Le Venezuela
déboussolé
Par Jean-Baptiste Mouttet
Cela fait maintenant plus d’un mois que le président socialiste Hugo Chávez est absent du pays. Le 10 décembre, il partait se faire opérer pour la quatrième fois à La Havane de son cancer dans la zone pelvienne. La localisation exacte de ce cancer est d’ailleurs toujours tenue secrète. Depuis, le gouvernement donne des nouvelles laconiques et parfois contradictoires sur l’état de santé du comandante.
Force est de constater que le vice-président s’installe
toujours un peu plus dans le siège présidentiel. Le nouvel homme fort du régime
est parvenu à faire taire les voix dissonantes au sein de son parti. Les
socialistes avancent ensemble. Ils ont tous affirmé que Hugo Chávez demeurait
le président en exercice et qu’il ne devait pas nécessairement prêter serment
le 10 janvier devant l’Assemblée nationale, mais à une date ultérieure devant
le Tribunal suprême de justice (TSJ).
Maduro à la tête du pays ?
«Le peu qui est fait – fournir des aides, inaugurer des
œuvres – l’est par Nicolás Maduro lui-même», assure Rafael Uzcátegui,
sociologue et auteur de Venezuela: révolution ou spectacle? (Spartacus, 2011 ).
«Il y a une nécessité à le mettre en avant», poursuit-il. L’organisation
d’élections anticipées, si Hugo Chávez devait être dans l’incapacité de diriger
le pays, plane. Il s’agit pour Nicolás Maduro de se positionner en héritier
d’un président populaire.
Hugo Chávez, même absent, demeure donc omniprésent. Les
discours de Nicolás Maduro y font continuellement référence et, selon ce dernier,
c’est bel et bien Hugo Chávez lui-même qui a désigné mardi Elias Jaua comme
ministre des Relations extérieures (Affaires étrangères).
Cette organisation de la passation du pouvoir semble être la
priorité du gouvernement, qui a du mal à se passer de la figure tutélaire du
meneur de la révolution bolivarienne.
Adriana Vasquez (1), qui travaille dans l’administration
vénézuélienne, dit être en «stand by»: «Rien n’a été signé, ni aucune décision
prise. Nous travaillons avec le budget qui nous reste et qui nous a été
attribué l’année dernière», explique-t-elle. Pour Rafael Uzcátegui, c’est l’une
des conséquences du système personnalisé institué par Hugo Chávez. Il a «créé
une culture gouvernementale où toutes les décisions importantes étaient de sa
propre initiative».
Une économie au ralenti
Même constat en ce qui concerne l’économie. Elle est
«figée», «les mesures pour corriger le déficit fiscal, les problèmes de change
et les pénuries de certains produits sont repoussées», relève l’économiste José
Guerra. Adriana Vasquez raconte qu’elle a du mal à trouver du «poulet, du sucre
et de la farine de maïs – la base de l’alimentation vénézuélienne». Comme à
chaque crise ou événement important, telles les élections présidentielles, les
Vénézuéliens se ruent dans les supermarchés et les épiceries en prévision de
futures ruptures de marchandises.
Une habitude prise en 2002-2003, lorsque la
grève de la compagnie nationale d’hydrocarbures PDVSA, visant à contraindre
Hugo Chávez à la démission, avait vidé les commerces de leurs produits.
Mais le gouvernement, qui contrôle le change, seul à pouvoir
acheter et vendre légalement des devises, a aussi tardé à changer des dollars
aux entreprises afin qu’elles puissent importer. Le pays vit en effet grâce à
la rente pétrolière et dépend largement des importations. «Ce qui est en train
de se passer, nous l’avions prédit. (...)
Nous avions alerté le pays en octobre dernier que, si les
flux des devises ne s’amélioraient pas, il y aura une pénurie au premier
trimestre 2013», affirme Jorge Roig, vice-président de la Fédération des
chambres et associations de commerces et de productions du Venezuela
(Fedecámaras), proche de l’opposition. Selon lui, seules sept mille entreprises
sur cent mille ont reçu les dollars nécessaires aux importations.
L’Etat assure
que les marchés sont en voie d’approvisionnement. Il a été demandé aux
producteurs de viande et de légumes de distribuer au plus vite les aliments.
Une opposition qui perd sa cible préférée
Le gouvernement n’est pas le seul à avoir du mal à faire
face au vide du pouvoir. «L’opposition a construit son offre politique en
s’attaquant à la figure d’Hugo Chávez», souligne le sociologue Rafael
Uzcátegui. La Mud (la Table de l’unité démocratique) a désormais du mal à
anticiper.
En décembre, Henrique Capriles, le candidat malheureux contre Hugo
Chávez lors de la présidentielle, déclarait qu’il n’avait rien contre un report
de la prestation de serment prévue le 10 janvier, avant de changer d’avis. Les
prises de position sont contradictoires. Le parti démocrate-chrétien Copei
appelle à l’union du pays, tandis que d’autres partis redoublent d’attaques
frontales contre le gouvernement.
C’est le cas de Freddy Guevara, de Voluntad
popular (Volonté populaire), qui n’hésite pas à qualifier Nicolás Maduro
d’«usurpateur». Le parti Voluntad popular a d’ailleurs organisé des assemblées
populaires dans le pays le 12 janvier. A la tribune, des citoyens et des
responsables politiques prenaient la parole. Une ouverture au débat donc, qui
met cependant en lumière un manque de réponses claires et immédiates à la crise
constitutionnelle.
En l’absence d’Hugo Chávez, c’est tout un pays qui se
cherche. Le Venezuela continue d’avancer à vue et sans meneur.
Note :
(1). Le nom et le prénom de cette personne ont été modifiés à
sa demande.
Source : Le Courrier (Suisse)