samedi 29 juin 2013

Uruguay, crimes contre l'humanité en attente de justice

Quarante ans 
après le coup d'État, 
les crimes commis par le passé restent impunis

Par Amnesty International France

Les autorités uruguayennes doivent adopter d'urgence des mesures visant à supprimer les obstacles qui empêchent d'enquêter sur les violations des droits humains commises dans le pays entre 1973 et 1985, sous les régimes civil et militaire, et de sanctionner les responsables, a déclaré Amnesty International. « Malgré quelques progrès et condamnations, il est inquiétant de constater que, 40 ans après le coup d'État, de nombreuses victimes et leurs familles sont toujours privées de leur droit d'obtenir justice, vérité et réparations », a remarqué Guadalupe Marengo, directrice du programme Amériques d'Amnesty International. 

Amnesty International estime que le principal obstacle auquel sont confrontées les victimes est la Loi no 15 848, dite « de prescription », promulguée en 1986. Cette loi interdit d'enquêter ou d'engager des poursuites contre des membres de la police ou des forces armées pour des infractions commises avant mars 1985.

La Loi de prescription a été déclarée sans effet par la Loi no 18 831 adoptée en 2011. Cependant, une décision de la Cour suprême uruguayenne datant de février 2013 a de nouveau ouvert la porte à l'impunité en ne reconnaissant pas les crimes commis sous le régime civil et militaire et relevant du droit international comme des crimes contre l'humanité, et en estimant, par conséquent, que la prescription s'applique.

« Le jugement de la Cour suprême de justice rétablit en pratique les effets de la Loi de prescription. Ce jugement est erroné d'un point de vue juridique et doit être révisé sans délai par la justice, car il va à l'encontre des obligations qui incombent à l'Uruguay au titre du droit international, et qui s'imposent aussi, bien évidemment, au pouvoir judiciaire dans son ensemble », a déclaré Guadalupe Marengo.

En outre, la décision de la Cour suprême ne tient pas compte de l'obligation de respecter les décisions rendues par la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) dans l'affaire emblématique Gelman c. Uruguay. La CIDH a estimé dans cette affaire qu'aucune loi, pas même la prescription, ne peut être invoquée pour empêcher une enquête sur des infractions relevant du droit international et l'ouverture de poursuites judiciaires contre leurs auteurs présumés.

En outre, le jugement de la Cour suprême va directement à l'encontre de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, à laquelle l'Uruguay est partie depuis 2001.

« L'Uruguay a des obligations internationales en matière de droits humains qui ne peuvent pas être contournées. Mais plus important encore, 40 ans après le coup d'État, le pays a une dette envers sa société et envers les victimes et les familles de victimes des actes criminels commis de manière généralisée et systématique par l'État entre 1973 et 1985. »
 
Complément d’information

Le 27 juin 1973, avec le soutien des forces armées, le président uruguayen de l'époque, Juan María Bordaberry, a dissous le Sénat et la Chambre des Représentants et a annoncé la création d'un Conseil d'État doté de fonctions législatives. Ce changement a marqué le début d'un régime autoritaire qui a duré jusqu'en 1985.

Durant ces années, des membres de la police et de l'armée uruguayennes ont commis de graves violations des droits humains : torture, exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées en particulier. Au plus fort de cette période, on estime à environ 7 000 le nombre de prisonniers politiques. La majorité d'entre eux affirme avoir subi des actes de torture.

La loi dite « de prescription », présentée par le gouvernement de Julio María Sanguinetti et adoptée par le Parlement uruguayen en décembre 1986, accorde une amnistie de fait aux responsables présumés de ces crimes.

Deux référendums, en 1989 et 2009, ont maintenu cette loi en vigueur. Sa portée a cependant été remise en cause par diverses décisions de justice et par la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

Selon la décision rendue par la Cour suprême de justice de l'Uruguay en février 2013, le juge pénal est encore habilité à enquêter et, s'il obtient des éléments à charge suffisants, à engager des poursuites contre les responsables présumés de violations des droits humains, car la possibilité d'une action publique est maintenue.

Toutefois, en se fondant sur une interprétation erronée du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, cette décision déclare inconstitutionnels les articles 2 et 3 de la Loi no 18 813 de 2011, qui affirment le caractère imprescriptible des crimes contre l'humanité. 

De ce fait, toute enquête pénale sur les infractions commises jusqu'en mars 1985 semble vouée à l'échec puisqu'elles ne sont pas reconnues comme des crimes de l'humanité et sont donc soumises à la règle de prescription. 


Source : Amnesty International France