Par Carolina Gutierrez Torres - Traduction et notes de Libres Amériques
Avec l'assassinat de Pédro César Garcia Moreno, l'un des
plus grands détracteurs de la présence du mégaprojet minier « La
Colosa » à Cajamarca, la peur s’est emparée des responsables paysans du
département du Tolima en Colombie. César García, surnommé le Fou, a toujours
été à la tête des manifestations. Il allait avec un drapeau de la Colombie
scandant « oui à la vie, et non à la mine », et criant « si la
campagne ne produisait pas, la ville serait affamée », et les gens
s’enthousiasmaient et reprenaient les slogans. « El Loco » était
toujours souriant et il avait un pouvoir d'attraction que tous reconnaissaient.

César pouvait rassembler des foules. Et il en fut de même le
jour de ses funérailles. Ils auraient été près de 1500 personnes à
l’accompagner. Le « Fou » était parti après avoir reçu une balle dans
la tête et il a fallu qu’il parte. Avec des mariachis et la foule.
« Cesar Garcia a été assassiné, l'opposant au mégaprojet
minier la Colosa », ont titré les rares médias ayant mentionné la mort du
« Fou ». Il n'était plus possible de dissocier son nom de la mine,
quatre ans plus tôt, il s’était déclaré être son plus solide détracteur.
César Garcia avait protesté contre la participation de la
multinationale AngloGold Ashanti (Afrique du Sud), il avait rejeté leurs
demandes d'extraire environ 24 millions d'onces d'or dans les montagnes,
fournissant de l'eau et des aliments.
Le samedi 2 Novembre 2013, ils ont tué « El Loco »
César était sur un chemin de halage en direction de sa
maison, monté sur une mule. Quelques pas devant, à pied, l’accompagnait sa
fille Erica Natalia, de 9 ans, et derrière lui son épouse, Mary Luz Amaya,
également sur une mule.
Seuls ont été entendus un coup de feu sec et le bruit que
Garcia fit en tombant de l’animal. Il est mort instantanément. « Quand je lui
ai fermé les paupières ... les yeux déjà ne répondaient plus », a expliqué Mary
Luz au son de sa voix calme, sonnant avec courage.
Aucune autorité ne lui a apporté assistance - a-t-elle raconter -, seul un
supérieur de la police a ordonné de faire la levée du corps. Il a demandé que
la « procédure » se fasse en la présence de la Vice-présidente du Comité
d'Action communale du village de Cajon La Leona. Que présidait César Garcia
Moreno.
Mary Luz a fait seulement un appel, « Maman, ils ont tué
César ! », et immédiatement la voix s'est propagée dans toute la
région. Amis, famille et voisins ont commencé à arriver peu à peu sur les
lieux, jusqu’à atteindre quelques centaines, a relevé Mary Luz. Et tous, comme
dans une procession, ils ont accompagné le corps pendant une demi-heure pour
trouver une voiture et l'emmener à Anaime - Cajamarca.
Deux jours après, les obsèques se sont tenues. Des
funérailles populaires avec des mariachis, des larmes, et une peur latente
parmi les autres responsables (paysans), qui se demandaient qui serait le
prochain.
« Je vais vous dire ceci : ni les plus riches ni le plus
nombreux de Anaime - Cajamarca ne peuvent avoir un enterrement comme celui de
César. Il était un personnage très important pour la région », pour son
meilleur ami Victor Rodriguez, qui le connaissait « depuis tout
petit », voyant en lui « comme un fils ».
*

Pour ses enfants César García n’en faisait jamais assez.
C'est ce que disent ses amis, il était un père, et un fils dévoué.
« Imaginez-vous, petite madame, quelle tristesse de voir partir un garçon
qui répondait (aux besoins) de deux foyers : de ses enfants et de ses parents
», a déploré Victor Rodriguez. S’il
déplore la mort de García, c’est que cela signifie la solitude absolue pour sa
femme, ses cinq enfants et pour ses parents ayant déjà de plus de 90 ans et qui
dépendaient de lui.
*
Le 3 Juin 2011, une « marche de carnaval » avait défilé
dans les rues de la ville d’Ibague avec pour slogan « Non à l'exploitation
minière, oui à la vie ». Pour la première fois les habitants de Anaime -
Cajamarca, d’El Espinal et des autres communes du Tolima s’étaient unis pour
s’opposer catégoriquement à l'exploitation minière (depuis 2007 Anglo-Gold
Ashanti avait annoncé la découverte de réserves d'or de « la Colosa »
et aujourd'hui se poursuivant par étapes d'exploration).
« De manière massive et avec des exercices artistiques, nous
avions voulu signaler que le modèle d'exploration que l’on veut nous imposer,
va nous voler les possibilités d’un futur pour nos enfants », a déclaré
Alexander Renso, membre du Comité environnemental de défense de la vie à
Ibague.
Lors de ce premier carnaval, Alexander Renso avait rencontré
César Garcia, « El Loco » qui avait à ses frais la décoration de la
Jeep qui défilait, chargée de bananes, de fruits de la passion, et autres
fruits de la région.
« L'idée était de montrer que la sécurité alimentaire serait
également en danger. ». Pour Renso « l’ami César García était un des leaders
charismatiques de la région. »
Pour Jimmy Torres, président de Conscience Citoyenne, « il
était toujours à la recherche d’un sentiment de joie dans la vie ». Et
pour Mary Luz Amaya, sa femme, « il était d’une joie imperturbable qui
tomba amoureuse quand elle l'a rencontré : elle avait 12 ans et lui environ 21
ans. Deux ans plus tard ils ont commencé à vivre ensemble et cela a duré 14
ans. Vivant de ce que produisait la terre.
*
« Depuis qu’est arrivée (la multinationale) Anglo-Gold
Ashanti, (la région d’) Anaime -Cajamarca s’est soumise à un silence collectif
- a signalé - Viviana Sanchez, journaliste indépendante, membre de Conscience
Citoyenne.
D'abord, parce que personne ne savait rien au sujet de
l'exploitation minière (ayant toujours été une région agricole et non pas
minière), et, deuxièmement, par peur ». Pour briser le silence est né les
réseaux des comités environnementaux et paysans du Tolima, dont faisait partie
César García.
Le réseau vient de terminer une lettre adressée au Défenseur
du Peuple, au ministère de l'Intérieur, au Procureur et au gouvernement local,
leurs demandant une enquête sur l'assassinat de César Garcia Moreno. Leurs
demandant que soit fournit une protection aux autres responsables.
« Ce que j'ai ressenti le jour où j'ai appris sa mort ?
Imagine-toi. Tout d'abord, j'ai eu peur, je me suis demandé qui pouvait lui
succéder, César étant une personne tellement représentative de la communauté.
Puis, j'ai senti de la douleur, de la colère ... Et aussi... de l’anxiété ...
et de la peur » a expliqué Jimmy Torres.
Le jour même, où a été tué « El Loco »,
l’entreprise minière Anglo-Gold-Ashanti a publié un communiqué public dans
lequel « elle regrettait » sa mort, et exprimait « ses
condoléances aux familles, amis et connaissances », et signifiait son «
rejet énergique face aux manifestations de violentes de toutes
natures ».
Et l’entreprise minière a déclaré, qu'elle était «
respectueuse de toutes les opinions et des positions juridiques, même, celles
qui expriment une opposition respectueuse à l'exploitation de la mine ».
De plus il a été également demandé au Haut Commissariat des Nations Unies aux
droits de l'Homme « d’identifier les auteurs ».
*
Qui a tué « El Loco » ? « Non, non, non je ne
sais pas quoi dire ... Il existe beaucoup de commentaires, mais pour des
questions de sécurité, vous savez, il est préférable de rester en veilleuse (ou
silencieux)... Vous voyez ce que je veux dire ? » . Par mesure de
sécurité, aussi, nous avons omis le nom, de qui a fait cette déclaration.
Complément d’information de Projet Accompagnement Solidarité Colombie :
Le texte d’origine provient du site La silla Vacia (La
chaise Vide), il a a été rédigé en espagnol par Rodrigo Rojas
Anaime se situe dans la localité de Cajamarca, dans le
département de Tolima, près d'un canyon bordant les landes en danger
d'extinction de la Cordillère Centrale. C'est une abondante source d'eau qui
donne naissance aux rivières qui approvisionnent le département de Tolima.
C'est la terre de paysans robustes qui aiment la nature, et c'est le cœur de la
résistance contre le projet d'industrie minière La Colosa, par Anglo Gold
Ashanti.
Pedro César García était un paysan originaire de là-bas,
Président de l'Assemblée d'Action Communale et membre de la Conscience
Paysanne, un mouvement créé il y a trois ans pour défendre son territoire des
effets et problèmes générés par les mégaprojets miniers. Il a été assassiné
devant son épouse et sa fille de 9 ans le samedi 4 novembre, et accompagné par plus
de 2000 personnes à son ultime demeure lundi dernier.
Le mardi 5 novembre 2013, a également été enterré José
Antonio Ramírez, surnommé El Boyaco. C'était un humble chauffeur de Cotracaime,
l'unique entreprise qui se mobilise dans ces montagnes. Le 25 octobre, alors
qu'il emmenait dans sa jeep une équipe de commission de l'Institut Géographique
Agustín Codazzi, il a été attaqué avec un engin incendiaire qui l'a tué et a
aussi blessé un fonctionnaire. Ils travaillaient sur les délimitations des
zones de landes avec l'Institut Von Humboldt.
Ce sont les martyres anonymes d'une confrontation à grande
échelle qui se crée dans le pays et dont les conséquences n'ont pas terminé
d'être rendues visibles dans le pays. C'est la confrontation de paysans
enracinés dans leur vocation et leur terre ancestrale, qui résistent à être
déplacés et abandonner le labeur que leur ont enseigné leurs ancêtres:
l'agriculture. Ils ne veulent pas de l'industrie minière dans leurs fermes, ils
ne veulent pas voir disparaître les rivières et les montagnes et voir leur vie
changer dramatiquement.
De vraies garanties doivent être données au vaillant village
d'Anaime et à Cajamarca qui pleurent aujourd'hui leurs morts, pour exprimer
leurs luttes et continuer leurs cultures fruitières.
En ce moment de douleur et d'incertitude, il y a une prière
autochtone, qui exprime l'espérance de victoire face à la mort:
"Ne
t'approches pas de ma tombe en sanglotant. Je ne suis pas là. Je ne dors pas
là.
Je suis comme mille vents qui soufflent. Je suis comme un diamant dans la neige, brillant.
Je suis comme mille vents qui soufflent. Je suis comme un diamant dans la neige, brillant.
Je suis la lumière du soleil sur le grain doré. Je suis la
douce pluie de l'automne attendu.
Quand tu te réveilles dans le matin
tranquille je suis la volée d'oiseaux qui gazouillent. Je suis aussi les
étoiles qui scintillent pendant que la nuit tombe à ta fenêtre.
Pour tout cela,
ne t'approches pas de ma tombe en sanglotant. Je ne suis pas là. Je ne serai
jamais mort."
Note :
(1) Le « Nacedero » est un arbuste et une plante
médicinale.
Source : le journal El Espectador (Colombie)