peuple guérisseur
des Andes
Par Aline Timbert
En
Bolivie, la province Bautista Saavedra située dans le département de La
Paz est principalement connue pour abriter au sein de sa population
native (quechua, aymara) la communauté des kallawayas. Cette dernière
est celle des célèbres guérisseurs des Andes, de fins connaisseurs des
plantes dont la capacité à soigner était déjà connue des Incas qui
avaient recours à leurs précieux services… Les
kallawayas sont détenteurs d’un savoir ancestral relatif aux plantes
médicinales (racines, feuilles, graines…), des thérapies préventives et
curatives qui font partie des connaissances de ce peuple des montagnes,
gardien infatigable de la cosmovision andine où se mêlent croyances et
soins phytothérapiques.
À
environ 250 km du lac Titicaca, résident dans les localités de Curva,
Chajaya, Kamlaya, Huata Huata, Inka, Amarete, Chari, Pampablanca,
Chakapari et Charazoni, les plus grands experts des plantes aux vertus
thérapeutiques.
L’origine des kallawayas se perd dans l’histoire
millénaire de la civilisation des Andes, quelques indices suggèrent sa
présence avant l’établissement de l’Empire inca durant la splendeur du
règne de la culture du Tiawanaco disparue au XI siècles de notre ère.
Sa localisation actuelle dans la région de Bautista Saavedra, logiquement baptisée « capitale de la médecine traditionnelle »
a probablement favorisé le développement de son art en facilitant
l’accès non seulement à la biodiversité de l’Altiplano, mais aussi aux
zones de plus basse altitude y compris au niveau subtropical avec la
végétation des pré-yungas.
Les Kallawayas bénéficient ainsi de
l’une des plus importantes pharmacopées végétales du monde, avec près
d’un millier d’espèces botaniques.
Les kallawallas sont des guérisseurs renommés, des « curanderos »
itinérants qui voyagent de région en région, de pays en pays de façon
inlassable, d’ailleurs en langue aymara, leur nom signifie « quitter la maison ».
En quechua, kallawalla fait référence « à l’homme qui charge des herbes médicinales ».
Dans un rapport émis par le musée ethnographique de Göteborg (Museo Etnográfico de Gotemburgo Etnologiska Studier de 1972), il est fait mention de la façon dont les kallawallas font macérer les plantes sélectionnées, une méthode qui s’expliquerait par la volonté de conserver le plus longtemps possible leurs bienfaits ce qui leur permet de prendre la route en qualité d’éternels voyageurs.
Différents lieux situés aujourd’hui en Bolivie, Argentine et Chili, portaient le nom de Qollasuyu durant l’Empire inca, à savoir « la terre de la médecine« .
Une chose est certaine, la Conquête puis la colonisation espagnole ne
sont pas parvenues à effacer la culture kallawalla, le savoir ancestral a
perduré tout au long des siècles, il a été transmis de forme orale de
père en fils, l’on suppose dans la langue secrète Machaj juyay ou
Machajjuya, un idiome utilisé par l’élite inca qu’une minorité
d’individus pouvait comprendre.
On estime qu’au XIXe siècle
environ 500 kallawayas exerçaient comme guérisseurs, au XXe siècle le
nombre a fortement diminué, ce sont environ 50 personnes qui pérennisent
ces précieuses connaissances du monde végétal.
Les kallawayas se sont
ainsi rendus sur les chantiers du canal de Panama pour soigner les
malades atteints du paludisme avec la quina, et ils ont également sauvé
de nombreuses vies pendant la guerre du Chaco.
La
médecine kallawaya trouve ses origines dans la vision andine du monde,
selon cette théorie l’être humain est le fruit de trois éléments vitaux :
le athun ajayu, force divine qui confère les facultés de penser, de
ressentir et de bouger, le juchui ajayu, corps astral ou animiste, et
enfin le corps physique ou s’incarnent l’ensemble des ajayus.
L’habitant des Andes entretient par ailleurs un rapport privilégié avec
la nature, il vit sous son influence même et l’Homme doit être en
harmonie avec son environnement, sa communauté et ses us et coutumes, il
doit vivre dans le pur respect de la Terre mère (Pachamama) pour
demeurer en bonne santé (osmose âme-corps) et maintenir l’équilibre
socio-environnemental.
La cosmovision andine de la culture
des kallawayas réunit un ensemble pertinent de mythes, de rituels, de
valeurs et manifestations artistiques. Chasse gardée des hommes, cette
science de la guérison procède d’une maîtrise hors pair de la
pharmacopée animale, minérale et botanique et d’un ensemble de savoirs
rituels en parfaite adéquation avec les croyances religieuses.
Les « curanderos » nomades
prodiguent des remèdes aux patients grâce à des connaissances médicales
et pharmaceutiques qui s’orientent autour d’un système ardu de
transmission et d’apprentissage dans lequel le déplacement de lieu en
lieu joue un rôle primordial.
Les femmes Kallawaya peuvent prendre part à
certains rites, elles s’occupent de la santé maternelle et infantile,
et confectionnent des étoffes dont les motifs et ornements symbolisent
la cosmovision Kallawaya.
Pendant les cérémonies rituelles, des groupes de musiciens appelés kantus jouent du tambour et de la flûte de pan pour rentrer en connexion avec le monde des esprits.
En
décembre 2009, le ministre de la santé bolivien annonçait
l’inauguration des deux premières pharmacies interculturelles dont le
but est de proposer à la population des médicaments pharmaceutiques
issus de la médecine occidentale et d’autres confectionnés par les
guérisseurs indigènes « kallawayas », une médecine
traditionnelle d’autant plus intéressante que, peu coûteuse, elle est
donc adaptée à la situation socio-économique de la majorité des
Boliviens.
Ce dernier a expliqué que les patients
pourraient ainsi choisir les remèdes les plus appropriés à leurs maux,
parmi les remèdes traditionnels nous retrouvons un sirop de coca, de la
poudre de maca utilisée comme revigorant, de la teinture de valériane
(aux vertus sédatives et calmantes) ou encore de la pommade à base de
torunco, une plante qui soulage les rhumatismes.
Des pharmacies
interculturelles qui s’inscrivent dans le cadre de la Constitution
politique de l’État plurinational mise en place par le président aymara
Evo Morales qui reconnaît « les savoirs et connaissances traditionnelles des peuples indigènes ».
Sous l’impulsion en 1987 de Walter
Alvarez Quispe, aymara et député qui avait émis le souhait de promouvoir
la véritable médecine kallawaya, a été crée l’Institut bolivien de
médecine kallawaya traditionnelle avec pour objectifs de promouvoir,
orienter et ordonner la recherche scientifique des ressources naturelles
de la flore utilisée par les natifs, d’identifier les principes actifs…
Malgré cette reconnaissance
nationale et même internationale, la culture Kallawaya, figurant depuis
2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de
l’humanité (originellement proclamé en 2003), le mode de vie ancestral
des Kallawayas reste menacé.
Le danger étant de voir disparaître
ce savoir unique (menace qui pèse sur l’écosystème indispensable à la
subsistance des Kallawayas par exemple) ou de le voir pillé par de
puissants groupes pharmaceutiques avides de rentabiliser au plus vite
des connaissances acquises à force de patience et de recherche, au fil
des siècles, par un peuple aussi énigmatique que fascinant…
Source : article et photos du blog ACTU LATINO