Par José Manuel Rambla – Traduction de Libres Amériques
Le Brésil est dans l’actualité. Mais pas tout le Brésil. Les
peuples originaires en 2012 ont vécu une de leurs pires années, avec des
assassinats, la spoliation de territoires et des suicides, en ce qui est
considéré à présent comme « un génocide silencieux ». Le rapport que nous détaillons dans cet
article est la géographie de l’oubli et du racisme. La vague de protestations
qui ces dernières semaines s’est étendue à l’ensemble du Brésil a mis en
évidence les profondes contradictions entretenues par un modèle de
développement présenté comme un modèle de référence
Des réalités spécialement oubliées comme ceux qui
souffrent comme les populations amérindiennes, marqués par la
désarticulation sociale et culturelle et une violence qui ne cesse d’augmenter,
comme le met en évidence le CIMI (1) dans son dernier rapport annuel. Et selon
cette organisation non gouvernementale liée à l’église catholique, le nombre de
cas de violence a augmenté de 237% en 2012.
Au total, selon la documentation recueillie par le CIMI, l’année passé, 1276 actes de violence contre des personnes ont été comptabilisés, dans lesquels sont inclus les homicides jusqu’aux menaces, en passant par les agressions, les actes de racisme ou la violence sexuelle. Cependant, les chiffres réels pourraient être plus élevés encore, comme parfois cela est mis en évidence par certaines entités officielles comme le Ministère de la Santé.
Soixante de ces cas ont été des assassinats, ce qui suppose la
comptabilisation de 9 victimes en plus que l’année antérieure. Sur les
assassinats enregistrés par le CIMI, 37 se sont produits dans l’état du Mato
Grosso do Sul, un chiffre qui est même en dessous de la réalité, sachant que
les données du Ministère de la Santé l’élèvent à 43. Au total, l’ONG a
comptabilisé 563 autochtones assassinés durant les 10 dernières décennies, plus
de la moitié d’entre eux (317) dans le Mato Grosso do Sul, l’état où les
peuples originaires se trouvent dans la situation la plus difficile.
Quinze des assassinats comptabilisés au cours d’affrontements,
accompagnés en majorité par des abus d’alcool, ce qui met en évidence le
phénomène de déstructuration social touchant les communautés amérindiennes. Cependant,
dans au moins trois cas, la cause du crime était en lien avec le contrôle du
territoire. Ainsi deux tueurs exécutèrent dans la commune de Graujau (Maranhão),
Francisco da Conceição Souza, un autochtone Guajajara qui venait de dénoncer
l'invasion des terres amérindiennes de Bacurizinho par des forestiers illégaux
et des narcotrafiquants. De même, le contrôle de la terre est intervenu après
la mort de João Oliveira da Silva, qui avait dû déjà supporter les menaces de
mort de la part des occupants des terres des Kaxararis dans la localité de Lábrea
dans l’état du Rondonia, où deux autochtones Potiguaras avaient été tués par un
tueur à gage, suite à ce que
plusieurs caciques (chefs amérindiens) aient interdit la location des terres
pour planter de la canne à sucre.
Entre les cas enregistrés l’année passée, sans doute ce qui a
connu le plus de répercussion fut l’intervention de 400 agents de police et de
la Garde Nationale qui entrèrent de force dans la commune du peuple Munduruku
de Jacareacanga, à la frontière entre les deux états du Mato Grosso do Sul et
du Para. L’opération dans la région a été justifiée en raison d’une supposée
mine illégale, déclenchant un affrontement entre les agents et les habitants et
se soldant par trois amérindiens touchés par des tirs, parmi lesquels,
Edelnilson Krixi, est mort.
En plus de ces événements, ont été recensés 23 autres tentatives
de meurtre, parmi lesquelles se trouvent les attaques réalisées par des tueurs
contre des campements Guarani-Kaiowa, dans le Mato Grosso do Sul, ou sur des
terres réoccupées par les Pataxó-Hã-Hã-Hãe à Bahia. Également 21 homicides ont
été enregistrés, en majorité dans des accidents dans lesquels les conducteurs
ont pris la fuite, qui selon quelques témoignages, ils pourraient dans quelques
cas cacher des meurtres maquillés.
A toutes ces agressions, le CIMI ajoute un autre type de
violence, celui provoqué par omission dans la procédure par les pouvoirs
publics Dans cette même logique, les déficiences apparaissent paradigmatiques
dans les services d'aide sanitaire aux populations autochtones. L'ONG a
comptabilisé 86 incidents de cette catégorie pendant l'année passée, concernant
dans son ensemble une population de 80.496 personnes. Dans au moins sept cas,
la victime est décédée par la faute d’une inattention (ou d’un manquement de
soin). Devant cette situation, en mars de l'année passée environ 1.400
travailleurs convoqués par le Syndicat de Travailleurs des Zones
« Indigènes » s’étaient mis en grève en protestation contre la
réduction de 30 % des équipes d'aide sanitaire pour les populations
originaires, affectant les services sanitaires de 56.000 amérindiens.
Paradoxalement, comme le CIMI le fait remarquer, en 2012 le gouvernement
fédéral a exécuté seulement 8,7 % (des dépenses) de son propre budget déjà
exigu de 26,6 millions de reales (8,5 millions d’euros) dédié aux unités de
santé pour les peuples autochtones.
L’absence d’attention, additionnée à la déstructuration touchant
les sociétés autochtones, la violence et l’alcoolisme se forment également dans
un phénomène concernant dramatiquement les populations originaires
brésiliennes : le haut taux de suicide. Au total le CIMI a relevé durant
2012, 23 cas de suicide, neuf d’entre eux se sont déroulés dans les communautés
Guarani-Kaiowá établies dans l’état du Mato Grosso do Sul. Un chiffre qui selon
la même ONG est très en dessous de la réalité existante, qui selon les chiffres
du Ministère de la Santé, il aurait été enregistré 56 suicides l’année passée.
De fait, les mêmes sources officielles ont recensé le suicide de 611 membres de
cette communauté ayant perdus la vie depuis l’année 2000, des données prises en
compte par le CIMI, qualifiant de « génocide silencieux » la
situation vécue dans le Mato Grosso do Sul
En grand partie, une bonne part de cette violence subie par les
populations autochtones brésiliennes a pour toile de fond la lutte pour le
contrôle de la terre s’inscrivant dans un pays ayant fait de l'expansion
agricole et commerciale et la prolifération d'infrastructures hydroélectriques,
l'une des clés de sa croissance. Un modèle, comme le met en relief le
secrétaire exécutif du CIMI, Cleber Buzatto, qui entre en collision avec la
réalité amérindienne. « La vie des peuples originaires est liée à la
terre. C'est sa terre ancestrale où l'Amérindien est ». « Le
gouvernement doit solder d'urgence cette dette historique avec les peuples
autochtones. C'est l’unique forme pour favoriser les conditions fondamentales
pour la survivance physique et culturelle de ces populations », souligne
Buzatto.
Cependant, cette dette historique n’est pas prête de se voir
soldée. Pas en vain, comme le dénonce le CIMI, le gouvernement de Dilma
Rousseff a été celui, ayant le moins homologué de terres aux originaires depuis
la restauration de la démocratie en 1985. Ainsi des 1.045 terres autochtones
comptabilisées par l'ONG, seulement 34 % ont été pleinement régularisées depuis
1990 jusqu’à la fin 2012. Parmi elles, pour 339 cas, il n’a été donné aucune
suite pour normaliser une reconnaissance. Au contraire, la pression de
l'agriculture marchande et du groupe ruraliste du Congrès l'année passée a fait
que seuls sept territoires ont été régularisés, ce qui signifie qu’à ce rythme,
l'État brésilien mettra plus d'un siècle à rendre aux communautés amérindiennes
leurs propres terres.
Et se joint à cela une circonstance aggravante, la forte
pression que les territoires amérindiens subissent de la part des fermiers, des
exploitations minières et des forestiers illégaux, ou des infrastructures
hydroélectriques. Selon le CIMI, tout cela a provoqué pendant l'année 2012, au
moins 9 conflits dans les territoires des peuples Tapeba, Myky, Bororo,
Guarani-Kaiowá, Ororobá, Kadiwéu, Amanaye et Turamã. De plus, 62 occupations de
territoires ont été commises, soit 47 % de plus qu'en 2011. Toute cette
pression est spécialement sensible pour les peuples amérindiens isolés se
voyant pour ce motif sérieusement menacés. C'est le cas des Awá Guajá de
Maranhó, des communautés isolées du Alto Río Envira, de la Vallée de Javari - les impacts du Complexe Hydroélectrique et la Réserve de Bom Futuro, - ou les
communautés affectées dans les bassins des rivières Xingu et Tapajós par des
projets comme le barrage de Belo Monte.
Tous ces cas, rassemblés dans son rapport par le CIMI dessinent la
géographie d'un oubli, la carte d'une injustice séculière que l'État brésilien
affronte, au mieux, avec une paresse dissimulée. Et peut-être ce qui est encore
plus inquiétant avec l'indifférence complice d'une opinion publique nationale
et internationale, réconfortée par le silence des grands médias.
Note :
(1) Sigle du CIMI en portugais : Conselho Indigenista
Missionário
Source : Otra América