Le procès contre Jean-Claude Duvalier ou l'urgence de la lutte contre l’impunité et le révisionnisme en Haïti
Par Pauline Lecarpentier
Jeudi 16 mai 2013, la Cour d'appel de Port-au-Prince a déclaré
l'affaire entendue concernant le double recours porté simultanément par
les avocats de Jean-Claude Duvalier et par les plaignants contre
l'ordonnance rendue par le juge d'instruction Carvès Jean rendue le 27
janvier 2012. Rappelons que cette ordonnance très problématique avait à
l'époque écarté les chefs d'accusation portant sur les crimes contre les
personnes (qualifiées par les plaignants de violations graves des
droits humains équivalant à des crimes contre l’humanité) pour ne
retenir contre Jean-Claude Duvalier que des charges en matière
économique, aptes à le renvoyer devant un tribunal correctionnel.
Durant près de trois mois, les audiences se sont déroulées presque chaque jeudi au Palais de justice, donnant lieu à l'audition de Jean-Claude Duvalier et à celle de huit plaignants, complétée par la communication des dépositions écrites de trois autres plaignants se trouvant actuellement à l'étranger. Globalement, ces audiences se sont tenues dans des conditions particulièrement difficiles pour les victimes. Les avocats de Jean-Claude Duvalier n'ont pas cessé de les haranguer et de les attaquer, les traitant selon les cas de menteurs ou de « terroristes ».
Paradoxalement, le Ministère public - qui devrait logiquement se placer
du côté des victimes - affiche un comportement plus hostile encore que
celui de la défense. Certaines des questions adressées aux victimes sont
déplorables, voire abusives. Celles-ci se voient ainsi interrogées sur
leurs activités politiques et sur leur vie actuelle. Il leur est par
exemple presque systématiquement demandé si elles connaissaient
l'existence de la loi anti-communiste et si en conséquence elles se
considèrent au dessus des lois de leur pays!
La stratégie suivie
conjointement par la défense et le Ministère public est donc claire : décontextualiser les faits, légitimer la dictature au nom de sa
prétendue légalité formelle, attaquer les victimes et leur contester
jusqu'à leur qualité de parties civiles. De manière générale, la
conduite des avocats de la défense et du Ministère public semble
préoccupante sur le plan du respect des règles de déontologie et du
procès équitable autant que pour la dignité qui devrait présider à un
procès aussi important.
Avec le retour de Jean-Claude Duvalier en Haïti le 16 janvier 2011 et
l'arrivée à des postes de responsabilité de nombreux de ses anciens
proches, le discours pro duvaliériste ne prend plus autant de
précautions. Le fils de Jean-Claude Duvalier, François-Nicolas Duvalier,
a ainsi publié, le 19 avril 2013, un texte dans le quotidien Le
Nouvelliste titré : « in mémoriam Dr François Duvalier, Président à vie
», dans lequel il rend ouvertement hommage à son grand-père qui fonda la
dynastie Duvalier et s’autoproclama président à vie en 1964.
Malgré toutes les difficultés rencontrées, la tenue d’un procès représente une étape incontournable pour imposer le nécessaire devoir de mémoire et rétablir ainsi la vérité historique, à un moment où de nombreux jeunes nés après la dictature se laissent facilement convaincre par un discours révisionniste soutenant que ce régime n'était peut être pas si mauvais, comparativement à la situation actuelle.
Le Collectif contre l'impunité, regroupant des plaignantes et
plaignants ainsi que des organisations de droits humains, mène dans ce
cadre une action fondamentale pour dénoncer cette entreprise de
réhabilitation, en appelant à l'indispensable vigilance citoyenne. L'on
ne peut qu'espérer désormais que la Cour d'appel infirmera l'ordonnance
contestée du juge d’instruction, pour prescrire une nouvelle instruction
et donner ainsi une nouvelle chance à la justice haïtienne d'enfin
enquêter sur les crimes commis durant le régime Duvalier.
Source : Avocats sans Frontières (Canada)