lundi 24 juin 2013

Bolivie, le mode de vie des Kallawayas reste menacé !

Les kallawayas, 
peuple guérisseur 
des Andes

Par Aline Timbert

En Bolivie, la province Bautista Saavedra située dans le département de La Paz est principalement connue pour abriter au sein de sa population native (quechua, aymara) la communauté des kallawayas. Cette dernière est celle des célèbres guérisseurs des Andes, de fins connaisseurs des plantes dont la capacité à soigner était déjà connue des Incas qui avaient recours à leurs précieux services… Les kallawayas sont détenteurs d’un savoir ancestral relatif aux plantes médicinales (racines, feuilles, graines…), des thérapies préventives et curatives qui font partie des connaissances de ce peuple des montagnes, gardien infatigable de la cosmovision andine où se mêlent croyances et soins phytothérapiques.

À environ 250 km du lac Titicaca, résident dans les localités de Curva, Chajaya, Kamlaya, Huata Huata, Inka, Amarete, Chari, Pampablanca, Chakapari et Charazoni, les plus grands experts des plantes aux vertus thérapeutiques.  

L’origine des kallawayas se perd dans l’histoire millénaire de la civilisation des Andes, quelques indices suggèrent sa présence avant l’établissement de l’Empire inca durant la splendeur du règne de la culture du Tiawanaco disparue au XI siècles de notre ère. 

Sa localisation actuelle dans la région de Bautista Saavedra, logiquement baptisée « capitale de la médecine traditionnelle » a probablement favorisé le développement de son art en facilitant l’accès non seulement à la biodiversité de l’Altiplano, mais aussi aux zones de plus basse altitude y compris au niveau subtropical avec la végétation des pré-yungas.  

Les Kallawayas bénéficient ainsi de l’une des plus importantes pharmacopées végétales du monde, avec près d’un millier d’espèces botaniques.

Les kallawallas sont des guérisseurs renommés, des « curanderos » itinérants qui voyagent de région en région, de pays en pays de façon inlassable, d’ailleurs en langue aymara, leur nom signifie « quitter la maison ». 

En quechua, kallawalla fait référence « à l’homme qui charge des herbes médicinales ».

Dans un rapport émis par le musée ethnographique de Göteborg (Museo Etnográfico de Gotemburgo Etnologiska Studier de 1972), il est fait mention de la façon dont les kallawallas font macérer les plantes sélectionnées, une méthode qui s’expliquerait par la volonté de conserver le plus longtemps possible leurs bienfaits ce qui leur permet de prendre la route en qualité d’éternels voyageurs.

Différents lieux situés aujourd’hui en Bolivie, Argentine et Chili, portaient le nom de Qollasuyu durant l’Empire inca, à savoir « la terre de la médecine« . Une chose est certaine, la Conquête puis la colonisation espagnole ne sont pas parvenues à effacer la culture kallawalla, le savoir ancestral a perduré tout au long des siècles, il a été transmis de forme orale de père en fils, l’on suppose dans la langue secrète Machaj juyay ou Machajjuya, un idiome utilisé par l’élite inca qu’une minorité d’individus pouvait comprendre.

On estime qu’au XIXe siècle environ 500 kallawayas exerçaient comme guérisseurs, au XXe siècle le nombre a fortement diminué, ce sont environ 50 personnes qui pérennisent ces précieuses connaissances du monde végétal. 

Les kallawayas se sont ainsi rendus sur les chantiers du canal de Panama pour soigner les malades atteints du paludisme avec la quina, et ils ont également sauvé de nombreuses vies pendant la guerre du Chaco.

La médecine kallawaya trouve ses origines dans la vision andine du monde, selon cette théorie l’être humain est le fruit de trois éléments vitaux : le athun ajayu, force divine qui confère les facultés de penser, de ressentir et de bouger, le juchui ajayu, corps astral ou animiste, et enfin le corps physique ou s’incarnent l’ensemble des ajayus. 

 

L’habitant des Andes entretient par ailleurs un rapport privilégié avec la nature, il vit sous son influence même et l’Homme doit être en harmonie avec son environnement, sa communauté et ses us et coutumes, il doit vivre dans le pur respect de la Terre mère (Pachamama) pour demeurer en bonne santé (osmose âme-corps) et maintenir l’équilibre socio-environnemental.

La cosmovision andine de la culture des kallawayas réunit un ensemble pertinent de mythes, de rituels, de valeurs et manifestations artistiques. Chasse gardée des hommes, cette science de la guérison procède d’une maîtrise hors pair de la pharmacopée animale, minérale et botanique et d’un ensemble de savoirs rituels en parfaite adéquation avec les croyances religieuses.

Les « curanderos » nomades prodiguent des remèdes aux patients grâce à des connaissances médicales et pharmaceutiques qui s’orientent autour d’un système ardu de transmission et d’apprentissage dans lequel le déplacement de lieu en lieu joue un rôle primordial. 

Les femmes Kallawaya peuvent prendre part à certains rites, elles s’occupent de la santé maternelle et infantile, et confectionnent des étoffes dont les motifs et ornements symbolisent la cosmovision Kallawaya.

Pendant les cérémonies rituelles, des groupes de musiciens appelés kantus jouent du tambour et de la flûte de pan pour rentrer en connexion avec le monde des esprits.

En décembre 2009, le ministre de la santé bolivien annonçait l’inauguration des deux premières pharmacies interculturelles dont le but est de proposer à la population des médicaments pharmaceutiques issus de la médecine occidentale et d’autres confectionnés par les guérisseurs indigènes « kallawayas », une médecine traditionnelle d’autant plus intéressante que, peu coûteuse, elle est donc adaptée à la situation socio-économique de la majorité des Boliviens.

Ce dernier a expliqué que les patients pourraient ainsi choisir les remèdes les plus appropriés à leurs maux, parmi les remèdes traditionnels nous retrouvons un sirop de coca, de la poudre de maca utilisée comme revigorant, de la teinture de valériane (aux vertus sédatives et calmantes) ou encore de la pommade à base de torunco, une plante qui soulage les rhumatismes. 

Des pharmacies interculturelles qui s’inscrivent dans le cadre de la Constitution politique de l’État plurinational mise en place par le président aymara Evo Morales qui reconnaît « les savoirs et connaissances traditionnelles des peuples indigènes ».

Sous l’impulsion en 1987 de Walter Alvarez Quispe, aymara et député qui avait émis le souhait de promouvoir la véritable médecine kallawaya, a été crée l’Institut bolivien de médecine kallawaya traditionnelle avec pour objectifs de promouvoir, orienter et ordonner la recherche scientifique des ressources naturelles de la flore utilisée par les natifs, d’identifier les principes actifs…

Malgré cette reconnaissance nationale et même internationale, la culture Kallawaya, figurant depuis 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (originellement proclamé en 2003), le mode de vie ancestral des Kallawayas reste menacé. 

Le danger étant de voir disparaître ce savoir unique (menace qui pèse sur l’écosystème indispensable à la subsistance des Kallawayas par exemple) ou de le voir pillé par de puissants groupes pharmaceutiques avides de rentabiliser au plus vite des connaissances acquises à force de patience et de recherche, au fil des siècles, par un peuple aussi énigmatique que fascinant…


Source : article et photos du blog ACTU LATINO