Venezuela,
l'incertaine liberté
des internautes :
La révolution continuera-t-elle
à être relayée sur Twitter ?
Par Marianne Diaz · Traduction de Céline Arnoldi
La mort de Hugo Chávez en mars 2013 a bouleversé le
Venezuela, dont les gouvernants tout comme les citoyens ont du mal à
affronter les incertitudes sur l'avenir politique du pays. Les tendances
à l'instabilité politique ont augmenté de manière continue depuis que
la maladie de Chávez a été rendue publique. Mais la mort de l'icône
politique et la récente élection de son héritier et vice-président,
Nicolás Maduro (qui l'a emporté avec une marge de moins de deux points)
ont ravivé les ardeurs des opposants au chavisme.
Depuis l'élection, les sympathisants de l'opposant à
Maduro, Henrique Capriles, ont organisé des manifestations massives pour
demander le recompte des votes à Caracas et dans d'autres grandes
villes, malgré les efforts du gouvernement et de la garde nationale pour
bloquer leurs actions.
Il a été rapporté qu'entre six et huit personnes
sont mortes dans ces manifestations et plusieurs bâtiments ont été
incendiés par des groupuscules extrémistes de l'opposition, bien que ces
faits n'aient pas été confirmés.
Tous ces événements ont eu des effets négatifs sur les
citoyens et les usagers des média sociaux. En six semaines seulement
depuis la mort de Chávez, deux utilisateurs de média sociaux
ont été arrêtés au motif d'avoir posté des informations et des images
supposées “déstabiliser” le pays. Le jour de l'élection, l'Internet a
été brièvement coupé
dans la majorité du pays. Et aujourd'hui, les utilisateurs des réseaux
sociaux sont confrontés à des menaces pour leur emploi, puisque les
autorités vérifient les profils à la recherche de signes d'attaches
politiques qui, en plusieurs cas, se sont traduits par la perte
d'emploi.
Les quatorze ans de mandat du président Chávez ont été
marqués par des controverses et divergences de vue entre différents
secteurs au sein et en-dehors du pays. Le cadre d'une soi-disant
“bataille idéologique,” a monté les partisans et critiques du
gouvernement les uns contre les autres, en dépit de peu de signes de
débat réel et critique. La bataille, menée dans les média traditionnels
et dans les rues, s'est aussi déplacée sur les réseaux sociaux.
De plusieurs manières, l'usage des réseaux sociaux a été un
marqueur fort du socialisme original cultivé par Hugo Chávez. Les média
traditionnels et numériques avaient beau être des outils opérant pour
son gouvernement, Chávez était particulièrement connu pour son usage de
Twitter (@ChavezCandanga) comme plateforme pour sa communication
politique. Diosdado Cabello, l'un des collaborateurs de Chávez, a un jour commenté le pouvoir de cet instrument dans la bataille idéologique :
L'opposition se croit propriétaire du réseautage social. Ils pensent que Twitter et Facebook leur appartiennent. Nous sommes engagés dans la bataille et avons 7 millions de militants qui seront sur Twitter.
Cabello remarquait qu'ils devraient “prendre d'assaut les
réseaux sociaux pour contrer les opinions exprimées par [leurs]
opposants.” De nombreux responsables publics ont désormais des comptes
Twitter et les utilisent pour transmettre des informations importantes
aux citoyens. Différents partis politiques, candidats et ONG utilisent
aussi Twitter pour échanger avec leurs abonnés. Cela s'est montré
efficace au Venezuela, qui a un nombre élevé d'usagers de réseaux
sociaux en comparaison de ses voisins, et se classe treizième au niveau mondial pour son nombre d'utilisateurs de Twitter.
En avril 2010, le gouvernement a annoncé la création de la “guérilla communicante“,
un groupe de citoyens employés à “mener la bataille idéologique” dans
les médias indépendants et dominants et sur l'Internet. C'est ainsi
qu'aujourd'hui la bataille est menée à travers des mots-dièses : le
mot-clé pour se positionner pour ou contre le gouvernement est une
constante, et il y a, des deux côtés, des utilisateurs dédiés au suivi
de mots-clés spécifiques pour répondre, souvent de manière agressive, à
ceux qui expriment des opinions contraires.
Il est notoire que
le gouvernement de Chávez était caractérisé par une permissivité
“excessive” de liberté d'expression. Pourtant, lors des six dernières
années de son mandat, au moins cinq utilisateurs de réseau social ont
été arrêtés, tous dans les mêmes circonstances : les utilisateurs avec
peu ou pas d'influence sur les réseaux sociaux ont été placés en
détention pour avoir fais des commentaires controversés politiquement
(généralement sur Twitter) et ont été accusés de “diffuser des rumeurs”
qui ont causé de l'”instabilité dans le pays.” Ils ont été détenus
durant un temps court, et ensuite libérés sur parole. Depuis la mort de
Chávez, il y a eu deux arrestations similaires.
Etrangement, aucune de ces détentions n'a été basée sur la
Loi de Responsabilité Sociale et son application pour les média
électroniques. La loi couvre un large panel de contenu en ligne :
[La loi interdit le contenu qui] utilise l'anonymat, encourage et promeut la haine et l'intolérance pour des raisons religieuses, politiques, de genre, raciste ou xénophobe ; incite ou promeut et/ou justifie le crime, constitue de la propagande de guerre, promeut l'anxiété dans la population ou altère l'ordre public ; renie les autorités légitimement constituées ; incite au meurtre, incite ou encourage la désobéissance à la législation, ou promeut, justifie ou incite au trouble à l'ordre public.
Adoptée par décret présidentiel et promulguée en 2010,
la loi n'a pas encore été appliquée par un tribunal. La loi tient aussi
les fournisseurs d'accès à l'Internet responsables pour de tels
contenus. Les FAI peuvent risquer des amendes “atteignant jusqu'à 4% du
revenu brut de l'exercice fiscal précédant l'infraction.” Mais il n'y a
aucune preuve que la loi est appliquée ; les internautes rapportent que
les sites web censurés sont seulement bloqués par le FAI public CANTV,
mais pas par les fournisseurs privés.
Une formule différente a été utilisée pour contrer les
critiques influents sur Internet contre le gouvernement et le parti. Un
collectif d'internautes connu sous le nom de N33, prétendument composé
de hackers soutenant le gouvernement (et selon certains dires, promu et
financé directement par le gouvernement), a une longue expérience de
piratage sur Twitter, Facebook et les mesageries de journalistes,
activistes, politiciens, et autres personnalités de haut niveau dans
l'opposition. Le groupe est aussi connu pour les menaces qu'il a émises via des moyens électroniques et téléphoniques envers d'autres personnalités connues du cyberactivisme.
Pendant la brève période de campagne présidentielle d'avril, les deux candidats ont activement utilisé les média sociaux et d'autres plateformes en ligne, incluant une chaîne TV sur le web.
Les journalistes-citoyens ont joué un rôle clé en contre-balançant
l'information transmise à travers les canaux traditionnels. Ils ont
dévoilé des agressions et actes de violence en différents lieux du pays
et établi des espaces alternatifs pour l'opinion publique.
Les initiatives comme UstedAbuso
(Vous Abus) ont permis aux internautes de rapporter les violations du
code électoral pendant la campagne. Les comptes personnels tel que celui
de Eugenio Martinez (@puzkas),
un journaliste spécialisé dans la couverture des élections, sont
devenus essentiels pour suivre le pouls du pays au cours des derniers
mois. Luis Carlos Diaz et Naky Soto ont créé un flux en direct sur YouTube (simplement dénommé “The Hangout“,
“le lieu de prédilection”), où ils diffusent plusieurs soirs par
semaine pour discuter de l'environnement politique. Le canal a reçu près
d'un demi million de visites.
Le jour de l'élection, l'emprise du gouvernement sur les
réseaux de télécommunication s'est alourdie à un degré inédit pour les
Vénézuéliens : avec une variation de trois à vingt minutes selon les
endroits, dans la même journée, presque toutes les connexions Internet
du pays étaient bloquées. C'était relativement facile.
En 2010, le
gouvernement a voulu créer un point d'accès unique au réseau
à travers l'entreprise de télécommunications détenue par l'Etat CANTV,
qui fournit plus de 90% de l'accès à l'Internet dans le pays. La quasi
complète acquisition par le gouvernement de CANTV a rendu plus facile
pour les autorités de censurer des sites web
prétendus illégaux (tels que quelacreo.com ou dollar.nu).
Quand l'accès
à Internet a été bloqué pour tous les abonnés de CANTV à la fin de la
journée de l'élection le 14 avril,
le Ministre des Télécommunications a expliqué que les autorités avaient
bloqué le réseau en vue d’ “éviter les attaques” sur le site web du
Conseil national des élections. Ce site web a aussi été rendu
inaccessible aux FAI étrangers pour la même raison.
Depuis le jour de l'élection, les profils d'utilisateurs
sur les réseaux sociaux ont commencé à servir un nouvel objectif : ils
aident les autorités à identifier les attaches politiques des usagers
afin de “déparasiter” le service public et l'entreprise privée.
Innombrables ont été les plaintes d'employés publics qui ont perdu leurs
emplois après que les autorités ont analysé leurs profils de réseau
social et découvert leur soutien politique à l'opposition.
Cela s'est
aussi produit pour des employés du secteur privé, cependant pour des
raisons opposées. Les citoyens appellent cela la “résurrection” de la
Liste Tascon, un instrument utilisé afin de filter parmi les citoyens
ceux qui ont signé en 2004 en faveur d'un référendum révocatoire contre
le Président Chávez, et d'empêcher leur recrutement dans le service
public, ce qui a été prétendument écarté par Chávez lui-même en 2005.
Le début du mandat présidentiel de Nicolás Maduro a été
marqué par une forte vague de contestation, à la fois en ligne et hors
ligne, et des rumeurs endémiques et fausses informations transmises sur
Internet. Maduro, le successeur de Chávez, dit qu'il envisage de suivre
les pas de son prédécesseur en matière de stratégie média. Il a créé un
compte Twitter (@ NicolasMaduro, qui a été piraté par [un collectif
péruvien] le jour de l'élection) et a annoncé que son gouvernement
veillera “fermement” à la mise en oeuvre de la politique des média. Il
reste à voir si cette politique affectera la manière dont les citoyens
vénézuéliens utilisent Internet.
Source : article et photos de Global Voices