Le cauchemar
de Simon Bolivar
ou esquisse d’une intégration
impossible ?
Par Lionel Mesnard
Le président Juan Manuel Santos a annoncé le retrait de la
Colombie du pacte de Bogota de 1948 et ne sera plus à ce titre membre de la
Cour Internationale de La Haye (CIJ) aux Pays-Bas. Cette décision a été prise,
suite à une contestation du Nicaragua réclamant les îles San Andres situées à
quelques dizaines de miles de ses côtes (côté atlantique), pour qu’elles deviennent parties intégrantes de son
territoire.
Finalement la CIJ a choisi de ne pas trancher véritablement
et a réduit du coup l’espace maritime des îles restant sous la bannière
colombienne. D’où la réponse du gouvernement colombien de sortir de cette
instance internationale, qui a pour but de régler pacifiquement les conflits
frontaliers entre pays.
Cela pourrait revivifier certains élans nationalistes, des
tensions frontalières relativement nombreuses entre pays du cône sud et au-delà.
Conflits qui pour certains sont latents depuis plus d’un siècle, à l’exemple du
Venezuela, et de sa réclamation d’une partie de la Guyane anciennement
anglaise, qui a annexé à l’origine un peu plus 200.000 km2 du territoire
vénézuélien.
Territoire symbolique où Simon Bolivar relança en 1816 ses
campagnes militaires contre l’Espagne coloniale et qui sont devenues le domaine
du Guyana depuis 1889. Une histoire diplomatique et territoriale qui pourrait
raviver des tensions, dont on ne mesure pas toujours toute l’importance.
En soit, le choix du gouvernement colombien peut passer pour
anodin, mais il ne l’est pas et pourrait entraîner d’autres pays à faire de
même, comme le Pérou, voire la Bolivie et qui sait sur ce sujet brûlant des
frontières, le Chili. C’est en soit une très mauvaise entreprise et doit
questionner sur le fait de savoir si la Colombie est capable de respecter ses
engagements internationaux ? et à quelques jours d’un vote crucial au
Parlement Européen.
Cette décision du président Santos de mettre fin par ce
biais à la décision de la CIJ sur îles San Andres a pour but de calmer
certaines chutes de popularité. Rien de très encourageant, quand au respect des
règles du droit international, et en particulier en Amérique latine.
Quand par ailleurs, la Colombie se trouve contredite par la
Cour Pénale Internationale, sur la promulgation d’une loi ne donnant pas à la
justice civile le droit de mener son travail sur les crimes de guerre et contre
l’Humanité, et en transférant ces pouvoirs judiciaires aux seules instances
militaires.
Pourquoi le cauchemar de Bolivar ?
Simon Bolivar avait bien analysé en son temps les fractures
à venir pour le continent latin, s’il ne s’unifiait pas. Il a été le premier à
comprendre et à subir les premières divisions nationalistes, venant de ceux qui
contribuèrent avec lui à la chute de l’Empire colonial espagnol. C’est au sein
même des partisans de l’indépendance, que la soumission à l’ordre des choses
économiques et à d’autres puissances étrangères se mettra en place. Sans
oublier le rôle de l’enrichissement personnel de ces nouvelles élites dans leur
accession au pouvoir.
Les résistances et parfois les plus fortes sont venues, non
pas de ceux à qui il menait la guerre, mais de ceux qui grâce à sa stratégie
militaire étaient devenus les garants des nouveaux droits. Francisco de Paula
Santander et José Antonio Páez (Ci-contre) seront, l’un et l’autre, par après 1830 et la
mort de Bolivar, présidents respectivement de la Colombie et du Venezuela
C’est au sein des bourgeoisies locales, notamment
colombiennes et vénézuéliennes que les premiers affres du pouvoir vont se
retourner contre Bolivar et mettre à bas toutes ses mesures sociales et
économiques, qu’il tenta de mettre en œuvre et qui s’avérèrent de cuisants
échecs, notamment la fin de l’esclavage au Venezuela (l’abolition ne sera pas
effective avant 1850). Car il ne servait pas les propres desseins (économiques)
du président vénézuélien Paez, devenu grand propriétaire terrien avec la
révolution.
Quand Simon Bolivar quelques années avant de mourir
désignera les impérialismes britanniques et étasuniens comme l’angle mort de
tout développement de la Grande Colombie et de l’importance à unifier le
continent latin. Il sera un des premiers à s’insurger contre les vues d’un
certain Monroe, président des Etats-Unis de 1817 à 1825 (qui deviendra vers la
moitié du siècle la doctrine Monroe), et à mettre en garde face à l’endettement
et en particulier la politique que menait la bourgeoisie de l’ancienne
Nouvelle-Grenade (aujourd’hui la Colombie) avec la couronne anglaise.
C’est ainsi que tout au long du dix-neuvième, l’Empire
britannique a pu exercer sur le
plan économique une pression sur les bourgeoisies dépensières ou endettées du
nouveau Monde. Son vœu le plus cher fut de pouvoir rallier et réunir de
Mexico à Buenos-Aires les anciennes colonies sous une même bannière (la grande
patrie) ou du moins sous une politique commune pouvant résister aux puissances étrangères du moment.
Ce que l’on nomme aujourd’hui sous le nom d’intégration
régionale à l’échelle continentale, pourrait sortir des impasses nationalistes
et correspondre aux vœux de Bolivar, mais, il peut se transformer en cauchemar,
si l’on cherche à raviver certaines disputes territoriales du 19° siècle. Ou se
retourner contre la Grande-Bretagne dans le cas des îles Malouines et de la
volonté affichée par l’Argentine
de faire valoir ses droits sur ce bout de caillou (très riche en
pétrole) ou ce qui reste de l’Empire britannique.
Si, il est possible de constater de véritables avancées
socio-économiques dans des espaces d’intégration commerciaux et politiques
comme le MERCOSUR depuis une douzaine d’années, et notamment, il y a peu avec
l’entrée comme membre à part entière du Venezuela. Les enjeux frontaliers
peuvent peser fortement dans les relations interétatiques. La décision du
président Juan Manuel Santos, après la sortie du Venezuela de la CIDH (Cour
Interaméricaine des Droits de l’Homme) sont de mauvais indicateurs, il est plus
que souhaitable un retour de ces deux pays dans ces instances internationales.
Justice internationale et accords de libre-échange
Colombie/Pérou
L’objet n’est pas en soit la contestation, mais la
répercussion de tels choix dans d’autres pays du cône sud pouvant alimenter un
bazar diplomatique. Selon les besoins du moment ou pour une conjoncture
nationale difficile se retirer de tel ou tel organisme international, notamment
ceux qui ont un rôle concernant le fonctionnement légal entre états et la
défense des droits de l’Homme comme la CPI, ou sur la prévention des conflits
comme la CIJ.
La question n’est pas de tisser des lauriers aux grands
« machins » nous organisant à l’échelle internationale, mais de ne
pas prendre à la légère ce type d’information pouvant toucher à des traités ou
accords entre pays. Régulièrement en Amérique latine, si les affaires internes
ne sont pas au beau fixe, il est de bon ton de cogner sur le voisin, et les
opinions publiques latino-américaines y sont très sensibles, et c’est tellement
plus facile de se planquer sous un drapeau avec des accents patriotiques.
Plutôt que de répondre à certains problèmes
socio-économiques, ou dans le cas de la Colombie, au rôle des différents
gouvernements de ces 20 dernières années, dans l’usage abusif de la force
contre sa population et son appui à la sale besogne de nettoyage perpétrée par
les paramiltaires, à l’exemple de l’opération « Génésis » dans le
département du Choco.
Les milices d’extrêmes droites servirent des années durant
de ratisseurs au service de l’armée nationale colombienne, dont il fait peu
mention dans la presse, mais se trouvant dans les requêtes auprès de la CPI. Et
la fameuse loi colombienne de Justice et Paix, de l’ancien président
Uribe-Velez n’a pas mis un terme aux milices armées et à leurs exactions.
Au sein du Parlement Européen (se tenant en séance
plénière), va le 11 décembre 2012 voter sur des accords commerciaux avec la
Colombie et le Pérou. Accords qui auront des conséquences non négligeables sur
les populations de ces deux pays, et des reflets inquiétants quant à l’entrée
commerciale de deux pays ou les maffias internationales ont un poids certain et
qui sont les deux premiers pays producteurs de cocaïne au monde...
Et c’est probablement le monde ouvrier et paysan qui risque
de payer la note de ces deux accords de libre-échange en bafouant certaines
règles sociales internes, le tout participant comme l’a indiqué ICRA international à la déforestation.
Bien sûr tout cela est compliqué, actes, traités, accords de
libre-échange, conflits frontaliers peuvent rebuter, et l’on peut rester
perplexe, en se demandant, quelle importance pour la vie d’un Européen à
comprendre de tels mécanismes, qui ne nous concernent pas vraiment?
C’est un peu tout l’enjeu, c’est-à-dire élargir son regard
aux affaires de notre monde et d’en comprendre les conséquences présentes et à
venir.
A chacun de prendre trente seconde de son temps
pour saisir les euro députés,