de la liberté
de la presse
au Chili
Par RSF - Amériques
Classé 60ème sur 179 pays au classement mondial de la liberté de la presse 2013 de Reporters sans frontières, le Chili se caractérise par la concentration excessive de ses médias, d’où un manque de pluralisme criant. Environ 95% des titres de presse sont aux mains de deux groupes de communication privés, El Mercurio et Copesa, destinataires uniques – à hauteur de 5 millions de dollars annuels – du système de subventions publiques instauré sous la dictature, au détriment des médias indépendants.
De même, près de 60% des antennes radiophoniques sont détenues par le groupe de presse espagnol privé Prisa. Dès lors, les médias indépendants – tels que les radios communautaires – peinent à exister et à assurer leur survie économique, dans la mesure où le pays ne dispose toujours pas d’un cadre législatif garantissant un équilibre entre les différents types de médias au sein de l’espace de diffusion.
Les médias communautaires sont également criminalisés, à travers l’article 36B de la Loi générale de télécommunications 18.168, adoptée en 1982, sous la dictature. Celle-ci prévoit des peines de prison ferme et des amendes en cas de diffusion sans fréquence légale. C’est notamment à l’appui de l’article 36B que les équipements de la station communautaire Radio Vecina ont été confisqués et que son représentant Víctor Díaz a été arrêté en août 2012, à Collipulli (Araucanie).
Outre l’existence d’un cadre législatif portant préjudice à la liberté d’information, criminalisant les délits de presse (notamment la diffamation), les journalistes sont régulièrement victimes d’abus des forces de l’ordre, en marge des mouvements de protestation. Nombre d’agressions commises par les Carabiniers, souvent assorties de détentions arbitraires, ont été recensées en marge des manifestations étudiantes qui émaillent l’actualité depuis 2011. Ces détentions, bien que brèves, s’accompagnent souvent de destruction de matériel, autrement dit de censure.
De même, plusieurs journalistes couvrant le conflit social de la région Aysén ont fait les frais de la violence des forces de l’ordre en 2012. Au vu des événements survenus dans cette région, Reporters sans frontières s’inquiète des conséquences de l’application de la loi de sécurité intérieure de l’État (LSE), datant de la dictature (1973-1990) et jamais modifiée depuis. Cette inquiétude vaut également pour la loi antiterroriste de 1984, utilisée contre des journalistes chiliens et étrangers dans la région.
Enfin, la couverture de certains sujets – comme les violations des droits de l’homme sous la dictature ou la situation des amérindiens Mapuches – reste très sensible. Plusieurs journalistes enquêtant sur la dictature, à l’image de Mauricio Weibel Barahona, ont ainsi été victimes de harcèlement, de vols et de menaces.
La situation de la liberté de circulation des informations sur Internet
Un véritable espace de liberté existe sur Internet, qui permet la circulation d’informations alternatives, contrebalançant ainsi la concentration excessive des médias traditionnels (presse, radio, télévision).
Le Chili est le premier pays à avoir inscrit dans la loi le principe de la neutralité du réseau pour les consommateurs et les usagers d’Internet (Loi n°20453 du 18 août 2010), modifiant plusieurs articles de la Loi générale de télécommunications. Ce principe introduit une série de garanties et d’obligations pour les usagers et les fournisseurs d’Internet. Ces derniers sont tenus de s’abstenir de toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau. Le respect de la vie privée des usagers est garanti. Tout blocage arbitraire de contenus ou de services est interdit.
La liberté de circulation des informations est toutefois limitée par le fait que l’accès à Internet n’est pas encore universel. De fait, selon la dernière enquête CASEN réalisée par le Ministère du développement social, plus de la moitié des foyers chiliens n’avaient pas d’ordinateurs en 2011. Parmi les foyers disposant d’un ordinateur, plus de la moitié n’étaient pas connectés à Internet.
Mesures prises par l'Etat pour améliorer la situation
Afin de promouvoir un certain équilibre entre les différents types de médias au sein de l’espace de diffusion, la Loi 20.433 sur les services de radiodiffusion communautaire et citoyenne a été promulguée en avril 2010. Cette loi devait permettre d’amplifier la capacité de diffusion des médias communautaires disposant d’une faible puissance, à travers la cession ou la réaffectation de certaines fréquences. Ce processus est toutefois bloqué en raison du refus du groupe Prisa, en août 2012, de signer l’accord en ce sens élaboré par la Subtel. La Loi 20.433 n’a donc jamais été appliquée.
Collaboration avec les organisations non gouvernementales (ONG)
Si l’Etat chilien collabore de façon ponctuelle avec certaines ONG, les revendications de celles-ci demeurent globalement peu écoutées.
Recommandations
- Reporters sans frontières appelle le Chili à adopter une nouvelle législation assurant un équilibre entre les différents médias au sein de l’espace de diffusion, afin de promouvoir un véritable pluralisme informatif.
A ce titre :
o La Loi 20.433 sur les services de radiodiffusion communautaire et citoyenne doit être appliquée, ce qui implique le respect de l’accord établi par la Subtel en 2012, visant à assurer la cession ou la réaffectation de certaines fréquences.
o Le système de subventions publiques – qui bénéficie à deux groupes de communication uniquement – doit être entièrement repensé, afin que les médias indépendants bénéficient également d’aides, cruciales pour leur survie économique.
o L’article 36B de la Loi générale de télécommunications 18.168 – qui criminalise les médias communautaires – doit être supprimé.
- L’organisation appelle l’Etat chilien à dépénaliser les délits de presse, en particulier la diffamation.
- Reporters sans frontières enjoint les forces de l’ordre à respecter l’intégrité physique et le travail des journalistes lors des mouvements de protestation. Ces derniers doivent pouvoir accéder aux lieux de rassemblement, filmer, prendre des photos et interviewer les protagonistes, sans faire être victimes de violences, voire de détentions arbitraires.
- Il revient au Ministère de l’Intérieur de d’assurer de la bonne conduite des forces de l’ordre vis-à-vis des journalistes, et, le cas échéant, de sanctionner les responsables d’exactions par l’introduction de poursuites systématiques et la mise en place de sanctions pénales et disciplinaires dans les cas d’atteinte au droit à l’information et d’agressions de journalistes. Reporters sans frontières appelle donc le Chili à mettre en application la recommandation allant dans ce sens2 qu’il avait acceptée lors de la précédente session de l’Examen Périodique Universel, en 2009.
- Il convient de mettre en place un système de dédommagement pour les éventuels frais médicaux, engendrés par les violences subies par les journalistes, ainsi que pour les cas de confiscation ou de destruction de matériel par les forces de l’ordre.
- Reporters sans frontières appelle les autorités chiliennes à garantir la sécurité des journalistes enquêtant sur des sujets sensibles, tels que les violations des droits de l’homme sous la dictature.
- Reporters sans frontières incite les autorités à limiter le champ d’application de la loi antiterroriste de 1984, utilisée dans un passé récent de manière abusive contre des journalistes chiliens et étrangers en Araucanie. L’organisation appelle donc au respect d’une recommandation3 allant dans ce sens acceptée par le Chili lors de la précédente session de l’Examen Périodique Universel, en 2009,
- L’organisation réaffirme la nécessité pour le Chili d’accepter – et de mettre en œuvre – la recommandation qui lui avait été présentée en 2009, relative au fait de « réaliser des enquêtes approfondies sur les allégations d’arrestation et d’expulsion de journalistes et de réalisateurs de films qui avaient fait des reportages sur les problèmes des Mapuches ».
Dans le cadre du Conseil des droits de l'homme – Examen périodique universel 18ème session - année 2014
Source : Reporters sans frontières Amériques