des actions en faveur
des droits autochtones
Par Gabriela De Cicco
Idle No More (INM) est un mouvement
canadien de résistance et de protestation des populations autochtones
qui a été lancé l’an dernier. L’AWID s’est entretenue au sujet de ce
dernier avec la défenseure des droits humains des autochtones Dr. Lynn
Gehl (*) (Gii-Zhigaate Mnidookwe). “Idle No More
appelle tous les êtres à rejoindre cette révolution pacifique dans le
but de respecter la souveraineté autochtone et de préserver la terre et
l’eau".
La vision d’INM est de continuer à permettre la construction de
la souveraineté et la résurgence de l’identité nationale, de faire
pression sur le gouvernement et l’industrie en vue de protéger
l’environnement, et de créer des alliances visant à reformuler les
relations de nation à nation moyennant la prise en compte des points de
vue, des problèmes et des préoccupations des collectivités de base.
Comme le dit Lynn Gehl,
qui a participé à quelques actions de Idle No More (INM), “les
populations autochtones du Canada ont résisté à la colonisation pendant
très longtemps. Il me semble vraiment essentiel de préciser que la
résistance autochtone précède (1) au concept. Idle No More est un nouveau terme servant à décrire ce que
nous avons toujours fait. Cette nouvelle construction est une chose
formidable, dans la mesure où elle insuffle un nouvel élan et nous
apporte l’énergie nouvelle pour faire avancer notre organisme.”
Jessica
Gordon, Sylvia McAdam, Sheelah McLean, et Nina Wilson ont donné
naissance à ce mot dans la province canadienne occidentale de
Saskatchewan, alors qu’elles se trouvaient en pleine discussion
sur l’impact que certaines politiques d’État, encouragées par le
Premier Ministre canadien Stephen Harper, pourraient avoir sur les
Premières Nations du pays.
Lynn Gehl explique que Stephen
Harper, du Parti conservateur, est responsable d’avoir fait ratifier des
lois et des législations par le Parlement canadien qui portent atteinte
aux droits issus de traités, aux droits de l’eau, aux droits humains
des autochtones et aux droits de tous les Canadiens. “Tous les Canadiens
ont besoin d’un air pur, d’une eau saine et de terres non polluées,
cela n’est pas réservé aux populations autochtones; or ce sont des
femmes autochtones qui ont déclenché le mouvement Idle No More qui
existe aujourd’hui.”
La dynamique du mouvement s’est construite à
partir d’évènements organisés, sur Twitter (#idlenomore), ainsi qu’à
partir d’autres actions comme celle menée par l’avocate Pam Palmater,
dont le blog est consacré aux droits des populations autochtones et les
écrits sont publiés dans des journaux. Gehl poursuit en disant que les
élections de l’Assemblée des Premières nations de l’an dernier ont, pour
la première fois, vu quatre femmes se présenter, ce qui a n’a fait qu’accroître l’élan que l’on observe au Canada.
Les fondatrices d’INM se sont ralliées pour fournir des informations sur le Projet de loi C-45,
qui visait à modifier la Loi sur les Indiens sans consulter au
préalable les Premières Nations. Elles ont en outre proposé plus
d’informations sur un ensemble de projets de lois
portant atteinte à la protection de l’environnement. Ces rencontres se
sont répétées dans d’autres communautés, lorsque l’importance d’un
soulèvement commun visant à revendiquer leurs droits de nation
souveraine est apparue évidente.
Le 10 décembre 2012 a eu lieu la
Journée nationale de solidarité et de résurgence. Cet important
événement s’est avéré capital de par le nombre de Nations et la
diversité des groupes impliqués. Depuis, des actions inspirées et
appelées par le mouvement Idle No More telles que séminaires,
manifestations et rassemblements ont continué de se propager dans tout
le pays.
Quant à la façon dont le mouvement s’est organisé et a
passé le mot, Gehl et d’autres l’attribuent à la révolution des médias
sociaux. “Les médias sociaux ont révolutionné nos relations”, fait-elle
observer. “Par exemple, je n’ai jamais rencontré les quatre femmes
fondatrices, mais nous communiquons via Facebook. Les gens utilisent les
médiaux sociaux à des fins différentes ; en tant que mouvement Idle No
More, nous l’utilisons à des fins politiques. C’est phénoménal.”
Le vent du changement ?
Comme l’a dit Pamela D. Palmater
(en anglais) – une avocate du peuple Mi’kmaw –, les personnes impliquées dans Idle
No More souhaitent être libres, “libres de nous gouverner nous-mêmes
tels que nous le voulons, libres de jouir pleinement de nos identités,
nos cultures, et nos traditions”.
D’après Palmater, le mouvement INM
s’inscrit dans un mouvement plus large des populations autochtones qui a
révélé le programme d'assimilation
(en anglais) explicite – afin d’assimiler les Premières Nations aux ordres de
gouvernement fédéral et provincial en vigueur – émanant du gouvernement
conservateur, tout en préparant sa riposte au cas où le Premier Ministre
mettait ses plans à exécution.
Palmater affirme que par le biais de
l’intimidation, Harper est parvenu à imposer son programme
d’assimilation pour “la question des Premières Nations, et ce quasiment
sans aucune opposition au niveau politique”.[2]
Idle
No More exige que des changements législatifs soient mis en œuvre par
suite des accords de “nation à nation” passés entre le Gouvernement et
les Premières Nations. Leur manifeste dit que “l’esprit et l’intention
des Accords de traités signifiait
que les peuples des Premières Nations partagent le pays, mais aussi
qu’ils conservent leurs droits inhérents aux terres et ressources”.
Gehl
explique toutefois que le “Canada n’a pas la volonté politique
nécessaire pour faire changer significativement les choses, et que cela
ne changera que si les Canadiens insistent pour que le gouvernement se
mette à respecter les droits autochtones de traités. Par exemple, le
peuple Algonquin Anishinaabe de la Vallée de la Rivière Ottawa sont en
plein processus de revendication des terres et d’entente sur leur
autonomie gouvernementale. Le Canada appelle ça la négociation de
traité, mais il n’en est rien.
Le Parlement canadien se trouve sur
territoire Algonquin Anishinaabe ; or l’offre déposée récemment
proposait seulement 1,3% du territoire traditionnel et un rachat
ponctuel pour 300 millions de dollars. Cette offre est aussi insultante
qu’elle n’est arrogante. Le Canada ne respecte pas notre compétence
juridique en ce qui concerne nos terres et nos ressources, mais ce
n’est qu’à ce prix que nous pourrons vivre comme un peuple autonome.”
Partant
de sa connaissance et de son expérience d’une colonisation dont
l’histoire est longue, Gehl signale toutefois un changement positif,
non seulement en ce qui concerne les terres mais aussi les mentalités :
“Je pense que quelque chose a effectivement changé. Dans la mesure où le
système d’éducation canadien enseigne le nationalisme d’État, bon
nombre de Canadiens ne saisissent pas les questions des droits
autochtones, ni ne comprennent que nos droits sont aussi les leurs.
Grâce au mouvement Idle No More, beaucoup de personnes non-autochtones
ont pris conscience.
Parallèlement aux séminaires, le mouvement INM
présente de l’art, des chansons, des vidéos, des podcasts et des blogs
auxquels les gens peuvent accéder par le biais des médias sociaux et
l’internet. L’une des fondatrices, Sheelah, est par ailleurs une alliée
Canadienne non-autochtone importante. Cela a mis en lumière le besoin de
coalitions de principe fondées sur une solidarité plus authentique que
feinte. En quelques mots, nous devons suivre la tortue ou le plus
opprimé dans leur moindre progrès. Ce changement de conception
constitue une importante évolution.”
Donnons la parole aux voix de la base
Les
fondatrices du mouvement INM sont convaincues qu’il faut donner la
parole aux voix de la base. Cela exige d’appuyer et d’encourager les
communautés dans la création et la gestion de leurs propres espaces de
discussion et d’apprentissage, où elles peuvent obtenir plus
d’informations sur les droits autochtones et leurs responsabilités à
l’égard du concept de nation à travers des séminaires, des assemblées,
des cours en ligne et des réseaux sociaux.
Pour elles, l’une des
stratégies clés consiste à créer des relations avec des alliés à travers
le Canada et à mener des actions contribuant à construire des relations
avec des organismes internationaux tels que les Nations Unies, qui sont
susceptibles d’aider à révéler les conditions d’oppression auxquelles
ont été soumises les populations autochtones et à affirmer leur
souveraineté à l’échelle internationale.
La bloggeuse et
éducatrice âpihtawikosisân de la Nation des Cris a organisé une
discussion ouverte pour les femmes de Idle No More par le biais des
nouvelles plateformes de communication qui s’est tenue le 26 janvier
2013. Un échange constructif de connaissances collectives a eu lieu
pendant la vidéoconférence, et certaines des suggestions et des idées
partagées au cours de l’événement ont été réunies par la bloggeuse dans
un post sur son blog.
L’un des débats concernait les langues autochtones comme un moyen de
résurgence et de conservation de la culture. Les participantes ont
échangé leurs expériences des “immersions linguistiques”,
qui partent du principe que les enfants en bas âge acquièrent le
langage naturellement dans des écoles immersives, où ils apprennent au
contact des membres de leur communauté, notamment des anciens, des
parents et des grands-parents.
La communication et le flux
d’informations ont également fait l’objet de débat lors de la discussion
ouverte pour les femmes. Le mouvement s’est considérablement élargi en
très peu de temps sur les réseaux sociaux, mais reste à savoir comment
approfondir la communication entre les communautés et la population
Canadienne au sens large.
Un autre sujet de préoccupation a été soulevé
quant à l’utilisation des nouvelles technologies qui font s’apparenter
le INM à un phénomène urbain, alors que de nombreuses actions ont été
menées dans des communautés rurales. L’utilisation d’autres médias tels
que la radio communautaire et les prospectus s’avèrera importante pour
pallier au manque d’accès à internet et aux réseaux sociaux de certaines
communautés.
Notes :
(*) Dr. Lynn Gehl (Gii-Zhigaate Mnidookwe) est une
Algonquin Anishinaabe-kwe de la Vallée de la rivière Ottawa dans
l’Ontario, au Canada. Elle est apprenante- chercheuse, penseuse,
écrivaine, une bloggeuse Blackface, et une défenseure des droits humains autochtones depuis 27 ans.
[1]
“L’année 1969, qui a vu le gouvernement Canadien publier le Livre blanc
dont l’intention était d’éradiquer les droits des populations
autochtones, a constitué un tournant dans le processus de renaissance et
de revitalisation du mouvement. Cela a coïncidé avec un grand mouvement
de solidarité des populations autochtones à travers le Canada. L’année
1969 est donc fréquemment citée comme un autre point important de la
résistance autochtone.
” Pour en savoir plus sur le Livre blanc (en anglais) : Cliquez ici !
[2]
Idle No More: Que voulons-nous et où allons-nous? Cliquez ici !
Source : AWID