jeudi 17 janvier 2013

Brésil, Nessa Guedes portrait d'une jeune blogueuse

Portrait 
de la blogueuse 
Nessa Guedes

La “garota Coca-Cola”



Par Diego Casaes · Traduction de Jean Saint-Dizier

Dans l'interview ci-dessous, nous en découvrirons un peu plus sur Nessa Guedes, une blogueuse gaúcha [Ndt: du sud du Brésil] de presque 23 ans, demeurant à São Paulo. Féministe, programmatrice et végétarienne, la Garota Coca-Cola [NdT: Telle la “garota d'Ipanema”, de Tom Jobim, une “garota” est une jeune fille] est avant tout quelqu'un qui n'arrive pas à rester passive face aux injustices du monde.

Global Voices : Qui est Nessa Guedes?

Nessa Guedes: Programmatrice ? Blogueuse ? Responsable de projets ? Volontaire? Féministe ? Végétarienne ? Cycliste ? Bonne vivante ? Activiste digitale ? Passionnée de logiciels libre ? Je ne suis toujours pas parvenue aujourd'hui à dire qui je suis, parce que je ne sais jamais si je parle de la profession, des activismes ou des activités. Parce que je m'identifie à de nombreux types d'activismes, et que j'ai besoin de connaitre d'autres contextes, je suis partie de Porto Alegre pour connaitre d'autres personnes, pour mieux comprendre comment me situer et comment agir dans la pratique de ces activismes.

GV : Pourquoi animer un blog ?
 
NG: L'idée du blog a surgi dans un contexte complètement différent, lorsque j'avais dix-sept ans et beaucoup de temps libre - je voulais exposer mes impressions sur le monde et partager avec ceux que je pensais pouvoir être intéressés. Avec le temps, j'ai cessé de ne parler que de mes interrogations personnelles et j'ai ouvert les sujets du blog sur une sphère plus collective, en pensant mobilité, choix, politique, professions, carrière, comportement et relations.

Tout cela faisait partie d'un long et continu cheminement de développement de la perception du monde. On peut dire que le blog est un reflet fidèle d'une adolescente qui devient femme.

GV: Pourquoi “Garota Coca-Cola” ?

NG: Le nom Garota Coca-Cola est venu du sentiment de faire partie intégrante d'un monde avec lequel je ne suis pas tout à fait d'accord, et duquel je ne peux effectivement pas sortir. Des fois ça me tue. J'ai souvent pensé devenir ermite, mais même en choisissant une caverne pour y vivre, même comme ça, la propriété privée m'encerclerait, puisqu'il n'existe aucun territoire dans ce monde, qui n'ait pas de propriétaire, alors il me faudrait acheter la caverne ou en prendre possession de quelque manière que ce soit, ce qui me laisse à la merci de toutes ces choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord en toutes circonstances.

Autre chose qui m'empêche “d'abandonner” le monde comme j'aimerais le faire, c'est le fait de savoir qu'il existe des gens qui ont besoin d'aide, précisément parce qu'ils n'éprouvent aucun regret de vivre dans un contexte injuste qui fait d'eux des défavorisés devant l'accès à un minimum de nourriture, d'hygiène publique et de liberté de choix.

Être une “garota coca-cola” c'est être éternellement soumise à la propriété privée, à la presse, à la législation, sans pouvoir choisir d'en faire partie ou pas. C'est ne pas boire de coca-cola mais être la cible d'un monde dépendant des boissons gazeuses. Même si des fois, il m'arrive de boire un coca.

GV : Quel est ton texte préféré sur le blog ? Et pourquoi ?

NG : Peut-être est-ce celui dans lequel j'admets regarder des films pornos - c'est un immense tabou au Brésil de dire que des femmes consomment ce type de contenus. Et aussi un texte dans lequel je parle de méritocratie et où je raconte l'horrible expérience que j'ai vécue de voir un mec agoniser devant moi sans pouvoir rien faire. Le plus triste dans cette réflexion sur le mendiant agonisant fut la banalisation de sa mort juste parce qu'il vivait dans la rue. C'était comme si une vie ne valait rien si la personne n'avait pas de biens.  La personne, pour elle-même, ne vaut rien. Vous devez être quelque chose pour obtenir une protection, du respect et de l'assistance ; ça, ça va pas, ça va pas du tout.

GV : Et comment les gens réagissent-ils à tes textes ?

NG: Mes amis sont les principaux lecteurs du blog. Beaucoup de gens m'envoient des mails plutôt que de commenter directement sur le blog. Que ce soit pour me féliciter pour un texte ou pour dire qu'ils ne sont pas d'accord. Je trouve ça super, puisque je peux, non seulement, exercer ma capacité d'argumentation sur mes idées mais aussi, cela me permet de voir mes textes avec un autre regard. De temps à autre, une discussion plus intense peut surgir, discussion qui dévie sur d'autres sphères que celle traitée dans le sujet, comme dans des listes de discussions par mails et des pingbacks d'autres blogs.

J'aime cette activité. Des fois, je change même d'idées sur certains aspects - et je trouve ça extrêmement important pour celui ou celle qui veut toujours être aiguisé dans la compréhension des choses qu'il ou elle perçoit comme erronées dans le monde.

GV : Ton activisme t'as déjà causé des problèmes ?

NG: En 2011, j'ai eu des problèmes lorsqu'une vidéo de la Folha de São Paulo [NdT: un grand journal de São Paulo, comparable au “Monde”], où l'on m'interviewait sur la  Marche des salopes à São Paulo, est tombée dans ma sphère professionnelle suite à la répercussion qu'elle a eu. Mais ce fut une crise gérable qui, par le biais d'autres facteurs, a fini en démission. Je n'ai jamais regretté d'avoir conservé mon opinion, et je n'ai jamais eu honte d'avoir été ainsi exposée sur mon lieu de travail; je n'ai commis aucun crime. Criminel, cela peut être aussi celui qui se tait devant une situation injuste et ne fait rien pour l'améliorer, mais pas quelqu'un qui l'ouvre quand il rencontre quelque chose qui ne va pas, et qui, en plus; lève ses fesses de la chaise et essaie de vraiment changer la situation. J'ai déjà retenu cette leçon de la vie: ne pas être déçue si je rate une opportunité de travail à cause de mes opinions et de mes idéaux, ou à cause de ce que j'ai pu faire dans la vie. Je remercie le ciel, de m'avoir épargné d'investir de mon temps dans des boulots et des personnes qui ne me respectent pas comme moi-même je les respecterais.

GV : Les blogs sont-ils importants dans une ère où Facebook et d'autres réseaux sociaux prédominent ?

NG : Ben, les blogs sont plus qu'importants à l'ère des réseaux sociaux : ils représentent notre garantie d'une autonomie politique sur internet. Tant qu'on utilise les réseaux sociaux ou les sites de blogs non-indépendants, on doit se soumettre à leurs politiques d'utilisations et de vie  privée. Avec nos blogs indépendants on est réellement libres.

GV : Et que fait encore Nessa Guedes ?

NG : Nessa travaille dans la production digitale, dans une agence de publicité. J'ai toujours aimé la technologie et de temps en temps je travaille en free lance comme développeuse web. J'ai l'habitude de travailler sur la base du volontariat dans le secteur des Technologies de l'Information, et je participe à tous les évènements en relation à ça. Une de mes passions c'est donner des cours, et à chaque fois que je peux je donne des cours de développement à des gens étrangers au secteur, pas toujours de manière volontaire, mais toujours avec beaucoup d'enthousiasme. Je suis un membre jedi du Garoa Hacker Club, et volontaire par engagement dans la Fondation Mozilla. Je suis aussi membre de  Blogueiras Feministas ou Blogueuses Féministes, une liste de discussion et un portail sur le féminisme au Brésil. J'écris aussi des trucs sur le développement dans mon autre blog.

J'ai fait toute ma formation dans les réseaux informatiques, mais j'ai aussi fait de tout dans ma vie, de standardiste à volontaire dans une ONG qui s'occupait de chiens, jusqu'à tenter une licence de physique pendant trois longues et frustrantes années  à l'UFRGS (Université Fédérale du Rio Grande Do Sul). Je suis toujours un peu perdue quand on me demande ce que je fais d'autre dans la vie si ce n'est travailler, ou bloguer ; il y a tellement de choses…

GV : Pour finir, une idée en un tweet pour changer le monde ?

NG : Ne remet pas à plus tard ce que tu peux faire dans les cinq prochaines minutes.


Source : Global Voices