n’avait pas
de limites...»
Par Pierre Faverolle et Culture Vive de RFI
C’est toujours pareil
avec Caryl Ferey : on s’attend à lire un roman noir, dans un pays
exotique et violent, et à chaque fois, on en prend plein la figure. Une
nouvelle fois, l’intrigue est menée impeccablement,
et Caryl Ferey prend son temps pour nous asséner quelques vérités
sur l’état de notre monde.C’est l’Argentine
qui passe sur la table d’autopsie du docteur Ferey, celle
d’aujourd’hui, qui doit faire face à un passé bien peu reluisant
lors des dictatures qui se sont succédées dans les années 70 et 80.
L’image que l’on découvre devant nos yeux effarés est celle d’un pays
vivant dans la misère, qui a oublié la belle époque du
tango enchanteur de Carlos Gardel ou la victoire inoubliable de
l’équipe de football en 1978.
Au fin fond des
docks, à Buenos Aires, dans les bars crasseux ou au milieu des ordures
immondes qui jonchent les rues, les femmes comme les
hommes se prostituent pour quelques pesos, pour manger, pour vivre,
pour survivre. C’est sur la découverte du corps de Luz, un travesti, que
s’ouvre le roman, avec cette image noire, dure,
intolérable, d’un assassinat dont tout le monde se fout, parce que
c’est tellement commun. Les gens disparaissent ; parfois, on retrouve
leur corps, mais personne ne s’intéresse à ces
cas-là.
Il y a bien Ruben Calderon, un ancien prisonnier des geôles de la dictature, celles là même qui ont été mises en place avec les anciens nazis qui ont fui l’Allemagne pour un pays lointain qui leur ouvrait les bras. Ruben en a réchappé ; parfois les tortionnaires relâchaient des prisonniers pour qu’ils décrivent ce qu’ils ont vu et vécu. Cela permettait de faire grimper la peur auprès du peuple. Ruben n’a rien dit, jamais, il a préféré créer son agence de détective pour poursuivre les disparus et leurs bourreaux.
De son coté, Jana
Wenchwn est Mapuche, d’un petit peuple indien expulsé de ses terres et
exterminé pour le bienfait de riches propriétaires
terriens. Elle a vendu son corps auprès de vieux ignobles, pour une
bouchée de pain, pour se payer ses études, pour survivre. Aujourd’hui
sculptrice, elle est va contacter Ruben pour retrouver
Luz, une amie. Ruben refuse.
C’est bien
difficile de faire un résumé de cette intrigue, tant elle est touffue et
plonge dans les abîmes d’un pays, dont le passé est aussi
horrible que les pires pages de l’histoire mondiale du vingtième
siècle. Caryl Ferey nous avait habitué à écrire de grands romans noirs,
celui-ci en est un de plus à mettre à son actif. Car à son
style journalistique et distancié, il ajoute une touche humaine,
voire humaniste à travers deux formidables personnages : d’un coté un
revenant qui mène sa croisade personnelle, de l’autre
l’ange ingénu en lutte contre le mal.
A la fois roman
foisonnant, grandiose et intimiste, Caryl Ferey nous épate, nous en met
plein la vue, nous emmène là où il veut, et nous force à
lire ce que l’on ne veut pas voir, ni savoir. C’est une
démonstration à la force du poignet, au souffle romanesque épique. Et il
ressort de cette aventure que les dirigeants d’hier sont pareils
que ceux d’aujourd’hui, et que ce sont toujours les mêmes qui s’en
sortent.
Le pays dévasté
que nous donne à voir Caryl Ferey n’est pas beau à voir, empêtré dans
son histoire, hanté par ses démons, ses meurtres, ses
massacres. C’est une lutte pour la mémoire, pour que l’on n’oublie
pas, comparable à celle des juifs contre les nazis, un combat dont on ne
parle pas beaucoup ici car elle est située à plusieurs
milliers de kilomètres de chez nous. La force de Caryl Ferey, c’est
de nous y plonger la tête, de nous impliquer.
C’est un roman
noir mat, brut et brutal, par moments fleur bleue pour nous étouffer par
la suite, brutal, violent, important, essentiel. C’est
un appel à l’humanisme basique, à la justice élémentaire. A nouveau,
Mapuche est un coup de maître, de ces livres dont on n’oublie pas les
personnages, ni les messages. Tout se résume dans cette
phrase piochée page 294 : « Non : la cruauté des hommes n’avait pas
de limites … ».
Source : Black-novel
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Jana est Mapuche, fille d’un peuple indigène longtemps tiré
à vue dans la pampa argentine. Rescapée de la crise financière de
2001-2002, aujourd’hui sculptrice, Jana vit seule à Buenos Aires et, à
vingt-huit ans, estime ne plus rien devoir à personne.
Rubén Calderon aussi est un rescapé – un des rares « subversifs » à être sorti vivant des geôles clandestines de l’École de Mécanique de la Marine, où ont péri son père et sa jeune soeur, durant la dictature militaire.
Trente ans ont passé depuis le retour de la démocratie. Détective pour le compte des Mères de la Place de Mai, Rubén recherche toujours les enfants de disparus adoptés lors de la dictature, et leurs tortionnaires…Rien, a priori, ne devait réunir Jana et Rubén, que tout sépare.
Source : Radio France Internationale