fr]