samedi 22 décembre 2012

Colombie, la répression syndicale dans le monde rural

Répression des syndicats 


Entretien avec Aidee Moreno Ibagué du syndicat Fensuagro

 

Par le Croco

Aidee travaille en tant que secrétaire nationale du département « Solidarité et droits de l'Homme » de Fensuagro, le deuxième plus gros syndicat en Colombie. Il travaille principalement dans le secteur agricole. Aidee travaille depuis sept ans en tant que secrétaire nationale du département « Solidarité et droits de l'Homme » de Fensuagro.
 


Fensuagroest le deuxième plus gros syndicat en Colombie et travaille principalement dans le secteur agricole. Il est composée de 60 organisations qui comportent 80 000 membres. Elle se charge des agriculteurs, des travailleurs d'entreprises, d'organisations agricoles et également des indigènes



Quelles sont les activités principales du département ?

Aidee (Ci-dessus à droite en photo) : Je travaille sur tous les thèmes relatifs aux droits de l'Homme. Cela recouvre tant les persécutions que les assassinats, les déplacements, les menaces, les tortures, les massacres etc. On récolte ainsi les dénonciations faites par les organisations membres et nous dénonçons, faisons les recherches nécessaires et défendons ces personnes ; tant au niveau national qu'international.

Dans les régions où nous sommes actifs, les plus gros problèmes sont: la militarisation, les multinationales, les déplacements de la population, la destruction de l'environnement, la diminution de la qualité du travail des travailleurs dans les industries. Mais le gros problème reste pour les travailleurs syndicalisés car à chaque fois qu'ils se prononcent pour améliorer leur qualité de vie et de travail, ils rencontrent des menaces de la part des dirigeants.

Nous voulons donc améliorer les conditions de travail des travailleurs et principalement des agriculteurs en donnant nos exigences au gouvernement et en participant à des réunions avec celui-ci. On participe également à des ateliers et on va aussi dans les écoles. On est comme des professeurs par rapport à la connaissance que nous avons car nous désirons faire prendre conscience aux Colombiens de leurs droits.

Quel est le grand problème du secteur agricole en Colombie ?


Aidee : Le plus grand problème en Colombie est la terre. La lutte pour la terre date de plusieurs décennies déjà. Les paysans se sont organisés autour du fait qu'il est nécessaire que l'État donne des terres aux paysans et aux indigènes pour qu'ils la travaillent. Cette lutte n'est pas simple car le gouvernement colombien considère, depuis très longtemps, que la terre est un élément très important pour les exploitations des ressources naturelles comme le pétrole, les minéraux, l'or, et maintenant le coltan.

Un autre problème est l'appropriation des terres par les multinationales qui entraîne un déplacement des paysans pour que les multinationales aient leurs terres. Cela a engendré beaucoup de violence. Mon père a 75 ans et déjà à 22 ans, il a du se déplacer. Ainsi beaucoup de paysans doivent laisser leurs terres alors qu'ils étaient sur ce territoire depuis longtemps, qu'ils l'ont construit, et développé un tissu social. Ils doivent donc tout recommencer à zéro. C'est sur cette base que s'est construit Fensuagro.

Quel serait l'impact du TLE (Traité de Libre Echange) ?


Aidee : C'est un grand problème. La Colombie n'a pas la capacité de concurrencer avec les producteurs du Nord car ici, il n'y a que des petits ou moyens producteurs. En plus, la Colombie préfère investir et acheter à d'autres endroits à des prix inférieurs et les vendre à des prix plus chers en Colombie.

Alors qu'il y a plein de produits dans le pays, ils sont remplacés par ceux de l'extérieur. Ces traités n'arrangent pas non plus la situation des travailleurs. La qualité du travail de ces derniers dans les multinationales ne fait que se dégrader. 

Un autre problème c'est que pour protéger ces multinationales, il y a une grande militarisation en Colombie qui utilise, pour la guerre, plus de 80% des ressources qui devraient être allouées aux dépenses sociales.

La force militaire réprime donc le paysan. Et il n'y a pas d'investissement en éducation, en santé, etc. Le problème aussi c'est que maintenant, il y a un décret qui dit que le paysan ne peut plus vendre le lait, la panela, ne peut plus avoir d'animaux dans sa ferme etc. Ils forment donc un bloc économique contre les paysans.

 
L'accroissement des multinationales en Colombie qui serait d'autant plus important avec le TLE, augmente le nombre de personnes déplacées. Comment réagissent ces personnes ?
 

Aidee : Depuis 2000, il y a eu plus ou moins 6 millions de personnes déplacées. Ils perdent tout, leur maison, leur famille qui a été assassinée, tout. Ces gens se sentent complètement impuissants face à cette situation. Surtout de voir que les lois qui sont établies dans le pays ne contribuent pas à améliorer les conditions de vies des déplacés.

En 1997, la loi 387 expliquait comment le gouvernement offrait les garanties nécessaires aux personnes qui étaient déplacées pour qu'elles puissent garder une qualité moyenne de vie. Il devait donc garantir l'éducation, la santé, etc. Mais ils ne l'ont jamais appliqué. On ne consulte pas la population. 


La concertation ne se fait qu'entre sénateurs et représentants dont au moins la moitié a des liens avec les paramilitaires. Ils ont mis en place une loi qui devait réparer la population déplacée mais on ne trouve pas grand chose dans celle-ci. La « loi des victimes et de la restitution des terres » victimise encore plus la population. S'il y a une dépossession alors le gouvernement doit donner le titre de la dépossession au paysan, autrement celui de la terre.

Mais le problème est que cette terre, quand les paysans sont expulsés, est prise par les multinationales. On leur dit alors « On vous donne votre titre et allez parler avec la multinationale. C'est une personne de confiance, elle ne vole pas. ». Comment peuvent-ils s'y prendre pour aller leur parler ? Pourtant, cette terre produisait des bananes plantains, du manioc, etc. tout ce qu'il fallait pour nourrir sa famille.

A présent, elles ne sont semées que de palmiers et cela stérilise la terre. Un autre exemple, c'est que, si par exemple, dans ma famille, ils ont tué une personne, l’État donne, pour tout le groupe de dix personnes dans ma famille, jusqu'à 21 millions de pesos colombiens (1). Si on distribue tout cet argent à tous les membres de la famille, il ne reste plus rien pour chacun.

Par exemple, une maison très rudimentaire est déjà à 50 millions. Comment faire alors? Les enfants n'ont même pas assez d'argent pour aller à l'école ou à l' université. La loi ne répare pas. Elle victimise aussi car ils nous obligent à signer et à valider cette loi et alors nous ne pouvons plus faire de dénonciation sur ce qui s'est passé.

Mais le plus grave dans tout ça, c'est que la vérité n'est pas connue. On ne sait pas qui a assassiné un membre de notre famille, on ne sait pas qui est derrière tous ces groupes de paramilitaires qui assassinent tous ces gens. La loi n’enquête pas et il n'y a aucun mécanisme de sécurité que nous pouvons garantir aux gens pour qu'ils ne soient pas déplacés.

Vous n'avez pas de problème en dénonçant la situation de ces personnes ?


Aidee : Si. On reçoit beaucoup de menaces. Beaucoup de personnes, comme le président de Fensuagro, ont du sortir du pays pour préserver leur vie et celle de leur entourage. Les paramilitaires ont également assassiné un collègue dans son propre bureau. Ils ont au total assassiné plus de 1500 personnes membres notre organisation (plus de la moitié de tous les syndicats tués en Colombie, plus de 2900 depuis 1986) .


Nous sommes en train de constituer une base de données dans laquelle on a déjà pu enregistrer 750 personnes assassinées dont 453 sont des exécutions extrajudiciaires. Le gouvernement dit que Fensuagro ne travaille pas pour les droits de l'Homme mais bien pour les Farc et c'est sous ce motif que beaucoup de dirigeants ont été emprisonnés. Il fait ce lien car on est présent dans la campagne colombienne et dans le secteur agraire où, en effet, c'est là que se trouve la guérilla. Mais ce n'est pas pour autant que notre travail est lié avec le leur.

Quel changement pouvons-nous espérer du nouveau Président ?


Aidee : Pas grand chose. Le gouvernement actuel ne pense pas au peuple. Il faut un changement structurel du pays. Un changement politique, de nouvelles forces sociales, de gauche, à l'intérieur du pays. Les propositions du peuple ne sont pas écoutées et encore moins approuvées. Il y a trop de force militaire au pouvoir pour avoir du changement dans le pays.

On dit que le président actuel, Juan Manuel Santos, défend les droits de l'Homme et que les problèmes vont donc être rétablis. Mais comment est-ce possible alors qu'il était le ministre de la défense sous le gouvernement d'Uribe. Il était donc bien au courant des pratiques qui se faisaient à cette époque. Maintenant, le président est le chef suprême de la force militaire. 
Il est donc impossible qu'il y ait autant de gens assassinés en Colombie par l'armée sans que le président le sache. C'est lui qui commande et dit ce que l'armée peut ou ne peut pas faire et où elle peut aller ou non. Même les illettrés comprennent cela ! Les militaires ont assassiné beaucoup de paysans et de syndicalistes. L'instrument militaire est, depuis des décennies en Colombie, utilisé pour réprimer les protestations sociales, les organisations sociales, les syndicats et ils le font en utilisant la violence, les assassinats. Là est tout le problème.

Que penses-tu des actions de solidarité internationale comme l'action STK ?


Aidee : Tous les efforts qui sont mis à contribution sont très importants. Cette action nous aide car elle fait pression sur le gouvernement. Ils ne veulent pas que la communauté internationale se tourne vers la Colombie. Cela garantit également le travail que nous faisons à Fensuagro.

C'est pour toutes ces raisons que M3M et intal sont actifs depuis 2006 avec la campagne Stop The Killings. Plus d'infos sur la campagne vous trouvez sur 



Note :


(1) cela équivaut à plus ou moins 8400 euros