des Femmes Autochtones
en Amérique Latine
en Amérique Latine
Par Gabriela De Cicco - Traduction de Camille Dufour
Les femmes autochtones assument et continuent d’exercer un rôle clé de leader au sein de leurs communautés, ainsi que dans les espaces internationaux. L’AWID s’est entretenue avec Otilia Lux de Coti, directrice exécutive du Forum international des femmes autochtones (Foro Internacional de Mujeres Indígenas, FIMI), sur l’évolution du leadership des femmes autochtones au cours des dernières décennies.
Dans les années 80, plusieurs femmes autochtones telles que les équatoriennes Nina Pacarí Vega et Blanca Chancoso, les guatémaltèques Rigoberta Menchú et Rosalina Tuyuc et la péruvienne Tarcila Rivera Zea (1) prirent la tête du mouvement naissant qui, à l’approche de l’année 1992, allait commémorer les 500 ans du débarquement de Christophe Colon en Amérique. C’est cet anniversaire qui a soudé et réuni les peuples autochtones dans une réflexion commune et la prise de mesures. Plusieurs sphères, comme les syndicats, la gauche, les femmes et les jeunes, se sont engagées et mobilisées aux côtés du mouvement autochtone de façon à faire élire Rigoberta Prix Nobel de la paix.
En 1991, au Guatemala s'organisa une Rencontre intercontinentale de résistance des peuples autochtones à laquelle le mouvement récent d’afro-descendants prit part, suivie des préparatifs pour les sommets autochtones réalisés au Mexique et en Équateur. D’après Lux de Coti, ces femmes citées plus haut ont participé à tous ces espaces et ont entamé une trajectoire très intéressante, parallèlement à l’initiative des Nations Unies visant à promouvoir et organiser des activités en prévision de la IVème Conférence de la femme à Beijing.
AWID: Quels sont les facteurs qui ont contribué à cette autonomisation des femmes autochtones ayant fait d‘elles des leaders ?
OLC: Plusieurs éléments ont favorisé le développement de leur leadership. Le contexte de la Guerre Froide des années 80 a fortement encouragé la participation et la mobilisation des femmes aux organisations paysannes et autochtones. Rigoberta, à l’instar d’autres femmes leaders, était militante de gauche ; ce type d’activité permet aux femmes de s’autonomiser et d’acquérir d’importantes capacités de leadership.
Diverses institutions se sont consacrées à former des intervenantes sociales, proposant des activités de croissance économique d’une part et de développement de la participation politique de l’autre. Parmi elles, l’église catholique a ainsi soutenu la participation des femmes par le biais de différents programmes mis en œuvre par son bras social. Plusieurs partis politiques à caractère social-chrétien ont également beaucoup encouragé la participation des jeunes, les incitant à appuyer l’aide aux communautés d’un point de vue communautaire. Au Guatemala par exemple, nous avions des femmes leaders au sein des communautés, mais la guerre et la forte militarisation entre 1981 et 1983 ont pratiquement paralysé leur leadership. Certaines des leaders en puissance ont alors quitté leurs communautés, tandis que d’autres se sont fait piégées par la situation. Ceci étant, nous y avons fait face en développant un activisme politique, bien que clandestin, sous le titre « les femmes sur la voie du développement ». Cernées de militaires qui nous contrôlaient, nous avons continué à parler développement, questions économiques, à discuter de notre production, de notre participation. Mais notre véritable projet était de nous regrouper, en vue de reprendre ce mouvement que nous avions lancé des années plus tôt là où la guerre l’avait stoppé et paralysé.
Un bon point de départ qui constitue un autre facteur important, est d’avoir une référence dans la famille ; il peut s’agir de la mère ou la grand-mère qui contribue à former le caractère de la leader. Si cette dernière peut aller à l’école, certains établissements encouragent et offrent la possibilité aux étudiant-e-s de s’organiser en auto-gouvernements. L’école est ainsi habilitée à former les filles, les adolescentes et les femmes dans l’intention de cultiver l’esprit de participation, qui est un début de participation politique. Il existe aussi pour la suite les écoles de formation politique, comme celle du FIMI (le Forum international des femmes autochtones), qui proposent des diplômes ainsi qu’un soutien pédagogique contribuant à développer le leadership.
Les jeunes sont nombreuses à suivre une formation en leadership politique. Nous avons pu observer au FIMI les capacités développées de vingt femmes autochtones, très formées dans le domaine statistique, et qui vont s’avérer essentielles pour influer lors des élections nationales ou pour former des institutions de ventilation de données.
AWID: Comment les femmes autochtones ont-elles bâti leur leadership au sein de leurs communautés ?
OLC: Les femmes exercent leur leadership de différentes façons. En incarnant par exemple leur propre autorité d’une organisation quoique non reconnue par l’État, comme le sont notamment les mairesses autochtones. Dans le système institutionnel Maya, on élit une femme parce qu’elle nous a révélé qu’elle était suffisamment capable, parce qu’elle a servi et aidé la communauté et qu’elle est toujours active. Il y a aussi celles qui présentent des projets communautaires aux organismes d’État en vue de les défendre, faisant du plaidoyer politique aux cotés d’autres femmes de la communauté.
Le domaine de la santé offre un autre type de leadership, avec des femmes formées pour devenir médecins autochtones ou encore sages-femmes. Le leadership peut aussi être incarné par les femmes productrices. L’autonomisation économique doit être accentuée pour que les femmes aient l’opportunité de faire croître leur production. J’en ai été le témoin en ce qui concerne les légumes et les fleurs. Et cela se manifeste pareillement sur les marchés équatoriens et boliviens. Beaucoup de leaders mettent en pratique le “bien vivre”, qui leur est enseigné dès le plus jeune âge dans leurs familles.
AWID: Quels sont les obstacles que rencontrent les femmes autochtones pour participer aux espaces de prise de décisions ?
OLC: Je dirais que la violence, le patriarcat et le racisme constituent les plus grands obstacles. La majorité des hommes appartenant aux partis politiques, par exemple, font preuve de machisme et empêchent les femmes d’accéder à des espaces où elles pourraient être élues. Le système politique représente un obstacle supplémentaire lorsqu’il bloque la participation politique des femmes. Il est nécessaire de réformer la loi électorale et celle relative aux partis politiques. Cette loi va nous permettre de bénéficier de quotas de pouvoir, ou de la parité. C’est plus difficile dans le cas des populations autochtones. Certaines propositions, dans les pays où il existe une majorité d’autochtones par exemple, suggèrent une parité telle que l’on compte une femme autochtone pour une femme métisse, un homme métisse pour un homme autochtone, pour qu’il y existe une réelle parité et égalité.
Les menaces et les attaques dont beaucoup sont victimes les empêchent de rallier des personnes à leur cause, et les privent en grande partie de ce qui pourrait être utile à leur propre développement. Le financement, insuffisant, limite lui aussi la participation des femmes.
AWID: Comment la notion de leadership est-elle comprise et vécue par les différentes générations ?
OLC: Nous voyons les jeunes avec beaucoup d’admiration. Les jeunes nous voient comme leurs ancêtres. Comme des références et comme leurs enseignantes. Elles nous ont vu participer aux Nations Unies, obtenir des postes de ministres et de membres parlementaires, et cela correspond à leurs aspirations. Lorsqu’elles nous demandent ce qu’elles doivent faire pour y parvenir, nous leur répondons que la première chose à faire est de s’impliquer dans les organisations de femmes ou dans les organisations de leurs propres villages ; c’est là qu’on se frotte à la politique, qu’on apprend à communiquer ou à participer au niveau communautaire, qu’on apprend le plaidoyer, comment négocier. Les jeunes se rendent compte de ce grand pont entre elles et nous. Notre but est de parvenir à faire à notre tour un travail intergénérationnel avec les jeunes.
OLC: Oui. Aujourd’hui, les femmes peuvent exercer leur leadership plus librement, elles ne sont pas soumises aux mêmes contraintes que nous avons connues sous la Guerre Froide. Je crois d’un côté que le leadership d’aujourd’hui est plus prometteur, et que le fait que les organisations fournissent les installations permet aux femmes d’avoir leurs propres espaces de formation. Nous voyons chaque année que les jeunes femmes assistant à l’ Instance permanente sur les questions autochtones de l’ONU sont les mêmes que celles qui participent aux FIFDH de Genève. Au Honduras et au Nicaragua, les jeunes s’assemblent en organisations de jeunes femmes et travaillent sur des sujets tels que la violence à l’encontre des femmes, la santé sexuelle et reproductive, la participation politique, le rôle de la jeunesse, la gouvernabilité, les droits des femmes, les droits des peuples autochtones. A Rio+20, par exemple, nous avons vu les jeunes à l’œuvre, exerçant leur leadership. Elles incarnent un espoir que nous devons continuer de soutenir.
NOTE :
1) Tarcila Rivera Zea a été élue comme consultante auprès de l’ONU - Femmes en mai 2012.
Source : AWID