Haïti et République Dominicaine :
Un pas vers la transparence
dans la gestion des rapports dominico-haïtiens
Par Edwin Paraison (*)
Un recensement que vient de réaliser l’Office National des Statiques dominicain (sigle en espagnol ONE), le total des étrangers en provenance de 60 pays est de 524,637. Les Haïtiens constituent le groupe largement majoritaire avec 428,233 qui représentent 87.3% du chiffre global. Ou, 5.4% de la population dominicaine. Les dominicains d’origine haïtienne sont chiffrés a 209,912. La diaspora haïtienne dans son ensemble est de 638,145. La deuxième communauté la plus importante après celle des États Unis. On est donc loin des 1,2 millions d’Haïtiens en République Dominicaine, « chiffre idéologique » mis en avant depuis de nombreuses années par les ultra-nationalistes dominicains pour promouvoir une politique discriminatoire à l’endroit des Haïtiens et d’Haïti. Dans quelle mesure ce dernier recensement ébranle-t-il des mythes qui fondent des attitudes dominantes en territoire voisin ?
La question haïtienne en République Dominicaine retient l’attention des organismes internationaux depuis le massacre de 1937, justifié par ses initiateurs en raison, entre autres, de la croissance de la présence haïtienne dans la zone frontalière.
Ces flux migratoires paradoxalement nécessaires pour la partie dominicaine avaient connu un nouveau bond avec l’occupation étatsunienne des deux cotés de l’ile en 1915 et 1916. De même, ils avaient pris un caractère officiel et sur le long terme avec l’accord d’embauchage de braceros, signé entre les gouvernements dominicain et haïtien en 1952 a Santo Domingo.
Cependant vu l’irrégularité qui les caractérise et leur instrumentalisation politique du coté dominicain durant cette période de plus de 3/4 de siècle, il a été difficile jusqu’à date pour les deux États d’établir de façon formelle le nombre d’Haïtiens installés en territoire dominicain. Toutefois, l’un des recensements de la population dominicaine, celui de 1960, situait a 29,500 les ressortissants haïtiens.
20 ans après, au début des années 80, le discours politique dominant chiffrait déjà à un million les Haïtiens sans papiers.
Ce chiffre qui ne reposait sur aucune base scientifique était cependant appuyé sur la perception d’une croissance débordante de la présence haïtienne, causée d’un coté par les troubles politiques en Haïti et, d’un autre, par les changements économiques opérés en République Dominicaine qui, à leur tour, ont provoqué la diversification de la main d’œuvre haïtienne.
Dans ce contexte, le déclin de l’industrie sucrière pousserait beaucoup de nos compatriotes braceros à quitter les bateys vers d’autres secteurs de travail ou de production. Nous nous sommes rendus beaucoup plus visibles notamment dans l’industrie de la construction, le secteur hôtelier, l’économie informelle et le travail domestique dans les centres urbains.
Connu comme le « million idéologique » ce chiffre « officiel » cherchait à maintenir dans l’imaginaire dominicain un sentiment de peur et à la fois de rejet de la présence haïtienne sur la base d’ un double danger : l’invasion pacifique par la migration haïtienne et l’unification de l’ile par les anciennes puissances colonialistes. Il était passé au double lors des campagnes électorales de feu Pena Gomez, d’origine haïtienne, particulièrement celles de 1994 face à feu Joaquim Balaguer et 1996 face à Leonel Fernandez.
De même, ce fameux « million d’ haïtiens » était utilisé pour la défense de l’État dominicain fréquemment mis sur la sellette sur la scène internationale afin de démontrer son « hospitalité » et son acceptation de la migration haïtienne contrairement aux affirmations de nombre de groupes de droits humains. Aussi, intelligemment utilisé par la partie dominicaine pour neutraliser les dirigeants haïtiens.
Néanmoins, des efforts avaient été déployés par des centres académiques ou ONG tels que le Service Jésuite aux réfugiés et Migrants (SJRM), la Faculté Latino-Américaine des sciences sociales (FLASCO) ainsi que l’ Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) au cours de la première décennie des années 2000 afin de porter les autorités dominicaines à travailler de façon plus méthodique ce thème.
En 2004, le SJRM publia une investigation de Bridget Wooding et Richard Moseley-Williams qui concluaient, à partir de certaines estimations, que le nombre d’ haïtiens en RD serait de 380,000. Pour sa part, la publication conjointe FLASCO-OIM titrée « Enquête sur les Immigrants haïtiens en RD » de la même année, sans avoir l’objectif d’ établir le nombre d’ immigrants haïtiens, avait démonté le « million idéologique ».
Il importe de signaler, fait sans précédent, que cette dernière étude avait été quand même appuyée par le Ministère des Relations Extérieures dominicain dont le chancelier n’était autre que l’ historien Tolentino Dipp du Parti Révolutionnaire dominicain. L’actuel ambassadeur de la RD à Port au Prince, Ruben Silie, dirigeait quant à lui la FLACSO. Tous deux, membres d’ une aile libérale pour ne pas dire ouvertement solidaire d’ Haïti qui a aussi des adeptes au sein du parti officiel dominicain et d’autres secteurs de la classe politique.
Dans ce sens, malgré le poids du secteur nationaliste (anti haïtien) responsable au sein du pouvoir des profondes contradictions dans la politique dominicaine face à Haïti et la communauté haïtienne en République Dominicaine, des initiatives gouvernementales portant à mieux définir le nombre des travailleurs migrants haïtiens ou l’importance des échanges économiques binationaux ont été lancées ces dernières années.
Dans cette lignée, Il y a eu d’ abord le rapport « Immigrants haïtiens et marché du travail » commandité par le Ministère du travail au moment ou le sociologue Max Puig était son titulaire. Sa diffusion a été faite en octobre 2011 par celui qui l’a remplacé l’actuel procureur général de la République. Et, l’étude du Ministère de la Planification patronnée par la Banque Mondiale en Juin 2012 « Haïti et la République plus que la somme de deux parties ».
Dans le cas des résultats de l’ étude économique citée ci-dessus comme dans celui du recensement des migrants ce mercredi 1er mai 2013, la publication a été réalisée au palais national dans un acte présidé par le Ministre Temistocles Montas. Élément hautement important qui prend une connotation spéciale dans l’actuelle administration Medina dont le porte-parole Roberto Marchena lors de la récente visite du mandataire dominicain en Haïti au sommet de l’ Association des États de la Caraïbes a déclaré haut et fort que « Haïti et la migration haïtienne ne constituent pas un problème pour la République Dominicaine ».
Des déclarations qui semblent marquer un tournant dans l’approche de la question migratoire haïtienne en République Dominicaine en attendant que des changements profonds s’opèrent dans la partie opérationnelle ou administrative.
Selon les données présentées par l’ Office Nationale des Statiques (sigle en espagnol ONE) suite au premier recensement d’immigrants effectué en territoire dominicain avec l’assistance technique et financière du Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) et de l’Union Européenne, le total des étrangers en provenance de 60 pays est de 524,637.
Nous, haïtiens, nous constituons le groupe largement majoritaire avec 428,233 qui représentent 87.3% du chiffre global. Ou, 5.4% de la population dominicaine.
Les dominicains d’origine haïtienne sont chiffrés a 209,912. La diaspora haïtienne dans son ensemble est de 638,145. La deuxième communauté la plus importante après celle des États Unis.
Enfin des données officielles qui contribueront énormément à une meilleure gestion de ces flux migratoires en termes de politiques publiques et particulièrement à mettre a nu la fausseté du discours nationaliste anti-haïtien.
Sans nul doute, il s’agit d’un pas important vers la transparence dans la gestion des rapports dominico-haïtiens. Les enjeux de l’agenda binational sont trop élevés pour laisser à des groupes extrémistes le leadership du débat public sur la question migratoire.
Note :
(*) Prêtre anglican et directeur exécutif de la Fondation Zile
Source : Alterpresse (Haïti)