Par Yaya Si (*)
D’un trait de plume, selon leur humeur,
quelques énarques en manque d’imagination, tapis dans les bureaux à
atmosphère feutrée du Ministère de l’Enseignement Supérieur, ont décidé
comme par enchantement d’élaguer la science de ses branches qu’ils
jugent « inutiles ». Allez ! Qui mettre aux oubliettes ? Aujourd’hui on commence par
supprimer l’ethnologie anthropologie de la nomenclature d’intitulés de
licence, demain ce sera au tour de la sociologie, de la philosophie, de
la psychologie et je ne sais quoi encore. La « tribu » des bien- nés et bien-pensants de l’ENA a décidé de
s’attaquer à celle des
« indigènes-naturels-primitifs-archaïques-premiers… » de
l’ethno-anthropologie.
Incapables de comprendre ce monde qui s’accélère et se « retribalise » pourtant à vue d’œil dans un processus d’uniformisation déroutant appelé mondialisation, ils jettent par-dessus bord « les détenteurs des sciences occultes… les budgétivores, doublés de leurs logiques païennes qui n’ont rien d’orthodoxe… et a fortiori de scientifique… » Comment apprivoiser cette re-tribalisation ?
Mais empêtrés dans leurs dénombrements et leurs mises en équation de la planète, ils ont vite oublié « le génie du paganisme » (Augé) qui lui a permis de résister partout dans le monde à l’enterrement « sans fleurs ni couronnes » que voulaient lui réserver les monothéismes dominateurs.
Depuis bien longtemps ethnologues et anthropologues ont mis en exergue par le contraste comparatif et la réflexion, l’accélération de la modernité et sa dé-réalisation par le signe dès la naissance du minitel… (signes ou images selon G. Balandier).
Ce sont les anthropologues qui ont mis en parallèle l’agora grecque et l’arbre à palabre africain. Ce sont eux qui, les premiers, ont mis en exergue la « retribalisation » du monde (archaïsme tribal de Maffesoli), explicité la mise en scène du social et la ritualisation du politique (Balandier et Rivière). Ils ont disséqué les structures de la parenté (L. Strauss) et montré la puissance destructrice d’humanité et de socialité qu’est l’esclavage (Meillassoux).
Ils ont pris la mesure du biologique pour le placer à sa juste place par rapport au social et aux acquis. Ils ont initié à la connaissance des échanges humains non monétarisés mais hautement symboliques (don et contre don de Mauss).
Au Brésil et partout en Amérique du sud, ils se sont battus et se battent encore aux côtés des dernières populations indiennes de la forêt amazonienne pour le respect de leur dignité niée par certains technocrates assoiffés de dollars et bras armés des multinationales.
Ils sont de tous les combats pour que l’humanité ose enfin se regarder en face telle qu’elle est.
La « tribu énarchiste» ferait plutôt mieux de faire appel à ces « chamans » modernes pour se pencher sur l’origine de son « incapacité » mais surtout de son désarroi à chiffrer, déchiffrer, dénombrer et classifier les désordres d’un monde qu’elle dirige pourtant vers des abîmes insondables et dangereux depuis maintenant plus d’un siècle. Une « incapacité » certainement liée au formatage originel et au gavage incontrôlé de ses membres…
Certes les premiers ethnologues sont nés d’un accouchement difficile de la modernité à travers la colonisation, la domination, le saccage et la destruction des autres peuples et de leurs cultures par l’Europe. Mais des anthropologues et des ethnologues se sont vite levés avec véhémence contre la hiérarchisation biologique de l’humanité qui a irrémédiablement conduit au Nazisme en Europe.
Partout dans le monde, ethnologues et anthropologues se battent encore et toujours pour ériger un miroir pour l’humanité à l’image de la mondialisation. Un miroir qui lui permettra de regarder sans fausse honte sa nudité, sa naturalité, sa diversité fractale, son indivisibilité, mais surtout sa socialité.
Ma rencontre avec l’ethnologie-anthropologie à travers l’Ecole de Balandier en pleine recherche de mon humanité en France, m’a poussé, non à vouloir éliminer le « rire Banania » des murs de France comme nos aînés, mais à me réconcilier avec moi-même d’abord, puis avec cette France complexe et multiple.
En un mot, elle m’a ouvert à mon identité et au monde. J’ai alors compris que la complexité de mon humanité « métisse » est en fait une donnée universelle (principales influences culturelles qui ont façonné ma perception du monde : peule, soninkée, malinkée, bambara, oulof, française, etc.)
Peut-on comprendre l’homme collectivement et individuellement face à la maladie, à la mort, à la joie, à la tristesse et à toutes les étapes initiatiques de la vie sans les études ethnographiques et les comparaisons anthropologiques à l’échelle des microstructures en réseaux, des régions, des nations et de l’homme lui-même plus que jamais « incalculable».
Que serait l’histoire générale du monde sans les études ethnologiques et anthropologiques ? Peut-on imaginer un seul instant une histoire générale de l’Afrique sans Hampâté Bâ, Balandier, Monteil, Rouch, Leiris, Meillassoux, etc. ?
D’où nous vient la connaissance des innombrables « tribus » africaines et amérindiennes, sinon d’ethnologues consciencieux qui ont travaillé et vécu dans les conditions inimaginables dans la forêt amazonienne ou africaine. Les élites des cabinets ministériels peuvent-elles imaginer un instant ces efforts durables et soutenus pour la science ? (Exemple Levi –Strauss)
A cette question je réponds : Non ! ! !
Actuellement la terre comme support des civilisations humaines est en état de « saccage avancé» aux plans écologique et humain. La contemporanéité et la simultanéité sédimentaires de certains phénomènes culturels liés aux technologies partagées n’effacent point la diversité et l’unité de l’homme, d’où le désarroi des journalistes, des analystes spécialisés et de nos énarques, tous devenus à leur corps défendant effaceurs d’humanité.
Anthropologues et ethnologues ont, depuis des lustres pris la mesure de la décentration et parfois de l’inadéquation des greffes artificielles d’objets matériels et de techniques sur des cultures différentes (par exemple l’introduction massive d’armes à feu comme priorité avant la lutte contre l’analphabétisme ou l’acquisition des techniques agricoles en Afrique… fait que les affamés s’éliminent tous seuls…). Ils se sont toujours plongés dans l’étude du décalage des rythmes et des temporalités dans les différentes strates des sociétés contemporaines.
L’ethnologie et l’anthropologie invitent à la réflexion, à la pensée et à la production de connaissances constructives et positives pour les générations futures pour en faire des citoyens éclairés, tolérants, solidaires des plus faibles et respectueux de l’humanité entière et de ses productions culturelles.
Révélatrices de nos identités sédimentaires, elles sont indispensables à la lecture du monde, à celle des comportements collectifs et individuels même vêtus de leurs reliques toujours visibles en filigrane par elles.
Non, ethnologie et anthropologie ne disparaîtront que dans les esprits fermés ou étriqués qui continuent à nier les cris d’espoir de l’humanité.
Note :
(*) Docteur en anthropologie sociale
Incapables de comprendre ce monde qui s’accélère et se « retribalise » pourtant à vue d’œil dans un processus d’uniformisation déroutant appelé mondialisation, ils jettent par-dessus bord « les détenteurs des sciences occultes… les budgétivores, doublés de leurs logiques païennes qui n’ont rien d’orthodoxe… et a fortiori de scientifique… » Comment apprivoiser cette re-tribalisation ?
Mais empêtrés dans leurs dénombrements et leurs mises en équation de la planète, ils ont vite oublié « le génie du paganisme » (Augé) qui lui a permis de résister partout dans le monde à l’enterrement « sans fleurs ni couronnes » que voulaient lui réserver les monothéismes dominateurs.
Depuis bien longtemps ethnologues et anthropologues ont mis en exergue par le contraste comparatif et la réflexion, l’accélération de la modernité et sa dé-réalisation par le signe dès la naissance du minitel… (signes ou images selon G. Balandier).
Ce sont les anthropologues qui ont mis en parallèle l’agora grecque et l’arbre à palabre africain. Ce sont eux qui, les premiers, ont mis en exergue la « retribalisation » du monde (archaïsme tribal de Maffesoli), explicité la mise en scène du social et la ritualisation du politique (Balandier et Rivière). Ils ont disséqué les structures de la parenté (L. Strauss) et montré la puissance destructrice d’humanité et de socialité qu’est l’esclavage (Meillassoux).
Ils ont pris la mesure du biologique pour le placer à sa juste place par rapport au social et aux acquis. Ils ont initié à la connaissance des échanges humains non monétarisés mais hautement symboliques (don et contre don de Mauss).
Au Brésil et partout en Amérique du sud, ils se sont battus et se battent encore aux côtés des dernières populations indiennes de la forêt amazonienne pour le respect de leur dignité niée par certains technocrates assoiffés de dollars et bras armés des multinationales.
Ils sont de tous les combats pour que l’humanité ose enfin se regarder en face telle qu’elle est.
La « tribu énarchiste» ferait plutôt mieux de faire appel à ces « chamans » modernes pour se pencher sur l’origine de son « incapacité » mais surtout de son désarroi à chiffrer, déchiffrer, dénombrer et classifier les désordres d’un monde qu’elle dirige pourtant vers des abîmes insondables et dangereux depuis maintenant plus d’un siècle. Une « incapacité » certainement liée au formatage originel et au gavage incontrôlé de ses membres…
Certes les premiers ethnologues sont nés d’un accouchement difficile de la modernité à travers la colonisation, la domination, le saccage et la destruction des autres peuples et de leurs cultures par l’Europe. Mais des anthropologues et des ethnologues se sont vite levés avec véhémence contre la hiérarchisation biologique de l’humanité qui a irrémédiablement conduit au Nazisme en Europe.
Partout dans le monde, ethnologues et anthropologues se battent encore et toujours pour ériger un miroir pour l’humanité à l’image de la mondialisation. Un miroir qui lui permettra de regarder sans fausse honte sa nudité, sa naturalité, sa diversité fractale, son indivisibilité, mais surtout sa socialité.
Ma rencontre avec l’ethnologie-anthropologie à travers l’Ecole de Balandier en pleine recherche de mon humanité en France, m’a poussé, non à vouloir éliminer le « rire Banania » des murs de France comme nos aînés, mais à me réconcilier avec moi-même d’abord, puis avec cette France complexe et multiple.
En un mot, elle m’a ouvert à mon identité et au monde. J’ai alors compris que la complexité de mon humanité « métisse » est en fait une donnée universelle (principales influences culturelles qui ont façonné ma perception du monde : peule, soninkée, malinkée, bambara, oulof, française, etc.)
Peut-on comprendre l’homme collectivement et individuellement face à la maladie, à la mort, à la joie, à la tristesse et à toutes les étapes initiatiques de la vie sans les études ethnographiques et les comparaisons anthropologiques à l’échelle des microstructures en réseaux, des régions, des nations et de l’homme lui-même plus que jamais « incalculable».
Que serait l’histoire générale du monde sans les études ethnologiques et anthropologiques ? Peut-on imaginer un seul instant une histoire générale de l’Afrique sans Hampâté Bâ, Balandier, Monteil, Rouch, Leiris, Meillassoux, etc. ?
D’où nous vient la connaissance des innombrables « tribus » africaines et amérindiennes, sinon d’ethnologues consciencieux qui ont travaillé et vécu dans les conditions inimaginables dans la forêt amazonienne ou africaine. Les élites des cabinets ministériels peuvent-elles imaginer un instant ces efforts durables et soutenus pour la science ? (Exemple Levi –Strauss)
A cette question je réponds : Non ! ! !
Actuellement la terre comme support des civilisations humaines est en état de « saccage avancé» aux plans écologique et humain. La contemporanéité et la simultanéité sédimentaires de certains phénomènes culturels liés aux technologies partagées n’effacent point la diversité et l’unité de l’homme, d’où le désarroi des journalistes, des analystes spécialisés et de nos énarques, tous devenus à leur corps défendant effaceurs d’humanité.
Anthropologues et ethnologues ont, depuis des lustres pris la mesure de la décentration et parfois de l’inadéquation des greffes artificielles d’objets matériels et de techniques sur des cultures différentes (par exemple l’introduction massive d’armes à feu comme priorité avant la lutte contre l’analphabétisme ou l’acquisition des techniques agricoles en Afrique… fait que les affamés s’éliminent tous seuls…). Ils se sont toujours plongés dans l’étude du décalage des rythmes et des temporalités dans les différentes strates des sociétés contemporaines.
L’ethnologie et l’anthropologie invitent à la réflexion, à la pensée et à la production de connaissances constructives et positives pour les générations futures pour en faire des citoyens éclairés, tolérants, solidaires des plus faibles et respectueux de l’humanité entière et de ses productions culturelles.
Révélatrices de nos identités sédimentaires, elles sont indispensables à la lecture du monde, à celle des comportements collectifs et individuels même vêtus de leurs reliques toujours visibles en filigrane par elles.
Non, ethnologie et anthropologie ne disparaîtront que dans les esprits fermés ou étriqués qui continuent à nier les cris d’espoir de l’humanité.
Note :
(*) Docteur en anthropologie sociale
Source : le blog de Dejan Dimitrijevic sur MEDIAPART