CHILI : LETTRE OUVERTE
À MICHELLE BACHELET
Violences contre les étudiants, les communautés Mapuche & mise en cause du droit de manifester par l'Etat chilien
par la Commission Éthique Contre la Torture
Nous
pouvons à peine croire que, depuis votre haut rang , vous manquiez
d'information sur ce qui se passe dans votre pays, alors que vous
n'avez jamais cessé vos activités politiques depuis que vous avez quitté
vos fonctions de Président du Chili et que votre nom est constamment
présent dans la vie quotidienne des chiliennes et des chiliens depuis
que votre successeur a pris ses fonctions en Mars 2010.
La Commission Éthique Contre la Torture, organisme de défense des Droits de l'Homme au Chili, ayant une structure organisationnelle à l’extérieur, nous vous invitons formellement à rompre le silence et à répondre aux questions qui suivent:
Le 26 Août, le New York Times a publié un article intitulé "Volunters Keep Watch on Protests in Chile"
qui fournit, non seulement, des données sur la répression actuelle mais
aussi sur les nouvelles formes qu'elle a prise en termes de harcèlement
et de torture sexuelle appliquée à des lycéennes mineures, des jeunes
étudiantes et des femmes adultes. L’ACES (Assemblée de Coordination des
Élèves du Secondaire), a recueilli plus de vingt cinq plaintes contre la
police pour violence sexuelle, qui seront présentées devant la Cour
inter américaine des Droits de l’Homme le 28 octobre prochain.
Ainsi, à
Washington, sera présenté l'état de violations policières lors des
manifestations.
La protestation sociale est criminalisée alors que la
Constitution chilienne garantit le droit de réunion sans autorisation,
mais applique le décret suprême n°1086 qui a été émis au début de 1980,
en pleine dictature militaire. A cette occasion, le «Conseil juridique citoyen», la «Asesoria Ciudadana»
argumentera sa plainte s'appuyant sur le Protocole d'Istanbul
(08.09.1999 - Le Haut-Commissariat des Droits de l'Homme de l'ONU),
fixant les modalités et les mécanismes d'enquête sur les détentions
illégales, l'usage excessif de la force et de la torture, entre autres
et les actes illégaux de la force publique chilienne.
À
cette fin, depuis les manifestations étudiantes de 2011, des groupes
d'observateurs de Droits de l'Homme ont été créés. Leur mission est de
trouver, assister et de recueillir les témoignages des victimes de la
répression, dans la rue ou tout endroit où ces violations flagrantes de
Droits de l'Homme auraient lieu.
Nous avons comme exemple, le cas de
notre Présidente, Juana Aguilera, qui a été agressée par un civil,
probablement "pas si civil que ça", en plein exercice de ses
droits de citoyenne, avec son badge de fonction clairement repérable, le
23 août, lors d'une grande manifestation d’étudiants à côté du siège
de l'Université du Chili, assaillie par les forces spéciales.
Les "disparitions express" dont beaucoup de filles furent victimes, enfermées dans un fourgon de police, elles furent «disparues»
pendant 5 à 8 heures sans que personne ne puisse obtenir des
informations sur leur arrestation illégale. Est-ce que ce type de
pratiques sordides n’évoque pas les années de la dictature dont tant de
chiliennes et chiliens ainsi que votre famille et vous même furent
victimes ?
Les
attaques extrêmement violentes contre les communautés mapuche, font
maintenant partie de la «culture de la répression» de l'État chilien.
Vous auriez peut-être quelque chose à dire à ce sujet, puisque c'est
sous votre mandat présidentiel que furent assassinés les jeunes Mapuche
Matias Catrileo, le 3 janvier 2008, et Jaime Mendoza Collio, le 12 Août
2009, tous les deux tués par la police du Groupe des Opérations de
Police Spéciales (GOPE). Ces pratiques ne cessent de s’accroître, bien
au contraire, elles se renforcent et touchent de plus en plus de femmes
et d'enfants, sans que vous ayez fait le moindre commentaire.
Saviez-vous
que dans les territoires mapuche de Temucuicui, le 23 Juillet dernier,
la police militaire des forces spéciales ont pris d'assaut l'hôpital à
proximité de Collipulli en blessant à coup de feu quatre enfants après
avoir attaqué leur propre communauté ?
Saviez-vous
que le 26 Juillet 2012, trois femmes mapuche, l'une avec sa fille de 2
ans, toutes membres de l'Alliance Mapuche Territoriale, ont pris le
siège de l'UNICEF à Santiago du Chili pour demander l'intervention des
Nations Unies à l’égard du gouvernement du Chili et le ministère de
l'Intérieur, pour exiger la fin de la militarisation de leurs
territoires et que l'une d'entre elles, la porte-parole Mewlen Huencho, a
mené une grève de la faim du 27 Août au 3 septembre?
Sans
aller plus loin, le 3 Septembre, les mêmes forces spéciales de la police
ont brutalement battu les manifestantes qui s'opposaient à l'exécution
d'un plan de construction de barrages dans les environs du lac Neltume,
parrainé par deux multinationales que vous connaissez bien: Endesa et
Enel …
Le 9
Septembre, au cimetière général de Santiago, les Forces Spéciales ont
violemment réprimé un pèlerinage organisé par des associations de Droits
de l'Homme qui se remémoraient les 39 années du coup militaire de
1973.
Et nous pourrions ainsi citer de nombreuses situations qui touchent directement les femmes et les Mapuche du Chili.
Les
organisations des Droits de l'Homme au Chili et à l'étranger, ainsi que
la société civile, sont profondément étonnées de votre silence
assourdissant vis à vis de ces faits, d’autant plus que vous étiez la
Présidente du Chili, et que vous êtes aujourd'hui, directrice des
Nations Unies pour la Femme.
Que faire pour revitaliser votre sensibilité de femme et de responsable d'un organisme international si important?
Devrions-nous
vous rappeler que le 8 Mars, Journée Internationale de la Femme, lors
de l'occupation du SERNAM, le Service National de la Femme à Santiago,
quatorze femmes du Parti de l'Égalité, du Mouvement des Résidentes en
Lutte, des femmes mapuche, de Andha, ont été arrêtées pour avoir défendu
les droits de leur sexe ?
Que
c'est sous votre administration que la militante Mapuche Patricia
Troncoso, a fait une grève de la faim de 112 jours, du 10 Octobre 2007
au 30 Janvier 2008, également pour revendiquer son droit de femme et sa
condition de prisonnière politique, et qu’à ce moment-là vous l'avez
privée de son droit légitime de communiquer avec la Commission Inter
américaine des Droits de l'Homme, communication demandée
personnellement par le Secrétaire exécutif de ce corps ?
Que, à
l’occasion de la première Conférence Européenne sur les Mapuche, qui
s'est tenue au Parlement Européen à Bruxelles le 26 Mars 2011, vous avez
été interpellée avec vigueur par la dirigeante Mapuche Juana Calfunao
qui a été emprisonné, (elle fut victime d’un avortement d'une grossesse
de six mois en raison de la violence policière) pendant que d'autres
membres de sa famille étaient également incarcérés et que sa fille
mineur de 10 ans devait partir en exil en Suisse ?
C'est bien la même
chef de la communauté Juan Paillalef qui à l’occasion de la 4ème session
du Mécanisme d'Experts sur les Droits des Peuples Autochtones qui s'est
tenue à Genève le 15 Juillet de la même année au siège de l'ONU, a fait
un bref discours et que vous lui avez répondu en anglais sans qu'elle
ne bénéficie de traduction ?
Et
quand vous aviez reçu la distinction honorifique de l'Université de
Santander, en Espagne, le 2 Septembre 2010, alors que trente deux
mapuche faisaient la grève de la faim dans leurs prisons respectives,
n'avez-vous pas déclaré: «En tant que médecin je dois dire: les plaies
contaminées qui ne sont pas propres, ne guérissent jamais " ?
Nous
ne pouvons pas oublier que pendant votre mandat, en tant que chef de
l'État, a été appliqué pour la première fois la Loi antiterroriste (LAT)
contre les Mapuche et que le nombre de détenus a été le plus important
de ces dernières décennies, pour atteindre 140.
Madame
Michelle Bachelet, conformément à notre argumentation, nous vous
exhortons solennellement à vous prononcer sur les éléments exposés et à
faire connaître votre opinion sur ces graves violations des Droits de
l'Homme et de la valeur universelle qu’elles comportent, car en tant que
haut fonctionnaire d’une instance comme l’ONU, vous ne pouvez plus
garder le silence.
Nous vous prions de recevoir nos saluts cordiaux,
- Juana Aguilera J., Présidente de la Commission Éthique Contre la Torture - Chili
- José Venturelli B., Porte parole du Secrétariat extérieur de la Commission Éthique Contre la Torture
Traduction : Marie-Christine Rybarczyk Aguirre – CECT France