pour une place
parmi les immortels
de l’Académie Française
Par AlterPresse et notes de Libres Amériques
Il
faudra attendre le vote, du jeudi 12 décembre 2013, pour savoir si
l’écrivain canadien Dany Laferrière, né en Haïti, va siéger au fauteuil
de l’auteur d’origine argentine, Hector Bianciotti, décédé en 2012. Dany Lafferrière a posé sa candidature à la succession d’Hector
Bianciotti, à côté des écrivains Arthur Pauly et Jean-Claude Perrier. Vous trouverez aussi un article sur son livre de 2012 "Tout a bougé autour de moi", ainsi qu'une vidéo sur son dernier ouvrage "Journal d'un écrivain en pyjama" et un document vidéo avec une intervention de Dany Lafferrière racontant l'histoire d'Haïti.
C’est l’Académie française qui a fait l’annonce officielle sur son
site, quelques heures après une séance le jeudi 24 octobre 2013.
Né à Port-au-Prince le 13 avril 1953, Dany Laferrière a été journaliste dans sa jeunesse.
Il a dû laisser le pays pour le Québec, en 1976, quelque temps après l’assassinat (le 1er
juin 1976 à Braches, Léogane, à une trentaine de km au sud de la
capitale) de son ami journaliste Gasner Raymond (Hebdomadaire Le Petit
Samedi Soir), alors âgé de 23 ans, par les sbires du dictateur
Jean-Claude Duvalier.
Considéré comme l’un des plus grands écrivains francophones vivants,
Dany Laferrière privilégie le quotidien, les registres de la vie
ordinaire et l’autobiographie, dans son écriture.
Il écrit comme il vit, dit-il souvent...
Son œuvre lui a valu de nombreux prix littéraires dont le Médicis en
2009 et le Grand Prix du livre de Montréal pour son roman "L’Énigme du
retour" (Boréal/Grasset. Son premier roman, "Comment faire l’amour avec un nègre sans se
fatiguer", paru en 1985, a été traduit dans une trentaine de langues.
Son premier roman a été aussi adapté au cinéma.
Romancier, poète, scénariste et cinéaste, Dany Laferrière a publié
une trentaine de livres, dont "Cette grenade dans la main du jeune Nègre
est-elle une arme ou un fruit ?", prix RFO 2002, et "Vers le sud"
(2006), adapté également au cinéma.
En 2013, il a publié "Journal d’un écrivain en pyjama" (Mémoire d’encrier/Grasset).
En mai 2013, il a présidé, en Haïti, des rencontres littéraires entre écrivains haïtiens et québécois, à l’occasion du 10e anniversaire des éditions Mémoire d’encrier.
« L’œuvre de Dany Laferrière engage un dialogue passionnant, élégant
et fécond avec le public », souligne l’écrivain Rodney Saint-Éloi,
directeur de Mémoire d’encrier.
Dany Laferrière est le premier Québécois d’origine haïtienne a être
candidat pour rejoindre les immortels, au nombre de 37 actuellement au
sein de l’Académie française.
Dany Laferrière : « Haïti est une puissance symbolique », par Rue 89
A Haïti, on dit « le
12 Janvier » comme, un peu plus haut sur le continent américain, on dit
« le 11 Septembre ». Lors du séisme à Port-au-Prince, Dany Laferrière
était sur place, et a noté tout ce qu’il a vu.
Cela donne « Tout bouge autour de moi », où l’écrivain exilé pointe
le courage des Haïtiens, mais surtout la condescendance de l’Occident
envers cette République autodidacte. Pour lui, plus qu’un pays, Haïti
est « une puissance symbolique ».
Exilé, il ne se sépare jamais de son passeport, accroché à une
pochette autour de son cou. Ecrivain, il garde aussi toujours sur lui ce
« calepin noir » où il note tout ce qui traverse son champ de vision.
L’an dernier, il a eu de quoi écrire. Il était présent dans la
capitale haïtienne, en tant que co-président de la manifestation
littéraire qui devait débuter… le 13 janvier, soit le lendemain du
séisme. Ce devait être la deuxième édition d’Etonnants voyageurs à Port-au-Prince.
Ce ne fut que peurs et pleurs.
« La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier »

« Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre... »
Peu après l’éternité du séisme (« Je ne savais pas que soixante
secondes pouvaient durer aussi longtemps. Et qu’une nuit pouvait n’avoir
plus de fin »), trop heureux de faire partie de survivants, Laferrière
s’empresse de noter cette vie qui reprend ses droits à travers tout ce
béton tombé à terre.
Ce que le journaliste n’a pu ressentir
Dans notre interview, il explique la différence entre ce que les
journalistes écrivaient et ce que lui, écrivain haïtien exilé depuis
trente ans, voyait. « Tout bouge autour de moi » montre tout ce qu’un
journaliste, dont le travail se base sur les faits et sur l’urgence, ne
pouvait pas ressentir.
Le livre, écrit très vite, est paru au printemps dernier à Haïti.
Pour la version française, parue en ce mois de janvier, Laferrière est
revenu sur place afin de compléter ses informations, sur un drame dont
le bilan final est de 316 000 morts.
La vie qui reprend ses droits
Ce que voit Laferrière, c’est la vie qui reprend ses droits après ces
soixante secondes d’apocalypse. Une horreur qui, pour lui, arrivait
alors que le pays se relevait d’une décennie de turbulences :
- « De jeunes filles rieuses se promenaient dans les rues, tard le soir » ;
- « Les peintres primitifs bavardaient avec les marchandes de mangues » ;
- « Le banditisme semblait reculer d’un pas »...
Et les écrivains étaient invités à la télévision plus souvent
que les députés, « ce qui est assez rare dans ce pays à fort tempérament
politique ».
Ce livre, certes un témoignage, raconte toutes ces autres vies que la
sienne et analyse cet « instant pivotal » : un « évènement dont les
répercussions seront aussi importantes que celles de l’indépendance
d’Haïti, le 1er janvier 1804 ».
Que l’Occident cesse d’être condescendant
Jusqu’ici, l’Occident s’était « détourné de cette nouvelle
République qui a dû savourer seule son triomphe ». On citait souvent
Haïti en exemple d’affranchissement et de liberté, cette République où
les citoyens se sont eux-mêmes affranchis de la tutelle coloniale et
esclavagiste au début du XIXe.
Mais l’Occident laissa Haïti « libre, mais seule », dans une relation
mêlant admiration, défiance et condescendance. Ce que Laferrière
appelle de ses voeux, c’est que cette condescendance cesse… et que
soient montrées les preuves que l’aide internationale promise (un
milliard de dollars environ) est bien arrivée.
Plus qu’un pays, « une puissance symbolique »
Né à Port-au-Prince, fils d’un ancien maire de la capitale haïtienne,
Laferrière a débuté sa vie de plumitif dans le journalisme culturel.
C’était sous la dictature des Duvalier père et fils, qu’il égratignait régulièrement.
En 1976, après l’assassinat de son collègue Gasner Raymond, et se sachant le prochain sur la liste des « tontons-macoutes », il a quitté précipitamment Port-au-Prince pour Montréal, où il réside depuis.
C’est avec ce double regard « intérieur-extérieur » que l’écrivain
évoque son pays. Un pays qui continue sans cesse « l’aventure humaine ».
Première République à s’être affranchie du colon et de l’esclavage en
même temps, il est devenu « une puissance symbolique ».
C’est tout ce symbole qui a repris vie dès la minute du séisme
passée. « Déjà la vie » est d’ailleurs le titre du deuxième paragraphe
de « Tout bouge autour de moi ».
Sources : AlterPresse et Rue 89