Juan Gabriel Vasquez,
écrivain colombien
« Le bruit des choses
qui tombent »
Paru aux éditions du Seuil - traduction d’Isabelle Gugnon.
Il
semble que Juan Gabriel Vasquez fasse l'unanimité autour d'un livre
surgissant comme un avertissement : Le bruit des choses qui tombent. Il
se pourrait que cet auteur soit lauréat pour un des grands prix
littéraires de la rentrée en France. Une occasion de souligner le rôle
de la peur dans le quotidien des colombiens, et de transmettre par le
biais de l'écriture tout le scepticisme que l'on peut avoir sur une paix
en Colombie.
Ci-après quelques sons et lectures à découvrir !
Ecouter Juan Gabriel Vasquez dans l'émission de Kathleen Evin "l'humeur vagabonde" sur France Inter (lundi 11 septembre 2012)
"Savoir ce qu’est la peur, la
vraie. Une peur à en mourir, Une peur à ne plus pouvoir vivre, c’est ce qui est
arrivé au narrateur, Antonio, jeune professeur de droit, grièvement blessé dans
une fusillade, en plein Bogota, un jour de l’année 1996. Ce n’était pas lui qui
était visé mais l’homme avec qui il devisait, Ricardo Laverde, son habituel
partenaire de billard dans une salle de leur quartier où ils avaient leurs
habitudes. Une sorte d’amitié silencieuse les unissait. A peu près rétabli
physiquement, mais toujours incapable de reprendre le cours d’une vie normale,
Antonio va chercher à découvrir qui était Laverde, et pourquoi il est mort. Ce
faisant, il va découvrir tout un pan de l’histoire de son pays et sa vie en sera
durablement changée."
Source France Inter - L'humeur vagabonde
Juan Gabriel Vasquez, un roman les plaies de la Colombie
(...) "Le bruit des choses qui tombent", métaphore d'un pays qui tombe, a reçu cette année en Espagne le convoité prix Alfaguara. Son premier roman, "Les Dénonciateurs" (Actes Sud, 2008), lui avait déjà valu une reconnaissance internationale.
Dans ce nouveau roman, l'auteur cherche, dit-il, "à explorer l'obscurité", à comprendre son "pays meurtri". "Je suis parti de Colombie pour des raisons littéraires, comme beaucoup d'écrivains latino-américains, d'abord en France et en Belgique puis en Espagne. Mais la peur et la violence m'ont aidé à prendre cette décision".
"Depuis l'étranger, j'ai tenté de transformer mon pays en fiction. Et cela m'a fait comprendre que j'avais beaucoup plus de questions que de réponses sur la Colombie. C'est ce qui m'a poussé à écrire".
"Ce roman a été écrit à Barcelone et les attentats de Madrid en 2004 l'ont beaucoup influencé.
Cela m'a rappelé la violence, la peur, la méfiance vis-à-vis d'autrui, la paranoïa qui régnaient dans mon pays", reconnaît-il.
Et au moment où le gouvernement colombien et la guérilla des Farc préparent des pourparlers, le 8 octobre à Oslo, le romancier se déclare "pessimiste".
"Si le trafic de drogue, la corruption, continuent de gangrener la Colombie, rien ne sera réglé. Il ne faut pas oublier la cruauté et l'inhumanité de cette guerre sale", insiste le romancier.
"Pour moi, la légalisation de la drogue dans les pays producteurs et les pays consommateurs est la seule solution pour réduire la criminalité. Mais je sais que c'est une utopie pour l'instant".
"Ma génération est née avec les narcotrafiquants, les attentats, la violence. Dans notre enfance, la Colombie était encore un pays innocent... Et puis la terreur s'est installée".
Dans "Le bruit des choses qui tombent", un avocat de 40 ans, Antonio Yammara, fouille dans le passé d'un de ses amis, Ricardo Laverde, assassiné sous ses yeux.
Nous sommes en Colombie, en 1996, au moment où la violence fait des ravages. Traumatisé, et blessé lui aussi dans la fusillade, Yammara voit son rapport au monde se détériorer.
Deux ans après l'attentat, il reçoit un coup de fil de Maya, qui dit être la fille de Laverde.
Ensemble, ils vont tenter de résoudre l'énigme de cet assassinat. Découvrir les causes de cette violence. Ce sera la seule solution pour Yammara pour reprendre sa vie en main, lui qui a aussi grandi à l'ombre mortifère du trafic de drogue et des cartels.
Juan Gabriel Vasquez ausculte ainsi les traces laissées par l'Histoire dans la mémoire et la vie d'une génération obsédée par tous ces crimes. "En découvrant la vérité, mon personnage découvre des choses sur lui-même.
Pour moi aussi, confie-t-il, le roman est un exercice pour tenter de comprendre l'autre, le passé, et mes propres obsessions".
Source : Nouvel Observateur Pages Culture - 22 septembre 2012
Billet d'une lectrice du dernier livre de Juan Gabriel VASQUEZ, "le bruit des choses qui tombent
«
Il n’y a pas de manie plus funeste ni de caprice plus dangereux que de
spéculer ou de conjecturer sur les chemins qu’on n’a pas empruntés. »
C’est dans une salle de billard à Bogota qu’ils se sont rencontrés.
Ricardo Laverde est sorti depuis peu de prison. Il en impose par son air d’en avoir vécu et son silence énigmatique. C’est un peu par hasard qu’il va entrer dans la vie de Antonio Yammara, prof de droit à la fac, à la vie bien rangée, marié et sur le point d’avoir un enfant.
Un soir un peu trop alcoolisé, Ricardo laisse échapper quelques informations personnelles. Oh ! pas grand-chose ! Il doit bientôt retrouver la femme aimée jadis. Mais celle-ci ne viendra pas : la femme était dans l’avion qui est tombé.
Comme par un fait exprès, puisque rien désormais ne le rattache à sa vie d’avant, un coup de feu l’arrache à sa vie perdue. À ses côtés, Antonio en subit les dommages collatéraux.
Ricardo Laverde est sorti depuis peu de prison. Il en impose par son air d’en avoir vécu et son silence énigmatique. C’est un peu par hasard qu’il va entrer dans la vie de Antonio Yammara, prof de droit à la fac, à la vie bien rangée, marié et sur le point d’avoir un enfant.
Un soir un peu trop alcoolisé, Ricardo laisse échapper quelques informations personnelles. Oh ! pas grand-chose ! Il doit bientôt retrouver la femme aimée jadis. Mais celle-ci ne viendra pas : la femme était dans l’avion qui est tombé.
Comme par un fait exprès, puisque rien désormais ne le rattache à sa vie d’avant, un coup de feu l’arrache à sa vie perdue. À ses côtés, Antonio en subit les dommages collatéraux.
C’est
ce drame qui va définitivement sceller la vie des deux hommes. L’un ne
survit pas ; l’autre a besoin, pour survivre, pour surmonter le
traumatisme, de dénouer les fils de la vie de cet homme. Un homme qu’il
ne connaît pas et dont la vie l’obsède. Seule l’histoire révélée de cet
homme peut le ramener à la vie.
«
Je pensais avec une concentration croissante à Ricardo Laverde, à notre
rencontre, à la brièveté de notre relation et à la longévité de ses
conséquences. »
On ne voit pas bien, au commencement, où tout cela va nous mener. La lecture est assez déroutante car on a l’impression que l’auteur déplace le sujet de son livre au fur et à mesure de notre lecture. On glisse d’un personnage à l’autre, d’une famille à une autre, d’une époque à une autre puis c’est là, ça y est, c’est fixé et ça nous tient enfin en haleine. C’est par Maya que la libération va s’opérer.
« Je me suis aussitôt aperçu que nous avions sensiblement le même âge, à un ou deux ans près, et que nous liait une connivence générationnelle et secrète impossible à définir : un ensemble de gestes ou de mots, un timbre de voix particulier, une façon de dire bonjour, de bouger, de remercier ou de croiser les jambes en s’asseyant. Elle avait les yeux les plus clairs que j’avais jamais vus et une peau de bébé qui contrastait avec une expression de femme mûre et éprouvée par la vie : son visage était cille une fête après le départ des invités, sans fioritures, à l’exception de deux éclats de diamant (ou que j’ai pris pour tels) à peine visibles sur ses lobes étroits. »
Maya est la fille de Ricardo et va ouvrir la boîte à souvenirs, celle qui va libérer l’histoire d’Elaine et de Ricardo, de leur amour, de l’aviation, du début des magouilles, des ennuis et de la catastrophe finale.
À l’affût, on écoute le bruit de la vie qui passe avec fracas, le bruit des moteurs, des larmes et des avions qui tombent.
« Je songeais à Elena de Laverde, la femme de Ricardo. Un jour, j’ignorais quand, Ricardo était sorti de sa vie pour aller en prison. Qu’avait-il fait pour écoper de cette peine ? Sa femme n’était pas allée le voir pendant toutes ces années ? Pourquoi un pilote finit-il par passer ses journées dans une salle de billard au cœur de Bogota et gaspiller son argent en paris ? Bien que de façon sommaire et intuitive, c’est sans doute la première fois que m’a traversé l’idée qui est revenue par la suite, formulée avec des mots différents ou même parfois sans mots : Cet homme n’a pas toujours été ainsi. Avant, cet homme était un autre homme. »
« Un bruit entrecoupé ou quelque chose qui y ressemble s’élève, puis j’entends un bruit que je n’ai jamais su identifier ; il n’est pas humain, il est plus qu’humain. C’est le bruit des vies qui s’éteignent, mais aussi celui d’objets qui se brisent. Le bruit des choses qui tombent, un bruit ininterrompu et par là même éternel, un bruit sans fin qui continue de retentir dans ma tête depuis ce soir-là et ne semble pas vouloir en partir. Ce bruit est la dernière chose qu’on entend dans la cabine de pilotage du vol 965. Le bruit résonne et la cassette s’arrête. »
On ne voit pas bien, au commencement, où tout cela va nous mener. La lecture est assez déroutante car on a l’impression que l’auteur déplace le sujet de son livre au fur et à mesure de notre lecture. On glisse d’un personnage à l’autre, d’une famille à une autre, d’une époque à une autre puis c’est là, ça y est, c’est fixé et ça nous tient enfin en haleine. C’est par Maya que la libération va s’opérer.
« Je me suis aussitôt aperçu que nous avions sensiblement le même âge, à un ou deux ans près, et que nous liait une connivence générationnelle et secrète impossible à définir : un ensemble de gestes ou de mots, un timbre de voix particulier, une façon de dire bonjour, de bouger, de remercier ou de croiser les jambes en s’asseyant. Elle avait les yeux les plus clairs que j’avais jamais vus et une peau de bébé qui contrastait avec une expression de femme mûre et éprouvée par la vie : son visage était cille une fête après le départ des invités, sans fioritures, à l’exception de deux éclats de diamant (ou que j’ai pris pour tels) à peine visibles sur ses lobes étroits. »
Maya est la fille de Ricardo et va ouvrir la boîte à souvenirs, celle qui va libérer l’histoire d’Elaine et de Ricardo, de leur amour, de l’aviation, du début des magouilles, des ennuis et de la catastrophe finale.
À l’affût, on écoute le bruit de la vie qui passe avec fracas, le bruit des moteurs, des larmes et des avions qui tombent.
« Je songeais à Elena de Laverde, la femme de Ricardo. Un jour, j’ignorais quand, Ricardo était sorti de sa vie pour aller en prison. Qu’avait-il fait pour écoper de cette peine ? Sa femme n’était pas allée le voir pendant toutes ces années ? Pourquoi un pilote finit-il par passer ses journées dans une salle de billard au cœur de Bogota et gaspiller son argent en paris ? Bien que de façon sommaire et intuitive, c’est sans doute la première fois que m’a traversé l’idée qui est revenue par la suite, formulée avec des mots différents ou même parfois sans mots : Cet homme n’a pas toujours été ainsi. Avant, cet homme était un autre homme. »
« Un bruit entrecoupé ou quelque chose qui y ressemble s’élève, puis j’entends un bruit que je n’ai jamais su identifier ; il n’est pas humain, il est plus qu’humain. C’est le bruit des vies qui s’éteignent, mais aussi celui d’objets qui se brisent. Le bruit des choses qui tombent, un bruit ininterrompu et par là même éternel, un bruit sans fin qui continue de retentir dans ma tête depuis ce soir-là et ne semble pas vouloir en partir. Ce bruit est la dernière chose qu’on entend dans la cabine de pilotage du vol 965. Le bruit résonne et la cassette s’arrête. »
Source : http://surlefilavec2n.over-blog.com
- Les Dénonciateurs, traduction de Los informantes par Claude Bleton, Actes Sud, 2008
- Histoire secrète du Costaguana, traduction de Historia secreta de Costaguana par Isabelle Gugnon, Seuil, 2010
- « Aéroport », traduction de Isabelle Gugnon, in Les Bonnes Nouvelles de l'Amérique latine, Gallimard, « Du monde entier », 2010
- Les Amants de la Toussaint, traduction de Los amantes de Todos los Santos par Isabelle Gugnon, Seuil, coll. « Cadre vert », 2011, 200 p.
- Le Bruit des choses qui tombent, traduction de El ruido de las cosas al caer par Isabelle Gugnon, Seuil, coll. « Cadre vert », 2012, 304 p.