dimanche 27 janvier 2013

Le Parti des Travailleurs du Brésil, 10 ans de pouvoir

 Economie brésilienne :
10 ans du PT 
au pouvoir


Par Jean-Jacques Fontaine (1)

Janvier 2013, le PT célèbre 10 ans de présence à la tête de l’Etat. Fort de 88 députés élus à la Chambre basse, il y dirige une coalition majoritaire de 328 parlementaires de divers partis qui lui assurent une solide majorité. Dilma Rousseff cartonne toujours dans les sondages de popularité et caresse l’espoir d’une réélection en 2014. Un beau succès pour une politique cherchant à combiner croissance économique et la lutte contre les inégalités sociales. Mais après 10 ans, l’usure du pouvoir commence à se faire sentir et la stratégie économique du PT est de plus en plus critiquée en cette période de crise mondiale.

Fin 2002, les marchés internationaux s’affolent. L’ouvrier métallurgiste et militant syndicaliste Luis Iniacio da Silva, leader du Parti des Travailleurs est élu Président de la République Fédérative du Brésil ! 

Pour rassurer le monde des affaires, Lula publie une « Lettre aux Brésiliens » dans laquelle il s’engage à respecter la politique économique rigoureuse suivie jusqu’ici : lutte contre l’inflation, change flottant et responsabilité fiscale.


Grâce aux bons résultats de l’économie mondiale


Janvier 2003, la transition se fait dans le calme. A Brasilia et partout dans le monde, le nouveau Président suscite un immense espoir de changement. Il est réélu en 2006, puis cède sa place à sa dauphine Dilma Rousseff en 2010, la continuité est assurée. En 10 ans ce gouvernement a surfé sur les bons résultats de l’économie mondiale : la croissance a été supérieure à celles des décennies précédentes, l’inflation est restée sous contrôle, jamais il ne s’est créé autant d’emplois et des millions de familles sont sorties de la pauvreté, contribuant à l’émergence d’une nouvelle classe moyenne.


Fer de lance de cette stratégie, affirme le service de presse de l’ex-président Lula, « démentir deux dogmes qui collaient à l’image de ce pays, à savoir qu’il était impossible d’augmenter les salaires sans provoquer de l’inflation et qu’il était impossible de faire croître en même temps le marché intérieur et les exportations du pays. Par son action, Lula a démontré le contraire ».


Le pragmatisme de Lula


Ce pragmatisme politique est sans doute une des caractéristiques principales de la personnalité de Lula. Selon André Singer son ancien porte-parole, aujourd’hui professeur de Sciences Politiques à l’Université de São Paulo, sa force a été de faire évoluer le projet du PT d’un « réformisme fort à un réformisme réaliste mais faible ».


Et André Singer de rappeler qu’en 2001, le PT prônait « une intense redistribution des richesses dans un pays vivant une situation obscène d’inégalités », à travers une grande réforme agraire et une imposition lourde des hauts revenus pour alimenter un Fond National de Solidarité.


Une fois le PT au pouvoir, note André Singer, « le projet de combat contre la pauvreté s’est traduit par une politique de transfert de richesse aux plus pauvres via les subsides de la Bourse Famille, l’augmentation du crédit, la valorisation du salaire  minimum et la création d’emplois formels, toutes propositions qui figuraient dans la plateforme de réformisme fort du Parti, mais qui ont été appliquées à dose homéopathique pour ne pas susciter les confrontations ».


Parfums de désillusion


10 après la première élection de Lula, ces succès historiques font place à une certaine désillusion. Les critiques augmentent, les recettes appliquées par l’équipe économique actuelle ne convainquent plus, la croissance mondiale en panne ne tire plus le Brésil vers le haut, la consommation intérieure s’essouffle. Plusieurs analystes de renom, dont les anciens Présidents de la Banque Centrale Alexandre Schwartsman et Gustavo Loyola, tirent la sonnette d’alarme.


« Le PT n’a pas su profiter de l’ère d’abondance pour faire les réformes nécessaires, notamment dans le domaine fiscal ». « L’équipe économique en place est en train d’abandonner le triptyque qui a fait le succès de cette dernière décennie, contrôle de l’inflation, change flottant et responsabilité fiscale. La Banque Centrale semble accepter de laisser monter les prix pour ne pas ralentir une croissance qui de toute façon s’essouffle »


Le mythe de la croissance intérieure


Carlos Lessa, Président de la Banque Nationale de Développement Economique et Sociale durant les deux premières années du gouvernement Lula (2003-2004) estime que le modèle de croissance brésilien basé sur la consommation intérieure s’épuise. Les familles se sont surendettées pour financer les biens achetés et les investissements nécessaires dans les infrastructures n’ont pas été réalisés. « Des réformes auraient pu et auraient du être faites pour que les perspectives d’avenir soient plus favorables qu’elles ne le sont aujourd’hui ».


La vision d’Alexandre Schwartsman est encore plus dramatique : faible croissance et forte inflation pour les années qui viennent. Pour cet ancien Directeur des Affaires Internationales de la Banque Centrale (2003-2006) le péché principal du PT est de ne pas avoir entrepris de réforme des impôts et de la législation du travail qui pénalisent lourdement la compétitivité: « nous avons surfé sur la vague de la croissance mondiale et nous avons oublié de faire les changement nécessaires à assurer cette croissance ».


Décennie perdue ?


« Ces 10 dernières années, le Brésil a gagné en notoriété et en crédibilité économique sur le plan international », ajoute Gustavo Loyola, Président de la Banque Centrale à la pire époque de l’hyperinflation brésilienne, entre 1992 et 1993, « mais en différant les ajustements nécessaires, nous avons perdu une décennie et sans doute sommes-nous en train de régresser ».


Le pessimisme de Gustavo Loyola recoupe celui de plusieurs observateurs financiers qui mettent aujourd’hui en question la politique qualifiée « d’opportuniste » du Ministre de l’Economie Guido Mantega. On lui reproche d’utiliser des méthodes peu orthodoxes pour donner une « illusion de croissance », d’étatiser les instruments économiques et adopter une « comptabilité créative » non crédible pour camoufler la baisse des réserves du pays.

 « S’il reste aux commandes, le Brésil va régresser à la même vitesse que la crédibilité du Ministre s’effrite » ironise-t-on dans les couloirs de la bourse de São Paulo.



Renouveau du Parti ?


Politiquement cependant, ce cadre économique préoccupant ne ternit pas la popularité du PT. Pas plus que les scandales qui, comme le Mensalão, ont affectés plusieurs de ses hauts dirigeants (voir Vision Brésil n° 36 août 2012, 38 octobre 2012, 39 décembre 2012). Les effets du ralentissement de la croissance, la hausse encore modérée de l’inflation n’affecte pas encore la vie quotidienne des brésiliens. Et le maintien du plein emploi contribue à stimuler l’optimisme et la confiance envers l’équipe au pouvoir.


Au sein du PT cependant, on commence à sentir la nécessité de s’interroger sur les perspectives d’avenir. Une interpellation qui émane de la minorité, mais qui prend de l’ampleur. C’est aujourd’hui Tarso Genro, Gouverneur du Rio Gande do Sul et ancien Ministre de la Justice qui incarne cette tendance. Ce dirigeant historique du PT estime en effet que « les méthodes que nous avons adoptées pour former des alliances et composer des majorités autour de notre vision politique sont les mêmes que celles des partis traditionnels que nous critiquions quand nous étions dans l’opposition ».


« C’est le grand défi sur laquelle nous devons travailler : comment constituer des alliances qui nous donnent la capacité de gouverner dans le respect de l’ordre démocratique, sans recourir aux moyens traditionnels douteux que nous avons hérités de la Vieille République. Cette question doit être au centre d’une mutation politique que le PT doit effectuer et que j’appelle « projet 14-18 », en vue de la législation 2014-2018 »


Note : 

(1) Jean-Jacques Fontaine


"Je suis un journaliste suisse habitant actuellement le Brésil. J’ai été correspondant en Amérique latine pour la presse suisse, belge et canadienne dans les années 1980, puis journaliste à la télévision suisse romande à Genève pendant 20 ans, tout en continuant à séjourner chaque année quelques semaines au Brésil. 

Retraité depuis début 2007, je me suis réinstallé de façon définitive à Rio de Janeiro."



Sources : article et crédits photos Vision Brésil