Route amazonienne :
la consultation
n’apaise pas
les tensions
avec Morales
Par Virginie Poyetton
Après consultation, le gouvernement
d’Evo Morales affirme que les autochtones acceptent la construction d’une route
au cœur de l’Amazonie. Les dirigeants indigènes dénoncent une manipulation. Le
Tipnis – pour Territoire indigène et parc naturel Isiboro Secure – abrite 69
communautés réparties sur 1,2 million d’hectares en pleine Amazonie bolivienne.
Sans accès routier. La plupart d’entre elles n’avaient jamais vu un
fonctionnaire d’Etat sur leurs terres. La donne a changé avec la consultation
de quatre mois organisée par le gouvernement. Le 7 janvier dernier, le verdict
tombe sous forme de rapport: une large majorité, soit 55 communautés, accepte
la construction de la route amazonienne.
Un avis dont le président Evo
Morales s’est passé en réalité. Il avait déjà annoncé en juin 2011 qu’il
construirait la route «coûte que coûte»: «Nous avons les moyens financiers (un
crédit de 332 millions de dollars de la Banque de développement brésilienne,
ndlr). Mais apparaissent de soi-disant défenseurs de l’environnement qui
utilisent nos frères pour empêcher la réalisation de la route. Qu’ils le
veuillent ou non, nous la construirons.» Une position qui n’a pas eu l’heur de
plaire aux dirigeants du Tipnis qui ont organisé deux marches de protestation
de 600 km pour la défense de leur terre ancestrale. Sous la pression, Evo
Morales a d’abord déclaré l’intangibilité du parc, avant d’annoncer
l’organisation d’une consultation.
Lourdes irrégularités
Or, ce processus fait l’objet de
nombreuses critiques. «Pour nous, il n’a jamais été question de consultation»,
commente Berta Berajano, présidente de la Centrale des peuples ethniques
mojeños du Beni. Des dirigeants du TIPNIS sont eux-mêmes allés à la rencontre
des populations en collaboration avec la Conférence épiscopale bolivienne (CEB)
et l’Assemblée permanente des droits humains (APDH). Le rapport qui émane de
leurs échanges avec les habitants de la région est affligeant pour le gouvernement.
A commencer par le fait que la consultation n’a pas été menée en préalable au
projet, comme l’exige la Constitution; les machines brésiliennes étant déjà
prêtes à excaver en juin 2011. Le rapport révèle aussi que le processus a été
accompagné de dons et de promesses d’aide de la part du gouvernement. De quoi
compromettre les exigences d’«indépendance» et de «bonne foi» de la
consultation.
«Concrètement, parmi les trente-six
communautés avec qui nous avons discuté, trente ne voulaient pas de la route»,
confie Mgr Eugenio Scarpellini de la CEB. Le rapport officiel lui-même confirme
que la majorité des communautés, si elles acceptent la route, ne se prononcent
pas sur son tracé. «Ce que demandent les gens du Tipnis, ce sont les mêmes
droits que les autres Boliviens: l’accès aux soins, à l’éducation, de meilleurs
chemins, etc. La route ne fait pas partie de leurs préoccupations», ajoute
Amparo Carvajal de l’APDH.
Du côté du Service interculturel de
renforcement démocratique (SIFDE) chargé par le gouvernement d’observer la
consultation, on regrette la politisation du processus. «Avant même de
rencontrer les communautés, la CEB et l’APDH avaient décidé que la consultation
était inadéquate», relève Juan Carlos Pinto. Pour le directeur du SIFDE,
l’opposition a voulu délégitimer le processus mené par le gouvernement. «Elle a
réussi à convaincre des communautés de ne pas participer.» D’après le rapport
des autorités, un peu plus de 2000 personnes auraient été consultées. Les
dirigeants du Tipnis estiment qu’environ 8000 personnes vivent dans le parc.
«L’échantillon n’est donc pas représentatif», souligne Fernando Vargas,
président de la Subcentral Tipnis, une instance communautaire, cité par la
radio Erbol.
Plainte sera déposée
Le rapport de l’Eglise regrette également
que la consultation se soit réduite à une fausse opposition entre le
développement (la route) ou l’intangibilité (l’impossibilité d’utiliser les
ressources naturelles du parc). Juan Carlos Pinto reconnaît qu’«il y a
plusieurs manières de comprendre le terme ‘développement’. Pour l’Etat, il est
synonyme d’industrialisation, de routes et d’électrification. Mais, il y a
d’autres voix qui envisagent ce concept d’une autre manière, le défi est de
réussir à les intégrer». Cela ne semble pourtant pas être le chemin choisi par
le gouvernement. La construction de la route répond à des impératifs
économiques (Evo Morales a vendu deux concessions d’hydrocarbures au cœur du
Tipnis à des compagnies pétrolières étrangères), de développement
d’infrastructures continentales et de nécessité d’expansion de la culture de la
coca (lire ci-dessous). Pas grand-chose à voir avec le respect de la diversité.
«Le gouvernement a violé nos droits de peuples autochtones et a réussi à
diviser nos communautés avec sa consultation», commente Berta Berajano.
Du côté de la Confédération des
peuples autochtones de Bolivie
(CIDOB), son président Adolfo Chavez
annonce le dépôt d’une plainte devant le Tribunal constitutionnel pour non
respect des principes de concertation, de bonne foi et de consultation
préalable. La CIDOB entend également organiser une marche internationale en
défense du Territoire indigène. La balle est maintenant dans le camp de
l’Assemblée législative bolivienne qui devra trancher sur l’abrogation ou la
modification de la loi sur l’intangibilité du Tipnis.
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Source ; Le Courrier