Par Amnesty International France
Les autorités uruguayennes doivent adopter
d'urgence des mesures visant à supprimer les obstacles qui empêchent
d'enquêter sur les violations des droits humains commises dans le pays
entre 1973 et 1985, sous les régimes civil et militaire, et de
sanctionner les responsables, a déclaré Amnesty International. « Malgré quelques progrès et
condamnations, il est inquiétant de constater que, 40 ans après le coup
d'État, de nombreuses victimes et leurs familles sont toujours privées
de leur droit d'obtenir justice, vérité et réparations », a remarqué
Guadalupe Marengo, directrice du programme Amériques d'Amnesty
International.
Amnesty International estime que le principal
obstacle auquel sont confrontées les victimes est la Loi no 15 848, dite
« de prescription », promulguée en 1986. Cette loi interdit d'enquêter
ou d'engager des poursuites contre des membres de la police ou des
forces armées pour des infractions commises avant mars 1985.
La
Loi de prescription a été déclarée sans effet par la Loi no 18 831
adoptée en 2011. Cependant, une décision de la Cour suprême uruguayenne
datant de février 2013 a de nouveau ouvert la porte à l'impunité en ne
reconnaissant pas les crimes commis sous le régime civil et militaire et
relevant du droit international comme des crimes contre l'humanité, et
en estimant, par conséquent, que la prescription s'applique.
« Le jugement de la Cour suprême de justice rétablit en pratique les
effets de la Loi de prescription. Ce jugement est erroné d'un point de
vue juridique et doit être révisé sans délai par la justice, car il va à
l'encontre des obligations qui incombent à l'Uruguay au titre du droit
international, et qui s'imposent aussi, bien évidemment, au pouvoir
judiciaire dans son ensemble », a déclaré Guadalupe Marengo.
En
outre, la décision de la Cour suprême ne tient pas compte de
l'obligation de respecter les décisions rendues par la Cour
interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) dans l'affaire emblématique
Gelman c. Uruguay. La CIDH a estimé dans cette affaire
qu'aucune loi, pas même la prescription, ne peut être invoquée pour
empêcher une enquête sur des infractions relevant du droit international
et l'ouverture de poursuites judiciaires contre leurs auteurs présumés.
En outre, le jugement de la Cour suprême va directement à
l'encontre de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de
guerre et des crimes contre l'humanité, à laquelle l'Uruguay est partie
depuis 2001.
« L'Uruguay a des obligations internationales en
matière de droits humains qui ne peuvent pas être contournées. Mais plus
important encore, 40 ans après le coup d'État, le pays a une dette
envers sa société et envers les victimes et les familles de victimes des
actes criminels commis de manière généralisée et systématique par
l'État entre 1973 et 1985. »
Complément d’information
Le 27 juin 1973, avec le soutien des forces armées, le président
uruguayen de l'époque, Juan María Bordaberry, a dissous le Sénat et la
Chambre des Représentants et a annoncé la création d'un Conseil d'État
doté de fonctions législatives. Ce changement a marqué le début d'un
régime autoritaire qui a duré jusqu'en 1985.
Durant ces années,
des membres de la police et de l'armée uruguayennes ont commis de
graves violations des droits humains : torture, exécutions
extrajudiciaires et disparitions forcées en particulier. Au plus fort de
cette période, on estime à environ 7 000 le nombre de prisonniers
politiques. La majorité d'entre eux affirme avoir subi des actes de
torture.
La loi dite « de prescription », présentée par le
gouvernement de Julio María Sanguinetti et adoptée par le Parlement
uruguayen en décembre 1986, accorde une amnistie de fait aux
responsables présumés de ces crimes.
Deux référendums, en 1989
et 2009, ont maintenu cette loi en vigueur. Sa portée a cependant été
remise en cause par diverses décisions de justice et par la Cour
interaméricaine des droits de l'homme.
Selon la décision rendue
par la Cour suprême de justice de l'Uruguay en février 2013, le juge
pénal est encore habilité à enquêter et, s'il obtient des éléments à
charge suffisants, à engager des poursuites contre les responsables
présumés de violations des droits humains, car la possibilité d'une
action publique est maintenue.
Toutefois, en se fondant sur une
interprétation erronée du principe de non-rétroactivité de la loi
pénale, cette décision déclare inconstitutionnels les articles 2 et 3 de
la Loi no 18 813 de 2011, qui affirment le caractère imprescriptible
des crimes contre l'humanité.
De ce fait, toute enquête pénale sur les infractions commises jusqu'en mars 1985 semble vouée à l'échec puisqu'elles ne sont pas reconnues comme des crimes de l'humanité et sont donc soumises à la règle de prescription.
De ce fait, toute enquête pénale sur les infractions commises jusqu'en mars 1985 semble vouée à l'échec puisqu'elles ne sont pas reconnues comme des crimes de l'humanité et sont donc soumises à la règle de prescription.
Source : Amnesty International France