samedi 15 juin 2013

Guyane, le maire de Saül écrit à François Hollande

Lettre 
au 
Président de la République

Par Hermann Charlotte, Maire de Saül (Guyane)

Monsieur le Président de la République : Par courriers en date des 17 janvier 2013 et 22 février 2013, j’avais informé plusieurs Ministres du Gouvernement (respectivement Mme Batho et MM Montebourg et Lurel) de l’opposition ferme et motivée de la municipalité de Saül au projet minier de la société Rexma sur la crique Limonade en Guyane française. Cette opposition est affirmée de manière constante et ce depuis longtemps, avant même la délivrance du permis de recherche en 2009. Cette position de la commune s’est notamment exprimée à travers la délibération de son Conseil municipal du 29 janvier 2008 « actant un périmètre réduit de 10 kms autour de SAÜL au sein duquel aucune exploitation minière ne puisse se faire ».

Elle traduit enfin l’avis d’une très grande majorité de la population saülienne, activement relayé aujourd’hui sur les réseaux sociaux et à travers des pétitions de dizaines de milliers de signatures dans plusieurs pays européens.

A l’heure actuelle et contrairement à ce qui est affirmé par les dirigeants de la société Rexma, le secteur de la crique Limonade concerné par le projet est exempt de toute activité d’orpaillage illégal et en bon état écologique. L’activité touristique s’appuyant sur l’intégrité des patrimoines naturels de la commune est importante et nous souhaitons encore la développer.

Je tiens à souligner que cette situation s’appuie sur des éléments factuels (relevés satellitaires et de terrain) et résulte également de la politique volontariste d’éradication de l’orpaillage illégal aux alentours du bourg menée par le dispositif Harpie mis en place par l’Etat.

Aujourd’hui, cet équilibre, environnemental, économique, social et sanitaire est vivement menacé par l’ouverture de travaux miniers sur la crique Limonade qui, de surcroît, auront un impact destructeur sur le cœur de parc national situé en aval.

Ces travaux sont loin d’être anodins puisqu’ils concernent un périmètre de 120 ha au sein duquel seront réalisés des layons, des pistes de quads, des bassins de décantation, des trouées de plusieurs hectares dans le couvert forestier amazonien et la destruction de 6,6 km de cours d’eau.

De plus, les garimpeiros attendent l’installation de Rexma pour investir le secteur à partir des secteurs de l’Inini à l’ouest et de Grande usine à l’est. L’histoire a montré que l’activité aurifère légale n’a jamais été un rempart contre l’activité aurifère clandestine. Vous trouverez ci-joint l’état des lieux du secteur réalisé à la mi-février 2013, mais qui est toujours d’actualité, des suivis réguliers étant effectués par les forces de l’ordre et les agents du Parc amazonien de Guyane.

Compte tenu des arguments environnementaux et socioéconomiques que nous avons pu avancer contre ce projet minier, la plupart des grands élus de Guyane, parmi lesquels les parlementaires et l’association des maires de Guyane, ont apporté leur soutien politique à la municipalité de Saül sur ce dossier.

Je tiens à rappeler que ce projet est à portée de très court terme quant à son exploitation et à ses retombées affichées. Celles-ci sont d’autant plus discutables que le projet, s’il était mis en œuvre, anéantirait tous les effets positifs découlant des investissements publics visant un développement durable déjà engagés sur la commune depuis les années 1990, et très récemment la mise en place d’un projet ambitieux de sentiers de randonnées remarquables.

Je souhaite tout particulièrement ici vous attirer votre attention sur deux points fondamentaux :

-  Tout d’abord et comme l’illustre la carte jointe à ce courrier, 60% du territoire de la
commune de Saül est autorisé à l’activité minière à travers le Schéma Départemental d’Orientation Minière de la Guyane (SDOM) contre 6 % seulement du territoire communal spécifiquement dédié à la valorisation agricole et touristique et à l’amélioration du cadre de vie des habitants.

Il paraît donc inconcevable qu’une activité minière puisse être autorisée à se développer dans ce périmètre de 6 %, et ce d’autant que ses impacts négatifs sur le cadre de vie et l’économie actuelle de la commune seraient considérables. Une politique est soutenue depuis plusieurs années par des investissements publics conséquents dans ce secteur de la crique Limonade, correspondant pour cela à une zone non autorisée par le SDOM. Dans ces conditions, je ne peux que déplorer l’intransigeance et l’entêtement de l’opérateur minier qui refuse la recherche d’une solution alternative à son projet, en le délocalisant sur un autre secteur de la commune en cohérence avec les politiques publiques d’aménagement du territoire (SDOM et SAR).

-    D’autre part, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que la charte du Parc amazonien de Guyane, récemment validée par son conseil d’administration, entre actuellement dans sa phase d’adhésion par les communes concernées. La majorité des habitants de Saül est aujourd’hui favorable à cette charte, elle l’a exprimé au travers de l’enquête publique, relayée ainsi par la position du Conseil municipal de Saül en date du 13 novembre 2012.

Cependant une décision aboutissant à la concrétisation de l’exploitation aurifère par la société Rexma sur le site de la crique Limonade enverrait à la population locale un réel message d’incohérence des politiques publiques, susceptible de remettre en cause leur compréhension et leur adhésion à la charte du parc national, sortant une grande partie du territoire communal du périmètre du Parc amazonien de Guyane.

Dans un contexte où l’octroi de l’autorisation d’ouverture de travaux miniers (AOTM) demeure d’actualité pour ce projet aurifère, je tiens à renouveler avec détermination l’expression de notre volonté politique de maîtriser et d’ancrer le développement local du bourg de Saül et de ses environs autour de la mise en valeur écotouristique des patrimoines naturels et culturels de la commune.

Cette démarche se révèle totalement incompatible avec l’existence d’une exploitation aurifère à moins de 3 km du lieu de vie des habitants et des infrastructures d’accueil touristique déjà existantes et bafoue à la fois les engagements de protection du cœur de parc et les choix légitimes de la commune de Saül appuyés par sa population.

Je me permets ainsi, au regard de notre volonté politique affirmée, de faire appel à votre haute autorité afin de pouvoir aboutir à une solution affirmant la cohérence des politiques publiques menées sur le territoire de ma commune.

Monsieur le Président ne permettez pas que ce projet laisse penser que vous vous désintéressez du sort d’une petite commune rurale qui a œuvré pour un développement durable choisi et mis en œuvre par ses habitants.

Enfin, le Président Mitterrand a voulu ce parc national et l’a annoncé au sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, ne laissez pas dire et écrire que le Président Hollande l’a abandonné.

Vous remerciant de l’intérêt que vous pourrez porter à ce dossier, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération et de mon profond respect.


NB : En annexe de la lettre, il a été adressé au Président de la République un rapport fait en mai 2013  : "Rapport-PEX Rexma - Crique Limonade-Saül - Etat des lieux "


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Source : A bon entendeur Saül sur Facebook