du Partido
dos Trabalhadores
Par Mino Carta [1]
- Traduction de Roger GUILLOUX
L’un de mes vieux amis me disait que la corruption c’est comme la graisse des engrenages : en doses adéquates, cela permet à la machine de fonctionner mais quand il y en a de trop, ça bloque pour de bon. Il le disait avec un brin de cynisme et beaucoup d’ironie. Il est clair que si la corruption est inacceptable in limine litis [2] , dans ce domaine, au Brésil, on a dépassé les limites.
Je me permets de faire une autre comparaison. La corruption à la manière brésilienne est comme le sol de Rome : il suffit de creuser un tout petit peu pour découvrir des ruines. Dans le cas de Rome, il s’agit de témoins antiques et glorieux d’une grande civilisation. Malheureusement, le terrain de la politique ʺdes natifsʺ [3] couvre un autre type de ruines, il montre les entrailles d’une politique d’acquisition patrimoniale sans limites.
La confusion délibérée entre public et privé vient de loin sur cette terre des Maitres et des Esclaves et il est douloureux de vérifier que, si le pays se développe, l’équivoque fatale ne fait que s’accentuer.
La corruption suit le même chemin. Mais ce qui est encore plus douloureux, c’est que les preuves de la contamination, jusqu’aux niveaux les plus humbles des services publics, confirment le triste destin du PT. Au pouvoir, il se comporte de la même manière que les autres partis pour lesquels cette plaie est une implacable tradition.
J’ai assisté à la naissance du Parti des Travailleurs en pleine période de dictature. Il est né d’une idée de Luiz Inácio da Silva, surnommé Lula, président du Syndicat des Métallurgistes de São Bernardo do Campo mais il a vite été touché par une loi dite de sécurité nationale, la sécurité des Maîtres, évidemment.
Le PT était un rassemblement relevant d’une idéologie clairement de gauche. Le temps apporta quelques retouches au programme initial et la perspective d’accéder au pouvoir, enfin à sa portée, suggéra quelques précautions et voies alternatives plausibles. Cependant le parti maintenait une éthique des comportements et une clarté dans l’action. Et tout cela était devenu la marque d’un vrai parti, bien différent de nos habituels ʺclubs récréatifsʺ.
Le PT actuel s’est écarté de cette ligne d’une manière radicale. Il a détruit son passé honorable. Il s’est rendu au virus de la corruption, qui maintenant le ronge comme il ronge, depuis toujours et le plus naturellement, les autres partis qui n’ont jamais mérités ce nom.
Son leader, quand il est devenu tout simplement Lula, a fait un bon gouvernement et a mérité très justement d’être considéré comme le président le plus populaire de l’histoire du Brésil.
Dilma suit le même chemin, affirmant sa personnalité et sa fermeté. Carta Capital apporte son soutien à la Présidente tout comme elle l’a fait avec Lula. Cependant, notre hebdomadaire estime qu’une intervention profonde et énergique à l’intérieur du PT est devenue nécessaire.
Ce serait perdre son temps que d’attendre un changement positif de la part son principal allié, le PMDB de Michel Temer et José Sarney [4]. Ainsi que de Miro Teixeira [5], l’homme de la Globo laquelle se doit de toujours avoir un représentant au gouvernement ou dans les cercles proches. Quant au PT, il faudrait qu’il retrouve la foi et les idéaux qu’il a perdu.
Je dois dire que je ne me suis jamais affilié au PT, ni à aucun autre parti d’ailleurs. L’un de mes amis me définit comme anarcho-socialiste. Moi-même je me considère comme un combattant pour l’égalité, influencé par les leçons d’Antonio Gramsci, d’où je tire ʺmon scepticisme en l’intelligence et mon optimisme dans l’actionʺ.
De mon point de vue, un parti de gauche adapté à la réalité de notre monde actuel serait d’une utilité inestimable pour ce pays. Je n’ose parler de ʺsocial-démocrateʺ pour ne pas être renvoyé au parti ʺtucanoʺ[6] .
Le PT n’est pas le parti qu’il avait promis être. Il laissa arriver aux plus hautes fonctions tout d’abord des opportunistes audacieux et ensuite des incompétents lâches. A cet instant même, l’exhibition de fourberie du rapporteur de la CPI de Cachoeira [7], le député du PT Odair Cunha, est un exemple du genre. A-t-il a été vaincu par le démon de la lâcheté, ou bien ne croyait-il pas du tout à ce qu’il faisait ou aurait dû faire ?
Il existe des héros indiscutables dans l’histoire de la gauche brésilienne, mais si peu, si l’on s’en tient à la réalité des faits. Par contre il y a d’innombrables fanfarons, exhibitionnistes, arrivistes hypocrites et radicaux chiques imbus de leur personne. Ils ne donnaient pas tous cette impression au début, certains ont trompés les plus et même les moins crédules.
Au moment opportun, ils ont montré ce dont ils étaient capables. Et ils ont acceptés de figurer dans ce spectacle déprimant que le PT nous offre aujourd’hui, du même niveau que celui des héritiers qui ont trahi le parti du docteur Ulysses Guimaraes [8] ou encore du parti de l’ingénieur Leonel Brizola, contraints [9], ces derniers, à ne pas reposer en paix.
Il faudrait remettre de l’ordre et mettre fin à cette orgie, comme l’aurait recommandé le Marquis de Sade, qui n’aurait cependant pas boudé le plaisir sadomasochiste d’un tel spectacle. Il ne suffit pas de renvoyer dans leurs foyers quelques fonctionnaires de niveau subalterne. La rigueur, la détermination et la sévérité doivent être d’une autre grandeur. Afin, y compris, d’arrêter d’offrir gracieusement autant de munitions aux prédateurs de la Casa Grande.
Notes du traducteur :
1. Mino Carta. (Demetrio Giuliano Gianni Carta) Italo-brésilien, né en Italie en 1933, est l’un des pionniers du journalisme moderne brésilien.
Parmi les journaux qu’il a lancé ou contribuer à lancer, on peut mentionner la revue Veja (1968), l’hebdomadaire brésilien le plus influent, un autre grand hebdomadaire Isto É (1976) qu’il quitta pour fonder son propre hebdomadaire, Carta Capital en 1994.
2. In limite litis. Expression latine signifiant : au début du procès, avant d’aborder toute défense de fond.
3. Mino Carta utilise le terme de ʺnativoʺ dans un sens dépréciatif, renvoyant aux tares héritées d’une histoire, celle de la colonie, celle des Maitres et Esclaves (Casa Grande e Senzala) et notamment à la corruption. A plusieurs reprises dans cet article, les termes Maitres et Esclaves vont être repris pour parler des classes dominantes et dominées.
4. Près d’une trentaine de partis ont des représentants au niveau national. La base gouvernementale est formée de dix partis, la majorité d’entre eux n’ayant que très peu, voire aucune affinité idéologique avec le PT. Le principal parti de cette coalition est le PMDB, ʺcentristeʺ, parti des notables locaux qui, en raison de son poids et en l’absence de leader fort, trouve naturellement une place de choix dans le gouvernement du moment. Michel Temer est vice-président de la république et José Sarney est actuellement président du Sénat.
5. Miro Teixeira : député fédéral, du PDT, parti de la coalition gouvernementale,
6. Tucano : toucan. Cet oiseau est aussi l’emblème du PSDB, Parti Social Démocrate Brésilien, principal parti d’opposition, conservateur, dans la ligne de l’idéologie de la Casa Grande e Senzala.
7. CPI do Cachoeira. CPI : Commission d’enquête parlementaire. Carlinhos Cachoeira est à la tête d’un des plus vastes réseaux de corruption impliquant des entreprises de travaux publics, des politiques de tout bord, des éléments de la police, des juges et des journalistes. Le député Odair Cunha, du PT, rapporteur de la CPI, cédant à certains partis de la base gouvernementale et de l’opposition mais surtout aux pressions des médias, en a tellement défiguré le contenu que celle-ci a débouché sur un arrêt des investigations et la libération du principal accusé.
8. Ulysses Guimaraes (1916 - 1992) fut l’un des plus grands leaders de l’opposition à la dictature militaire, il dirigea le PMDB et participa activement au mouvement en faveur d’élections démocratiques.
9. Leonel Brizola (1922 - 2004) Autre grande figure politique de la lutte contre la dictature. A son retour d’exil, il fonda le PDT.
Source : Autres Brésils