vendredi 3 mai 2013

Mexique, lettre ouverte au Président Barack Obama

La barbarie à vos portes : 
qui mettra fin au calvaire 
des journalistes mexicains ?

Lettre ouverte à Barack H. Obama, 
Président des États-Unis d’Amériques

 Par Christophe Deloire, Secrétaire général de Reporters sans frontières

Monsieur le Président, Votre séjour officiel au Mexique des 2 et 3 mai 2013, coïncide avec les célébrations de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Organisation internationale de défense de la liberté d’information, Reporters sans frontières souhaite que votre visite porte un véritable engagement de votre personne en faveur de la restauration de l’État de droit et des libertés publiques dans ce pays.

Ce 28 avril, à l’appel de plusieurs organisations dont la nôtre, des centaines de journalistes et défenseurs des droits de l’homme ont défilé dans quatorze États de la fédération mexicaine pour réclamer la fin de la barbarie et de l’impunité dont ils sont souvent victimes. 

Choisie à la date “anniversaire” de l’assassinat, il y un an, de la correspondante de l’hebdomadaire Proceso dans l’État de Veracruz, Regina Martínez, l’événement a suivi de quatre jours l’atroce exécution du photographe du quotidien Vanguardia Daniel Alejandro Martínez Bazaldúa, démembré et tué dans l’État de Coahuila. Toujours à Coahuila, le journaliste Gerardo Blanquet, du groupe Radio Grande, est porté disparu depuis le 30 avril.

Même si elle constitue une avancée, la nouvelle législation, votée au Congrès le 25 avril dernier, facilitant le traitement au niveau fédéral des atteintes à la liberté d’informer ne saurait nous suffire. Tout comme reste insuffisant, quoique louable dans son principe, le Mécanisme fédéral de protection mis en place en octobre dernier qui, pour l’heure, ne s’applique qu’à 48 personnes dont 13 journalistes. 

En dix ans, le Mexique est devenu le pays le plus dangereux du continent pour les journalistes, avec 86 tués et 18 disparus, parmi lesquels Brad Will, citoyen des États-Unis et cameraman de l’agence Indymedia, abattu à Oaxaca le 27 octobre 2006. Justice n’a réellement été rendue dans aucune de ces affaires.

La terreur et l’impunité persistantes obligent de nombreux journalistes blogueurs et acteurs de la société civile à se cacher ou à s’exiler, parfois du pays, avec le concours d’organisations comme la nôtre. Reporters sans frontières a notamment obtenu, à l’issue d’une mission conduite sur place en mars dernier, la reconduction pour trois mois de la protection octroyée à la journaliste d’investigation Anabel Hernández, spécialiste reconnue du thème du narcotrafic. 

Mais ces efforts restent en deçà d’une situation dont les principaux pays partenaires du Mexique tardent à prendre toute la mesure. Et les organisations elles-mêmes ne sont pas à l’abri des menaces. Article 19 Mexique en a récemment été la cible.

La faillite de l’État de droit au Mexique engage la responsabilité des États-Unis. Elle affecte la sécurité et le travail de journalistes américains parfois exposés aux mêmes dangers que leurs collègues mexicains. Elle justifie que des journalistes ou blogueurs mexicains, chaque fois plus nombreux, soient contraints de se réfugier en territoire américain. Enfin et surtout, elle trahit l’échec d’une politique prétendant lutter contre le narcotrafic et le règne des cartels. 

Ces tragédies témoignent d’une horreur nourrie par six ans d’offensive fédérale contre le narcotrafic, dont le bilan s’élève à 80 000 tués et dont aucun des objectifs revendiqués ne peut être estimé atteint. Et 80 % de la drogue transitant par le Mexique est acheminée vers les États-Unis quand 80 % des armes en circulation au Mexique proviennent des États-Unis.

Ce contexte nous amène à formuler trois recommandations auprès du gouvernement fédéral des États-Unis d’Amérique :
 
- qu’il facilite les démarches migratoires à l’attention de journalistes, blogueurs ou défenseurs des droits de l’homme mexicains obligés de trouver refuge sur le sol américain ;
   
- qu’il use, avec d’autres gouvernements, de son influence au sein de l’Organisations des États américains (OEA) afin que justice soit rendue dans les affaires d’assassinats et de disparitions de journalistes au Mexique ;
 
- qu’il exige du gouvernement fédéral mexicain des résultats tangibles dans l’enquête sur l’assassinat du cameraman d’Indymedia et citoyen des États-Unis, Brad Will, dont le cas est exemplaire de la complicité de certaines autorités dans les atteintes à la liberté d’informer au Mexique.

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette lettre, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.