La France condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’absence de recours effectif contre les mesures d’éloignement en outre-mer
Par le Collectif des migrants outre-mer
Chaque année plusieurs dizaines de milliers de mesures d’éloignement sont exécutées à partir de la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte (ainsi que Saint-Martin et Saint-Barthélemy) sans aucun contrôle juridictionnel, en dérogation au droit commun applicable en France métropolitaine qui prévoit le caractère suspensif du recours contre les mesures administratives d’éloignement.
À l’unanimité, la Cour
européenne des droits de l’Homme réunie en sa formation la plus
solennelle, vient d’affirmer (Cour EDH, 13 décembre 2012,
n° 22689/07, De Souza Ribeiro c. France) que cette
législation d’exception violait le droit à un recours effectif garanti
par l’article 13 de la Convention : en l’espèce, le requérant [1], avocate à Créteil et en Guyane – un ressortissant
brésilien - avait été reconduit à la frontière de Guyane avant que le
tribunal administratif de Cayenne ait pu se prononcer sur le recours
qu’il avait formé et dans lequel il invoquait la violation du droit au
respect de sa vie familiale. La Cour de Strasbourg réunie en section
ayant rejeté cette requête par quatre voix contre trois (CourEDH, 31 juin 2011, n° 22689 07, DeSouza Ribeiro c. France), l’affaire a été renvoyée devant la
Grande chambre ; la Cimade, le Gisti et la LDH étaient tiers
intervenants.
La décision prise le 13 décembre 2012 renverse la
précédente.
La Cour estime en effet
que l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention « exige
que l’État fournisse à la personne concernée une possibilité effective
de contester la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour
et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties
procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance
interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et
d’impartialité ».
En citant abondamment la tierce intervention, la Cour relève les
pratiques expéditives que dénotent les circonstances de l’affaire et
balaie de surcroît les arguments rituels justifiant un droit
d’exception en outre-mer. « [...], interpellé le matin du
25 janvier 2007, le requérant fit l’objet d’un APRF et fut placé en
rétention administrative le même jour à 10 heures, pour être ensuite
éloigné le lendemain à 16 heures. Il a donc été éloigné de Guyane moins
de trente-six heures après son interpellation », sur la base d’un
arrêté motivé de façon succincte et stéréotypée qui atteste « le
caractère superficiel de l’examen de la situation du requérant effectué
par l’autorité préfectorale ».
Tout en se disant « consciente
de la nécessité pour les États de lutter contre l’immigration
clandestine et de disposer des moyens nécessaires pour faire face à de
tels phénomènes », la Cour estime que cette nécessité ne justifie
pas « de dénier au requérant la possibilité de disposer en pratique
des garanties procédurales minimales adéquates visant à le protéger
contre une décision d’éloignement arbitraire ».
Cette atteinte au droit au
recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention européenne
des droits de l’Homme combiné avec le droit au respect de leur vie
privée et familiale concerne de très nombreuses personnes interpellées
et reconduites de manière expéditive depuis l’outre-mer.
Pour la seconde fois en
2012 [2], la Cour condamne la France sur une question relative
à l’effectivité des procédures nationales de recours en matière
d’immigration et à leur fonctionnement. L’État français doit mettre fin
aux procédures condamnées par la Cour notamment aux régimes
d’exceptions applicables aux étrangers en outre-mer incompatibles avec
le respect des droits de l’Homme garantis par la Convention européenne
sur tous les territoires de la République française.
Notes :
[1] représenté par
son avocate, maître D. Monget Sarrail.
[2] Précédente
décision : CourEDH, I.M. c. France, 2 février2012, n° 9152/09
Collectif migrants
outre-mer (MOM)
ADDE : avocats pour la défense des droits des étrangers /AIDES / CCFD : Comité catholique contre la faim et pour le développement / Cimade : service œcuménique d’entraide / Collectif Haïti de France / Comede : comité médical pour les exilés / Gisti : groupe d’information et de soutien des immigrés / Elena : les avocats pour le droit d’asile / LDH : Ligue des droits de l’homme/ Médecins du monde / Mrap : mouvement français contre le racisme et pour l’amitié entre les peuple / OIP : Observatoire international des prisons / Secours Catholique/
Source ANAFE - Brigitte Espuche