à la liberté d’expression
et à la démocratie
par Carta Maior - Traduction de Roger GUILLOUX
La 68ème Assemblée générale de la Sociedade Interamericana
de Prensa (SIP)[1], réalisée du 12 au 17 octobre 2012 à São Paulo, a montré, une
fois de plus, que cette entité qui, en réalité, fonctionne comme un syndicat de
propriétaires des grands conglomérats de communication, représente aujourd’hui
l’une des plus graves menaces à la liberté d’expression en Amérique Latine.
D’ailleurs, la SIP et ses dirigeants ont un état de services bien rempli et
solide en matière d’appui à la violation des libertés et aux gouvernements
issus de coups d’Etat dans cette région du monde.
La 68ème Assemblée Générale de la Sociedade Interamericana
de Prensa (SIP), qui s’est déroulée à São Paulo du 12 au 17 octobre dernier,
a montré, une fois de plus, que cette entité qui, en réalité, fonctionne comme
un syndicat de propriétaires des grands conglomérats de communication,
représente aujourd’hui l’une des plus graves menaces à la liberté d’expression
en Amérique Latine.
Cette constatation n’est pas vraiment une nouveauté mais
plusieurs coïncidences très significatives ont marqué cette réunion de la SIP à
São Paulo. Au moment où les grands patrons qui dirigent cette entité et leurs
fidèles acolytes montraient du doigt la « Ley de Medios » du gouvernement
argentin, la considérant comme une des plus graves menaces à la liberté
d’expression sur ce continent, le rapporteur du projet de l’ONU concernant la
Liberté d’Opinion et d’Expression, Frank La Rue, disait, à Buenos Aires, que
cette loi était progressiste et pouvait être considérée comme « un modèle pour
le continent et les autres régions du monde. » Face à une divergence
d’évaluation aussi criante vis-à-vis d’une même loi, on est en droit de se
demander où réside exactement la différence entre la SIP et l’ONU.
Pour la SIP, la « menace à la presse indépendante » en
Argentine peut « déboucher, en décembre prochain, sur un sombre chapitre de son
histoire, au moment où le gouvernement envisage de poursuivre son action contre
les chaînes audiovisuelles du groupe Clarin, s’obstinant à ignorer les
décisions judiciaires et les normes légales. » Le 07 décembre prend fin le
délai fixé par la Cour Suprême concernant le recours interposé par le groupe
Clarin, recours qui lui a permis ainsi de bloquer pendant trois ans l’application
de l’article 161.
Cet article, dont la finalité est d’éviter les pratiques
monopolistiques, oblige les groupes de presse à se séparer des entreprises
affiliées dans la mesure où ils dépassent les limites établies par la nouvelle
législation.
C’est dans un tel contexte qu’il faut comprendre la
préoccupation de la SIP. Ces patrons s’arrangent pour contourner toute
limitation légale à la pratique du monopole. Ce que la SIP considère comme une
menace, le rapporteur de l’ONU le voit comme une avancée. « Je considère cette
loi comme un modèle et j’y ai fait référence au Conseil des droits de l’homme
de l’ONU à Genève. Elle est importante car, pour arriver à une liberté
d’expression, les principes de diversité des médias et de pluralisme des idées
sont fondamentaux », a affirmé Frank La Rue.
Inutile
d’insister pour dire que la SIP et les moyens de communication de ses
dirigeants ont complètement omis de faire état des déclarations du rapporteur
de l’ONU. Les limites d’expression de la liberté de la presse que la SIP
défend, recoupent exactement les limites de ses propres intérêts économiques,
ni plus ni moins. Pour comprendre la nature de ces intérêts, il est nécessaire
de rappeler la propre histoire de la SIP et de ses dirigeants qui, en Amérique
Latine, est intimement liée à l’appui aux coups d’Etat militaires, aux
renversements de gouvernements constitutionnels, à la violation systématique
des droits humains et à la censure. Pour la SIP, il est de la plus haute
importance que cette page d’histoire reste cachée mais à chaque fois que l’un
de ses dirigeants ou de ses alliés prend la parole, elle revient avec force.
L’éditorial du journal O Globo du 16 octobre 2012 intitulé «
Liberté assiégée en Amérique Latine » en est un exemple. Au tout début,
l’éditorial affirme que « toute personne moyennement informée sait que la
démocratie représentative fait l’objet d’attaques répétées en Amérique Latine,
région connue pour ses nombreuses rechutes autoritaires. » Il est vrai que les
entreprises Globo[3] s’y entendent ; après tout, elles ont offert
d’inestimables services à la dictature brésilienne tout comme l’a fait le
groupe Clarin à la dictature argentine. Ce n’est donc pas un hasard si O Globo
apporte son soutien à son partenaire argentin, accusant la présidente Cristina
Fernadez de Kirchner de vouloir l’obliger à se défaire de nombreuses chaînes de
radio et de télévision qui, aujourd’hui font de ce groupe l’un de ces nombreux
monopoles existants dans ce secteur en Amérique Latine.
Toute personne moyennement informée sait quel rôle la Globo
et d’autres grandes entreprises médiatiques ont joué durant la dictature
brésilienne, comment elles ont été complices d’assassinats, de tortures, de
disparitions de personnes, de violations des droits humains fondamentaux et de
suppression de la liberté de presse et d’expression. La même chose s’est
produite avec Clarin et La Nación en Argentine, avec le quotidien El Mercurio
au Chili ainsi que dans pratiquement tous les pays de la région. Et plus
récemment, la tradition d’appui aux coups d’Etat a refait surface au Venezuela,
au Honduras en Equateur et au Paraguay.
La SIP et ses dirigeants, peuvent donc se prévaloir d’un
solide CV en matière de services rendus à la violation des libertés en Amérique
Latine. Il est donc compréhensible qu’à partir du moment où ce pouvoir commence
à être contesté et menacé, ses moyens d’intervention viennent alerter le public
du risque « d’une liberté assiégée en Amérique Latine ». Il n’y a qu’une
liberté qui est assiégée dans la région, la liberté des propriétaires des
grands conglomérats médiatiques qui refusent à la population le droit de la
libre expression et un journalisme de qualité.
Journalisme qui d’ailleurs n’est plus l’intérêt central de
la SIP et de ses moyens de communication depuis déjà très longtemps. Ce fait a
déjà été reconnu y compris par la présidente de l’Associação Nacional de
Jornais (ANJ), Judith Brito, qui a admis que les grands médias se trouvaient
dans l’obligation d’assurer le rôle d’opposition au gouvernement Lula. ʺCes moyens de communication
assument effectivement la position d’opposition dans ce pays, étant donné que
l’opposition est profondément fragiliséeʺ
affirma la directrice de la Folha de São Paulo en mars 2010. Pour assurer cette
fonction, ces médias n’hésitent pas à laisser de côté les valeurs du
journalisme.
Comme l’a fait, une fois de plus, le groupe Globo cette
semaine qui avait commandé un sondage à l’Ibope[4] pour évaluer les intentions
de vote des électeurs de São Paulo pour le second tour des élections
municipales. Comme ce sondage mettait en évidence l’augmentation de l’avantage
du candidat du PT, Fernando Haddad, sur le candidat José Serra (PSDB), le
groupe Globo a tout simplement choisi de ne pas diffuser l’information lors de
son principal journal télévisé. La SIP, l’ANJ, leurs dirigeants et leurs
entreprises affiliées ont également gardé un profond silence sur les attaques
verbales pratiquées par José Serra contre les journalistes y compris contre les
leurs. Ce qui est assiégé en Amérique Latine, c’est la possibilité de continuer
à appeler de telles pratiques du nom de journalisme.
La cerise sur le gâteau de l’autoritarisme, du cynisme et de
l’hypocrisie fut apportée par le nouveau président de la SIP qui, lors du
discours de clôture de l’assemblée de cette entité, ne se contentant pas de
répéter les discours cités ci-dessus, décida d’attaquer le journaliste
australien Julian Assange, fondateur de Wikileaks et qui se trouve actuellement
réfugié dans l’ambassade d’Equateur à Londres, ayant déjà reçu l’asile politique
dans ce pays. Jaime Mantilla, du quotidien équatorien Hoy, accusa Assange -
qu’il qualifia ʺd’individu
habileʺ et ʺirresponsableʺ - ʺd’obtenir
des informations de manière frauduleuse et de pratiquer une forme de
journalisme malhonnête." Les journalistes brésiliens, davantage préoccupés
de couvrir les dérapages du nouveau président de la Sociedade Interamericana de
Imprensa que pratiquer un véritable journalisme, ont préféré faire l’impasse
sur ces déclarations
Les principales cibles de la SIP sur le continent - et de
l’ANJ au Brésil - sont donc les suivantes : les politiques contre la pratique
du monopole (présentées comme exemplaires par l’ONU), les journalistes comme
Assange qui vit aujourd’hui enfermé dans une ambassade pour avoir exposé les
secrets militaires de la plus grande puissance de la planète, les lois qui
visent à garantir le droit à la diversité d’opinion et à la liberté
d’expression. Les faits parlent d’eux-mêmes. N’importe quelle personne
moyennement informée sait aujourd’hui que des entités comme la SIP et l’ANJ
représentent, de fait, une grave menace à ces libertés et à ces droits dans
toute l’Amérique Latine.
Notes du traducteur :
[1]Créée aux Etats-Unis en 1946, la SIP a participé
activement à la politique dirigée contre les pays d’Amérique Latine qui ne
s’alignaient pas sur la politique nord-américaine. Elle regroupe les grands
médias latino-américains fortement marqués par leur engagement politique
conservateur, néolibéral et pro-nord-américain.
[2]Ley de Medios. Afin de mettre fin aux situations de
monopole dans la presse écrite et audiovisuelle en Argentine, en 2009, le
gouvernement de Cristina Kirchner a fait voter une loi limitant le nombre de
chaînes de radio et de télévision pouvant appartenir à un même groupe de
presse. Clarin, le premier groupe de presse argentin a fait appel et ce n’est
qu’en mai dernier que la Cour suprême a mis fin au feuilleton judiciaire
obligeant tous les groupes de presse à prendre les dispositions nécessaires
avant le 07 décembre 2012 pour se mettre en conformité avec la loi. Devant
faire face aux mêmes problèmes, le gouvernement brésilien est actuellement
engagé dans une refondation de la législation actuelle, législation qui date de
l’époque de la dictature.
[3]Le groupe de médias Globo est le premier groupe
d’Amérique Latine (il est plus important que le groupe Televisa du Mexique) et
le deuxième au niveau mondial. Présent dans la presse écrite, la radio et sur
Internet, c’est dans l’espace de la télévision ouverte qu’il a le plus grand
impact, disposant de 5 chaînes propres et de participations dans plus de 110
chaînes locales.
[4]Ibope : première entreprise brésilienne de sondages
Source : Autres Brésil