mercredi 15 mai 2013

Colombie, sur le chemin très épineux de la paix !

La paix avec les FARC 
 ne peut être que partielle 
pour les Colombiens, 
mais nécessaire ?

Par Lionel Mesnard

En quelques jours ce sont 8 amérindiens de Colombie qui ont perdu la vie, ainsi qu’un responsable autochtone Wiwa, Pedro Loperena ayant connu un attentat à l’explosif contre son domicile, heureusement n’ayant fait aucune victime parmi ses proches. Le président colombien Juan Manuel Santos a aussi pris la décision de protéger 90 journalistes colombiens et dénonçant un complot (1), récemment des menaces de mort avaient été proférées contre 8 d’entre eux dans le nord du pays selon Reporters sans Frontières (2). La situation reste toujours aussi préoccupante dans les campagnes, même si, il est possible de constater une embellie démocratique, une volonté de rompre le silence dans les villes, la violence paramilitaire règne toujours et laisse régulièrement son lot de victime.

Les discussions entreprises à la Havane continuent, et le lieu clos des échanges pourrait amener à un arrêt des combats d’ici quelques mois. Si la question  d’une amnistie est posée concernant les crimes contre l’humanité ou de guerre, aussi bien pour le camp rebelle (FARC et ELN) que l’armée nationale, cette question clef permettrait la fin des hostilités et dans le processus entrepris c’est une étape à prendre en considération. Bien évidemment, les défenseurs des Droits de l’Homme se manifesteront, ils auront vraisemblablement gain de cause, mais pas avant de longues années.

Pourquoi ? Parce qu’en l’état, les Colombiens eux-mêmes doivent inventer des mécanismes, pour s’attaquer à un à un aux déséquilibres trop nombreux de ce pays, et qu’il est difficile de demander à des hommes en arme de cesser de semer la terreur dans le pays, si à un moment ou à un autre, « la paix des braves » n’est pas signée (3).  Pas comme un point final à la mémoire des victimes, mais comme un passage obligé. C’est même un peu toute l’épée de Damoclès pour les belligérants, et l’amorce d’un processus politique est nécessaire, même si la forme pose problème.

Il est important de souligner que la Colombie dispose depuis 1991 d’une constitution étonnante et remarquable en bien des points, pour celles et ceux aimant les textes constitutionnels, ils trouveront là des puits de bon sens, mais peut terminer sa lecture sur un constat, faut elle qu’elle soit appliquée. Et par ailleurs que le Président Santos puisse assumer la transition et d’ici au moins deux ans, et mettre un terme à un conflit qui aura cinquante ans l’an prochain, si les discussions de la Havane ne portent pas leurs fruits. 

Mais les « si » n'auront aucun poids tant que les choses ne seront pas actées, et il ne faut  pas oublier que les populations civiles restent les cibles favorites, des paramilitaires, des gangs locaux et mafias internationales. Que régulièrement des attentats, par armes à feu, engins explosifs, des mines sur le chemin de l’école viennent plomber des vies innocentes pour le contrôle de territoire ou la circulation des trafics en tout genre (arme, drogue, …). Sans omettre une situation environnementale ou l’industrie minière risque de dévaster ou plus exactement à commencer à détruire des niches écologiques d’une très grande importance.

Cet enfer colombien difficilement compréhensible pour qui vit dans un pays ou l’état de droit fonctionne et ou la guerre semble lointaine, doit amener à mieux comprendre notre monde. Pour comble, comme n’importe quel pays où la complexité économique de la planète et les enjeux politiques sont liés, le soutien du Pape François à la paix n’y suffira pas, car les symptômes sont très lourds. Nul ne sait comment résoudre 500 ans d’inégalité sociale et culturelle en un claquement de doigt, il faut s’armer de patience et accompagner les Colombiens sur le chemin en l’état d’une paix partielle et encore à venir. 

Il y a tout à gagner et à accompagner ce processus aux côté des artisans de la paix, et ne serait-ce que pour la paix dans la région. Parce que ce conflit dépasse les seules frontières très poreuses de ce pays avec tous ses voisins, et au-delà, en prenant en considération ce qui se passe en Amérique Centrale. Aux concours des violences criminelles, le Honduras est au plus haut (il a été fait récemment état d’une criminalité de plus de 80 homicides pour 100.000 habitants, faisant du Honduras le pays le plus dangereux au monde) et en remontant sur le Mexique, la nature des meurtres, des actions commises contre des victimes civiles explosent dans toute la région, et cela n’a rien de nouveau.

S’il n’y avait pas les ONG pour informer opiniâtrement sur les situations vécues par les victimes, cela pourrait passer inaperçu, tant la question politique et économique est indissociable, et sachant que la paix n’est jamais chose gagnée. Si l’on peut se réjouir d’un Rios Montt, ancien dictateur du Guatemala soit condamné pour ses crimes, les plaies, les problèmes récurrents sont toujours à vif et nombres de criminels bien à l’abri. Et ceux qui sont à combattre en Colombie sont toujours en activité et il est compliqué de distinguer la part criminelle et politique, comme aux pires moments de la présidence d’Alvaro Uribe (2002-2010).

La résolution du conflit avec l’ELN et les FARC-EP en Colombie, ne va pas résoudre l’ensemble des problèmes, ils peuvent même en créer de nouveau. Mais face à la résolution d’un problème en cachant deux autres : celui des trafics en général, et la question d’un développement social et économique équilibré pour la Colombie, passant avant tout par une grande refondation démocratique, pour que peu à peu, ce pays puisse trouver un équilibre qu’il n’a jamais connu et mérite.

Le temps des mémoires n’est pas fini. Une fois de plus 8 amérindiens ont été assassinés par les FARC en ce mois de mai 2013 dans le département du Cauca, et un amérindien Wiwa et sa famille sont passés près de la mort suite à un attentat contre sa maison dans le département de César (lire l’article en espagnol, cliquez ici !). Sans parler des menaces téléphoniques, écrites nombreuses venant des divers groupes paramilitaires clairement fascistes et visant à imposer un ordre de terreur comme il se vit dans ce pays depuis 65 ans.

La somme des problèmes est telle et la liste des crimes bien loin d’être close, pour prendre chaque problème à la racine, et s’il est possible de trouver une concorde civile, il faudra aussi soutenir ce pays dans ses démarches et faire preuve d’originalité, et admettre que de multiples changements sont à opérer. Et des financements pouvant aller soutenir la paix et accompagner ces changements, dans le tout le pays, semble le chemin à ouvrir.

Aider directement ceux qui en besoin est une évidence. Il faudra bien un jour sécuriser l’ensemble du pays et des départements comme l’Arauca, l’Amazone, le Cauca, le Choco, le Santander, le Putumayo, de César, du Narino et d’autres connus pour leurs conflits entrecroisés, ils auront besoin de moyens spécifiques et l’application du droit pour tous à vivre en paix et d’être protégé de toutes formes de criminalités, des enjeux cruciaux pour l’avenir de cette nation et pour toutes ses populations (lire en espagnol la déclaration de 9 organisations européennes sur la place des populations amérindiennes, cliquez ici ! ).


Notes :

(1) Bogota dévoile un complot visant des journalistes réputés

Le gouvernement colombien a fait état mardi d'un complot monté par une organisation criminelle contre plusieurs journalistes réputés, deux semaines après la tentative d'assassinat d'un reporter d'investigation.Le président Juan Manuel Santos a annoncé que l'Etat avait décidé de renforcer la protection de 90 journalistes au total. L'enquête a été confiée au procureur général Eduardo Montealegre.

Le directeur de l'agence publique chargée de la protection des personnalités, Andres Villamizar, a déclaré qu'un tueur à gages se trouvait à Caracas pour éliminer l'éditorialiste Leon valencia, l'analyste Ariel Avila et le reporter Gonzalo Guillen. Les journalistes sont fréquemment la cible d'attaques et de menaces en Colombie de la part de politiciens corrompus, de parrains de la drogue, de rebelles marxistes ou de groupes paramilitaires d'extrême droite, qui cherchent ainsi à les faire taire sur les dossiers qui pourraient nuire à leurs intérêts.

Le complot révélé par Bogota est probablement lié à une enquête sur les liens entre paramilitaires et politiques lors des dernières élections municipales en 2012, avance Leon Valencia, un ex-rebelle marxiste, éditorialiste au respecté magazine Semana. "Bien sûr que nous avons peur car les gens impliqués sont très puissants et n'ont aucune limite", a-t-il dit à Reuters. 

Il y a deux semaines, Ricardo Calderon, un journaliste d'investigation, a échappé de peu à une embuscade au cours de laquelle sa voiture a été criblée de balles alors qu'il revenait à Bogota après un reportage sur des infractions dans une prison militaire. (Source : Les Echos via l’agence Reuters)

(2) HUIT JOURNALISTES MENACÉS DE MORT DANS LE NORD DU PAYS

« Huit journalistes ont été menacés de mort sur une liste noire signée du "Groupe anti-restitution des terres", apparue le 6 mai 2013 à Valledupar, dans le département de Cesar, au nord du pays. Le texte – assorti de la photo d’une mitraillette – indique que ces professionnels des médias ont 24 heures pour quitter la ville, et leur conseille de cesser de couvrir les sujets liés aux restitutions de terres, sous peine d’être assassinés. Le tract constitue un avertissement à "tous les journalistes", considérés comme des "objectifs militaires" ». (Source RSF en français – Cliquez ici !)

(3)  « La paix des braves » Au sens général « On appelle Paix des Braves une proposition ou des accords de paix à des conditions honorables en considération de la bravoure des belligérant », selon Wikipedia, mais d’autres interprétations sont possible selon les pays et les époques.