de la blogueuse
Nessa Guedes
La “garota
Coca-Cola”
Par Diego Casaes · Traduction de Jean Saint-Dizier
Dans l'interview ci-dessous, nous en découvrirons un peu
plus sur Nessa Guedes, une blogueuse gaúcha
[Ndt: du sud du Brésil] de presque 23 ans, demeurant à São Paulo. Féministe,
programmatrice et végétarienne, la Garota
Coca-Cola [NdT: Telle la “garota d'Ipanema”, de Tom Jobim, une “garota” est
une jeune fille] est avant tout quelqu'un qui n'arrive pas à rester passive
face aux injustices du monde.
Nessa Guedes:
Programmatrice ? Blogueuse ? Responsable de projets ? Volontaire? Féministe ?
Végétarienne ? Cycliste ? Bonne vivante ? Activiste digitale ? Passionnée de
logiciels libre ? Je ne suis toujours pas parvenue aujourd'hui à dire qui je
suis, parce que je ne sais jamais si je parle de la profession, des activismes
ou des activités. Parce que je m'identifie à de nombreux types d'activismes, et
que j'ai besoin de connaitre d'autres contextes, je suis partie de Porto Alegre
pour connaitre d'autres personnes, pour mieux comprendre comment me situer et
comment agir dans la pratique de ces activismes.
GV : Pourquoi animer un blog ?
NG: L'idée du blog a
surgi dans un contexte complètement différent, lorsque j'avais dix-sept ans et
beaucoup de temps libre - je voulais exposer mes impressions sur le monde et
partager avec ceux que je pensais pouvoir être intéressés. Avec le temps, j'ai
cessé de ne parler que de mes interrogations personnelles et j'ai ouvert les
sujets du blog sur une sphère plus collective, en pensant mobilité, choix,
politique, professions, carrière, comportement et relations.
Tout cela faisait partie d'un long et continu cheminement de
développement de la perception du monde. On peut dire que le blog est un reflet
fidèle d'une adolescente qui devient femme.
GV: Pourquoi “Garota Coca-Cola” ?
NG: Le nom Garota
Coca-Cola est venu du sentiment de faire partie intégrante d'un monde avec
lequel je ne suis pas tout à fait d'accord, et duquel je ne peux effectivement
pas sortir. Des fois ça me tue. J'ai souvent pensé devenir ermite, mais même en
choisissant une caverne pour y vivre, même comme ça, la propriété privée
m'encerclerait, puisqu'il n'existe aucun territoire dans ce monde, qui n'ait
pas de propriétaire, alors il me faudrait acheter la caverne ou en prendre
possession de quelque manière que ce soit, ce qui me laisse à la merci de
toutes ces choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord en toutes
circonstances.
Autre chose qui m'empêche “d'abandonner” le monde comme
j'aimerais le faire, c'est le fait de savoir qu'il existe des gens qui ont
besoin d'aide, précisément parce qu'ils n'éprouvent aucun regret de vivre dans
un contexte injuste qui fait d'eux des défavorisés devant l'accès à un minimum
de nourriture, d'hygiène publique et de liberté de choix.
Être une “garota coca-cola” c'est être éternellement soumise
à la propriété privée, à la presse, à la législation, sans pouvoir choisir d'en
faire partie ou pas. C'est ne pas boire de coca-cola mais être la cible d'un
monde dépendant des boissons gazeuses. Même si des fois, il m'arrive de boire
un coca.
GV : Quel est ton texte préféré sur le blog ? Et pourquoi
?
NG : Peut-être
est-ce celui dans lequel j'admets
regarder des films pornos - c'est un immense tabou au Brésil de dire que
des femmes consomment ce type de contenus. Et aussi un texte dans lequel je
parle de méritocratie et où je raconte l'horrible expérience que j'ai vécue de
voir un mec agoniser devant moi sans pouvoir rien faire. Le plus triste dans
cette réflexion sur le mendiant
agonisant fut la banalisation de sa mort juste parce qu'il vivait dans la
rue. C'était comme si une vie ne valait rien si la personne n'avait pas de
biens. La personne, pour elle-même, ne vaut rien. Vous devez être quelque
chose pour obtenir une protection, du respect et de l'assistance ; ça, ça va
pas, ça va pas du tout.
GV : Et comment les gens réagissent-ils à tes textes ?
NG: Mes amis sont les
principaux lecteurs du blog. Beaucoup de gens m'envoient des mails plutôt que
de commenter directement sur le blog. Que ce soit pour me féliciter pour un
texte ou pour dire qu'ils ne sont pas d'accord. Je trouve ça super, puisque je
peux, non seulement, exercer ma capacité d'argumentation sur mes idées mais
aussi, cela me permet de voir mes textes avec un autre regard. De temps à
autre, une discussion plus intense peut surgir, discussion qui dévie sur
d'autres sphères que celle traitée dans le sujet, comme dans des listes de
discussions par mails et des pingbacks d'autres blogs.
J'aime cette activité. Des fois, je change même d'idées sur
certains aspects - et je trouve ça extrêmement important pour celui ou celle
qui veut toujours être aiguisé dans la compréhension des choses qu'il ou elle
perçoit comme erronées dans le monde.
GV : Ton activisme t'as déjà causé des problèmes ?
NG: En 2011, j'ai eu
des problèmes lorsqu'une vidéo de la Folha de São Paulo [NdT:
un grand journal de São Paulo, comparable au “Monde”], où l'on m'interviewait sur
la Marche
des salopes à São Paulo, est tombée dans ma sphère professionnelle suite à
la répercussion qu'elle a eu. Mais ce fut une crise gérable qui, par le biais
d'autres facteurs, a fini en démission. Je n'ai jamais regretté d'avoir
conservé mon opinion, et je n'ai jamais eu honte d'avoir été ainsi exposée sur
mon lieu de travail; je n'ai commis aucun crime. Criminel, cela peut être aussi
celui qui se tait devant une situation injuste et ne fait rien pour
l'améliorer, mais pas quelqu'un qui l'ouvre quand il rencontre quelque chose
qui ne va pas, et qui, en plus; lève ses fesses de la chaise et essaie de
vraiment changer la situation. J'ai déjà retenu cette leçon de la vie: ne pas
être déçue si je rate une opportunité de travail à cause de mes opinions et de
mes idéaux, ou à cause de ce que j'ai pu faire dans la vie. Je remercie le
ciel, de m'avoir épargné d'investir de mon temps dans des boulots et des
personnes qui ne me respectent pas comme moi-même je les respecterais.
GV : Les blogs sont-ils importants dans une ère où
Facebook et d'autres réseaux sociaux prédominent ?
NG : Ben, les blogs
sont plus qu'importants à l'ère des réseaux sociaux : ils représentent notre
garantie d'une autonomie politique sur internet. Tant qu'on utilise les réseaux
sociaux ou les sites de blogs non-indépendants, on doit se soumettre à leurs
politiques d'utilisations et de vie privée. Avec nos blogs indépendants on est réellement libres.
GV : Et que fait encore Nessa Guedes ?
NG : Nessa travaille
dans la production digitale, dans une agence de publicité. J'ai toujours aimé
la technologie et de temps en temps je travaille en free lance comme développeuse
web. J'ai l'habitude de travailler sur la base du volontariat dans le secteur
des Technologies de l'Information, et je participe à tous les évènements en
relation à ça. Une de mes passions c'est donner des cours, et à chaque fois que
je peux je donne des cours de développement à des gens étrangers au secteur,
pas toujours de manière volontaire, mais toujours avec beaucoup d'enthousiasme.
Je suis un membre jedi du Garoa
Hacker Club, et volontaire par engagement dans la Fondation Mozilla. Je
suis aussi membre de Blogueiras
Feministas ou Blogueuses Féministes, une liste de discussion et un portail
sur le féminisme au Brésil. J'écris aussi des trucs sur le développement dans mon autre blog.
J'ai fait toute ma formation dans les réseaux informatiques,
mais j'ai aussi fait de tout dans ma vie, de standardiste à volontaire dans une
ONG qui s'occupait de chiens, jusqu'à tenter une licence de physique pendant
trois longues et frustrantes années à l'UFRGS (Université Fédérale du Rio
Grande Do Sul). Je suis toujours un peu perdue quand on me demande ce que je
fais d'autre dans la vie si ce n'est travailler, ou bloguer ; il y a tellement
de choses…
GV : Pour finir, une idée en un tweet pour changer le
monde ?
NG : Ne remet pas à
plus tard ce que tu peux faire dans les cinq prochaines minutes.
Source : Global Voices