mardi 4 décembre 2012

Amérique latine, conflits frontaliers et accords avec l’Europe

               Le cauchemar 
de Simon Bolivar
ou esquisse d’une intégration impossible ?

 Par Lionel Mesnard

Le président Juan Manuel Santos a annoncé le retrait de la Colombie du pacte de Bogota de 1948 et ne sera plus à ce titre membre de la Cour Internationale de La Haye (CIJ) aux Pays-Bas. Cette décision a été prise, suite à une contestation du Nicaragua réclamant les îles San Andres situées à quelques dizaines de miles de ses côtes (côté atlantique), pour qu’elles  deviennent parties intégrantes de son territoire.

Finalement la CIJ a choisi de ne pas trancher véritablement et a réduit du coup l’espace maritime des îles restant sous la bannière colombienne. D’où la réponse du gouvernement colombien de sortir de cette instance internationale, qui a pour but de régler pacifiquement les conflits frontaliers entre pays.

Cela pourrait revivifier certains élans nationalistes, des tensions frontalières relativement nombreuses entre pays du cône sud et au-delà. Conflits qui pour certains sont latents depuis plus d’un siècle, à l’exemple du Venezuela, et de sa réclamation d’une partie de la Guyane anciennement anglaise, qui a annexé à l’origine un peu plus 200.000 km2 du territoire vénézuélien.

Territoire symbolique où Simon Bolivar relança en 1816 ses campagnes militaires contre l’Espagne coloniale et qui sont devenues le domaine du Guyana depuis 1889. Une histoire diplomatique et territoriale qui pourrait raviver des tensions, dont on ne mesure pas toujours toute l’importance.

En soit, le choix du gouvernement colombien peut passer pour anodin, mais il ne l’est pas et pourrait entraîner d’autres pays à faire de même, comme le Pérou, voire la Bolivie et qui sait sur ce sujet brûlant des frontières, le Chili. C’est en soit une très mauvaise entreprise et doit questionner sur le fait de savoir si la Colombie est capable de respecter ses engagements internationaux ? et à quelques jours d’un vote crucial au Parlement Européen.


Cette décision du président Santos de mettre fin par ce biais à la décision de la CIJ sur îles San Andres a pour but de calmer certaines chutes de popularité. Rien de très encourageant, quand au respect des règles du droit international, et en particulier en Amérique latine.
Quand par ailleurs, la Colombie se trouve contredite par la Cour Pénale Internationale, sur la promulgation d’une loi ne donnant pas à la justice civile le droit de mener son travail sur les crimes de guerre et contre l’Humanité, et en transférant ces pouvoirs judiciaires aux seules instances militaires.

Pourquoi le cauchemar de Bolivar ?

Simon Bolivar avait bien analysé en son temps les fractures à venir pour le continent latin, s’il ne s’unifiait pas. Il a été le premier à comprendre et à subir les premières divisions nationalistes, venant de ceux qui contribuèrent avec lui à la chute de l’Empire colonial espagnol. C’est au sein même des partisans de l’indépendance, que la soumission à l’ordre des choses économiques et à d’autres puissances étrangères se mettra en place. Sans oublier le rôle de l’enrichissement personnel de ces nouvelles élites dans leur accession au pouvoir.

Les résistances et parfois les plus fortes sont venues, non pas de ceux à qui il menait la guerre, mais de ceux qui grâce à sa stratégie militaire étaient devenus les garants des nouveaux droits. Francisco de Paula Santander et José Antonio Páez (Ci-contre) seront, l’un et l’autre, par après 1830 et la mort de Bolivar, présidents respectivement de la Colombie et du Venezuela

C’est au sein des bourgeoisies locales, notamment colombiennes et vénézuéliennes que les premiers affres du pouvoir vont se retourner contre Bolivar et mettre à bas toutes ses mesures sociales et économiques, qu’il tenta de mettre en œuvre et qui s’avérèrent de cuisants échecs, notamment la fin de l’esclavage au Venezuela (l’abolition ne sera pas effective avant 1850). Car il ne servait pas les propres desseins (économiques) du président vénézuélien Paez, devenu grand propriétaire terrien avec la révolution. 

Quand Simon Bolivar quelques années avant de mourir désignera les impérialismes britanniques et étasuniens comme l’angle mort de tout développement de la Grande Colombie et de l’importance à unifier le continent latin. Il sera un des premiers à s’insurger contre les vues d’un certain Monroe, président des Etats-Unis de 1817 à 1825 (qui deviendra vers la moitié du siècle la doctrine Monroe), et à mettre en garde face à l’endettement et en particulier la politique que menait la bourgeoisie de l’ancienne Nouvelle-Grenade (aujourd’hui la Colombie) avec la couronne anglaise.

C’est ainsi que tout au long du dix-neuvième, l’Empire britannique a  pu exercer sur le plan économique une pression sur les bourgeoisies dépensières ou endettées du nouveau Monde. Son vœu le plus cher fut de pouvoir rallier et réunir de Mexico à Buenos-Aires les anciennes colonies sous une même bannière (la grande patrie) ou du moins sous une politique commune pouvant résister  aux puissances étrangères du moment.

Ce que l’on nomme aujourd’hui sous le nom d’intégration régionale à l’échelle continentale, pourrait sortir des impasses nationalistes et correspondre aux vœux de Bolivar, mais, il peut se transformer en cauchemar, si l’on cherche à raviver certaines disputes territoriales du 19° siècle. Ou se retourner contre la Grande-Bretagne dans le cas des îles Malouines et de la volonté affichée par l’Argentine  de faire valoir ses droits sur ce bout de caillou (très riche en pétrole) ou ce qui reste de l’Empire britannique.

Si, il est possible de constater de véritables avancées socio-économiques dans des espaces d’intégration commerciaux et politiques comme le MERCOSUR depuis une douzaine d’années, et notamment, il y a peu avec l’entrée comme membre à part entière du Venezuela. Les enjeux frontaliers peuvent peser fortement dans les relations interétatiques. La décision du président Juan Manuel Santos, après la sortie du Venezuela de la CIDH (Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme) sont de mauvais indicateurs, il est plus que souhaitable un retour de ces deux pays dans ces instances internationales.

Justice internationale et accords de libre-échange Colombie/Pérou

L’objet n’est pas en soit la contestation, mais la répercussion de tels choix dans d’autres pays du cône sud pouvant alimenter un bazar diplomatique. Selon les besoins du moment ou pour une conjoncture nationale difficile se retirer de tel ou tel organisme international, notamment ceux qui ont un rôle concernant le fonctionnement légal entre états et la défense des droits de l’Homme comme la CPI, ou sur la prévention des conflits comme la CIJ.

La question n’est pas de tisser des lauriers aux grands « machins » nous organisant à l’échelle internationale, mais de ne pas prendre à la légère ce type d’information pouvant toucher à des traités ou accords entre pays. Régulièrement en Amérique latine, si les affaires internes ne sont pas au beau fixe, il est de bon ton de cogner sur le voisin, et les opinions publiques latino-américaines y sont très sensibles, et c’est tellement plus facile de se planquer sous un drapeau avec des accents patriotiques.

Plutôt que de répondre à certains problèmes socio-économiques, ou dans le cas de la Colombie, au rôle des différents gouvernements de ces 20 dernières années, dans l’usage abusif de la force contre sa population et son appui à la sale besogne de nettoyage perpétrée par les paramiltaires, à l’exemple de l’opération « Génésis » dans le département du Choco.

Les milices d’extrêmes droites servirent des années durant de ratisseurs au service de l’armée nationale colombienne, dont il fait peu mention dans la presse, mais se trouvant dans les requêtes auprès de la CPI. Et la fameuse loi colombienne de Justice et Paix, de l’ancien président Uribe-Velez n’a pas mis un terme aux milices armées et à leurs exactions.

Au sein du Parlement Européen (se tenant en séance plénière), va le 11 décembre 2012 voter sur des accords commerciaux avec la Colombie et le Pérou. Accords qui auront des conséquences non négligeables sur les populations de ces deux pays, et des reflets inquiétants quant à l’entrée commerciale de deux pays ou les maffias internationales ont un poids certain et qui sont les deux premiers pays producteurs de cocaïne au monde... 

Et c’est probablement le monde ouvrier et paysan qui risque de payer la note de ces deux accords de libre-échange en bafouant certaines règles sociales internes, le tout participant comme l’a indiqué ICRA international à la déforestation.

Bien sûr tout cela est compliqué, actes, traités, accords de libre-échange, conflits frontaliers peuvent rebuter, et l’on peut rester perplexe, en se demandant, quelle importance pour la vie d’un Européen à comprendre de tels mécanismes, qui ne nous concernent pas vraiment?


C’est un peu tout l’enjeu, c’est-à-dire élargir son regard aux affaires de notre monde et d’en comprendre les conséquences présentes et à venir.

A chacun de prendre trente seconde de son temps 
pour saisir les euro députés,