Par Gotson Pierre
La « question de couleur » resterait-elle entière en Haiti ? La littérature tente une réponse avec « La vie et ses couleurs », un
recueil de nouvelles et textes courts, réunis par Lyonel Trouillot, et
qui vient de paraitre aux éditions C3. Aux côtés du célèbre écrivain, 9 autres auteurs participent à cet
ouvrage collectif, certains plus connus que d’autres.
Les textes, en
Créole ou en Français, sont de Chantal Kénol, Jean-Robert Léonidas,
Jean-Euphèle Milcé et Rodney St-Éloi. Ont aussi collaboré au recueil : Josaphat Robert Large, Rodolphe Mathurin, Emmelie Prophète, Evelyne Trouillot et Gary Victor.
« Élément majeur dans le fonctionnement des mécanismes d’exclusion »,
la question épidermique « resurgit chaque fois qu’on la croit morte »,
fait remarquer Lyonel Trouillot (ci-dessus en photo).
Mais ce n’est nullement sur le mode de la réflexion que le sujet est
abordé. C’est plutôt la littérature qui nous parle, à travers la voix de
poètes, romanciers et nouvellistes, en mettant en avant son « pouvoir
de révélation » avec, bien entendu, « sa part de doute » et ses nuances.
Le livre renferme ces petites histoires du quotidien qui nous
échappent et qui pourtant constituent en partie la trame de notre
réalité sociologique.
Jeune travailleuse noire rencontre l’humiliation au supermarché des
« blancs », lorsqu’elle tente de se procurer un produit pour s’éclaircir
la peau.
Jeune « blonde » de la « Cité des Bourgeois » est l’unique membre de
sa famille qui échappe à une « déflagration ». Récupérée par
l’intendante, elle se pend après avoir constaté le niveau de mépris de
ses proches pour les gens « noirs » qui vivent à « Marc-de-Café ».
Famille très modeste de Cazale (à peau claire ?) ravagée par le choix
amoureux de l’ainée, qui s’offre un noir non fortuné comme fiancé.
Jeune femme noire confie avoir grandi « enveloppée dans un mensonge
ou plutôt dans une vérité qu’on tarde à démentir » dans ce pays : « la
beauté et la richesse ont la peau claire ».
Acteur haïtien revenu de Montréal pour tenir le rôle principal dans
le film intitulé « Carnet d’un Black en Haïti » comprend mieux les mots
« colonisation, esclavage, ségrégation », lorsqu’un serveur refuse de
servir à boire à deux « locaux ».
Mère noire avec statut de domestique dans sa propre famille, est
privée du droit à l’affection de ses deux enfants et meurt dans le
chagrin.
Que d’histoires à lire, relire et méditer, en ayant en tête que la
scène se situe ici, dans ce pays qui a pourtant beaucoup contribué à
donner un sens universel au mot humain !
A travers ces histoires, transpire un « vœu de vivre ensemble »
(comme l’écrit Trouillot), l’aspiration à une société dépouillée de
tares séculaires qu’elle ne devrait plus trainer.
Voici qu’au milieu de tant de problèmes à résoudre : vulnérabilité
aux catastrophes, pauvreté, dépendance, instabilité… on se prend à
réfléchir à une question qu’on croyait résolue depuis l’indépendance en
1804, ou tout au moins lors de la révolte des jeunes de 1946.
Dans quelle mesure cette préoccupation résonne-t-elle avec plus de
force dans un contexte où le débat politique recommence à s’appuyer sur
la nuance épidermique, alors que des troupes étrangères, pour la plupart
de teint clair, occupent le sol national ?
Vient l’envie de revisiter, entre autres, les œuvres de Marie Chauvet
ou de Justin L’hérisson qui nous introduisent dans l’univers du racisme
ou de la « blancophilie » à l’haitienne.
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Source : AlterPresse Haïti