mardi 9 juillet 2013

Aimé Césaire, le poète de passage en Haïti et pouvoirs ?

Aimé Césaire, ami d’Haïti 
et voix de l’émancipation 
de la Négritude



Par Samora Chalmers

 Une conférence, accompagnée d’une lecture et d’une exposition en hommage au combattant pour la dignité humaine et ami d’Haïti qu’était Aimé Césaire, a été animée, le 26 juin 2013 à la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), par Michèle Duvivier Pierre-Louis (en photo), présidente de l’institution. Il s’agissait de marquer les 100 ans de la naissance d’Aimé Césaire, né le 26 juin 1913, à Basse Pointe en Martinique. Cet événement a été organisé en partenariat avec l’Association Monique Calixte (AMC). Plus de soixante personnes ont pris part à cette activité d’environ une heure et demie, événement captivant et ponctué de lectures de fragments d’oeuvres littéraires et de discours politique. 

La conférence a retracé le parcours littéraire de Césaire, étudiant à Paris, militant pour la cause des opprimés, notamment du peuple noir. Puis elle s’est axée sur les écrits et les questionnements de la vie de Césaire, liés à son passage en Haïti et sa carrière politique.

Michèle Pierre Louis a choisi de présenter une œuvre et une vie riche et complexe. La bibliographie de Césaire a été déclinée à travers des entretiens, des études et des citations de l’auteur sur ce que représente la poésie dans sa vie et sur les différentes périodes de l’évolution de son œuvre. Les choix d’un poète devenu politicien par amour pour son peuple sont alors pleinement illustrés.

Le point culminant de la conférence a porté sur le séjour d’Aimé Césaire en Haïti, de mai à septembre 1944, et la manière dont il en est ressorti ébranlé et inspiré.

Se questionnant sur la place de la lecture en Haïti, s’adressant au public, Michèle Pierre Louis demande : « Qui a lu Césaire ? » ; trois mains sur soixante se lèvent : c’est pour cette raison qu’elle va sans cesse insister sur la nécessité de lire et de fréquenter les bibliothèques, en présentant les différentes œuvres majeures de Césaire, que l’on peut d’ailleurs retrouver à la Bibliothèque Monique Calixte. « Il faut lire, c’est très important », conclura-t-elle.

La culture noire

Le parcours professionnel, psychologique et littéraire d’Aimé Césaire est décortiqué à travers une mise en contexte de sa pensée qui évoque la montée du racisme et des ségrégations en Europe, les rencontres avec Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, Birago Diop, Wilfredo Lam et Picasso. 

La découverte de l’Afrique, du monde afro-américain et l’impact du colonialisme sur l’identité des peuples serviront de stimulant à la création du concept de la « Négritude », en 1930, pour la mise en valeur de la culture et de l’histoire du peuple noir. Il faut ainsi comprendre la complexité d’être français, antillais et de race noire à cette époque.

Michèle Pierre-Louis nous présente Césaire comme un passionné, un militant et un homme obstiné dans sa quête de réhabilitation, revalorisation et promotion de la solidarité. Professeur de lettres et de philosophie, Césaire a été précurseur des réflexions sur l’identité et les ravages de la colonisation. Il influencera notamment les œuvres de Frantz Fanon et d’Édouard Glissant.

Il défendait la Négritude comme un instrument de prise de conscience et de lutte contre la colonisation face aux accusations de racisme qu’il a toujours réfutées. Son propos donne naissance à une approche nouvelle sur le monde noir dans le cadre d’une quête de libération culturelle et politique.

Le discours contre le colonialisme

Il faut comprendre que Césaire ne s’intéresse pas seulement au peuple noir, mais à tous les colonisés avides de solidarité pour sortir de ce système effroyable qu’est la colonisation. Son discours bouscule les codes et les pensées de l’époque ; il sensibilise sur les civilisations opprimées, le prolétariat et le système colonial à combattre, quitte à créer la polémique notamment lorsqu’il écrit « L’Europe est impardonnable ».

Son message est marqué par la préoccupation du bien commun, du bien public et du bien-être des populations. Telles sont les valeurs qui animent l’esprit de cet homme universel.

Aimé Césaire, Ami d’Haïti, inspiré par son histoire, sa culture et son peuple

En 1944, Aimé Césaire a été invité en Haïti par Pierre Mabille, Conseiller culturel de la France à Port-au-Prince et l’un des fondateurs de l’Institut français. Il y fait un long séjour où il participe au congrès international de Philosophie et de Connaissances organisé par la Société d’Histoire et d’Étude scientifique. Il sera ébranlé par cette visite et écrira ensuite des œuvres sur Haïti.

Michèle Pierre Louis raconte comment elle assista à la première représentation théâtrale de la Tragédie du Roi Christophe en 1968 à Paris. Elle évoque les réactions et les débats que les jeunes étudiants haïtiens, dont le poète Davertige, engagèrent alors avec Césaire. Pourquoi n’a-t-il pas voulu l’indépendance de la Martinique ? Pourquoi choisit-il de faire un récit élogieux du Roi dictateur Christophe ? 

Césaire explique qu’il a été fasciné par le désir de ce dirigeant de créer un empire contre la France en s’alliant à l’Angleterre, qui venait d’abolir l’esclavage le 2 mars 1807. Il explique que ce qui l’a inspiré, c’est la difficulté d’un homme à conduire un pays aussi complexe qu’Haïti.

Le poète avant tout

Michèle Pierre-Louis fait part de la perception et de l’analyse de la production littéraire d’Aimé Césaire. Elle souligne que Césaire n’a jamais utilisé le créole dans aucune de ses œuvres, bien qu’il ait défendu durant toute sa vie les valeurs et les appartenances du peuple antillais qui s’exprime en créole.

Suite à sa démission du Parti communiste français (PCF) et la rédaction de son pamphlet pour dénoncer cette organisation politique, il s’engage dans une polémique avec l’écrivain français Louis Aragon qui l’accuse de pratiquer une poésie bourgeoise.

Pourtant, la production littéraire de Césaire est axée sur la politique, la philosophie, le théâtre populaire, « le poète est cet être qui cherche et reçoit le mot de passe de la connivence et de la puissance ». Ses cinquante ans de militance politique ne l’ont jamais empêché de valoriser la pratique de la poésie. 

Notes : 

Ce compte-rendu est produit dans le cadre du programme de production et diffusion d’informations multimédia pour une meilleure appréciation des activités culturelles en Haïti, programme mis en place par le Groupe Medialternatif et Caracoli, institutions impliquées dans la communication sociale et la promotion culturelle, avec le soutien de la Fondation de France et de la Fondation Culture Création à travers le programme FIL Culture.


Source : AlterPresse (Haïti)