10 ans du PT
au pouvoir
au pouvoir
Par Jean-Jacques Fontaine (1)
Janvier 2013, le PT célèbre 10 ans de présence à la tête de
l’Etat. Fort de 88 députés élus à la Chambre basse, il y dirige une coalition
majoritaire de 328 parlementaires de divers partis qui lui assurent une solide
majorité. Dilma Rousseff cartonne toujours dans les sondages de popularité et
caresse l’espoir d’une réélection en 2014. Un beau succès pour une politique
cherchant à combiner croissance économique et la lutte contre les inégalités
sociales. Mais après 10 ans, l’usure du pouvoir commence à se faire sentir et
la stratégie économique du PT est de plus en plus critiquée en cette période de
crise mondiale.
Fin 2002, les marchés internationaux
s’affolent. L’ouvrier métallurgiste et militant syndicaliste Luis
Iniacio da Silva, leader du Parti des Travailleurs est élu Président de
la République Fédérative du Brésil !
Pour rassurer le monde des
affaires, Lula publie une « Lettre aux Brésiliens » dans laquelle il
s’engage à respecter la politique économique rigoureuse suivie
jusqu’ici : lutte contre l’inflation, change flottant et responsabilité
fiscale.
Grâce aux bons résultats de l’économie mondiale
Janvier
2003, la transition se fait dans le calme. A Brasilia et partout dans
le monde, le nouveau Président suscite un immense espoir de changement.
Il est réélu en 2006, puis cède sa place à sa dauphine Dilma Rousseff en
2010, la continuité est assurée. En 10 ans ce gouvernement a surfé sur
les bons résultats de l’économie mondiale : la croissance a été
supérieure à celles des décennies précédentes, l’inflation est restée
sous contrôle, jamais il ne s’est créé autant d’emplois et des millions
de familles sont sorties de la pauvreté, contribuant à l’émergence d’une
nouvelle classe moyenne.
Fer de lance de cette stratégie, affirme
le service de presse de l’ex-président Lula, « démentir deux dogmes qui
collaient à l’image de ce pays, à savoir qu’il était impossible
d’augmenter les salaires sans provoquer de l’inflation et qu’il était
impossible de faire croître en même temps le marché intérieur et les
exportations du pays. Par son action, Lula a démontré le contraire ».
Le pragmatisme de Lula
Ce
pragmatisme politique est sans doute une des caractéristiques
principales de la personnalité de Lula. Selon André Singer son ancien
porte-parole, aujourd’hui professeur de Sciences Politiques à
l’Université de São Paulo, sa force a été de faire évoluer le projet du
PT d’un « réformisme fort à un réformisme réaliste mais faible ».
Et André Singer de rappeler qu’en 2001,
le PT prônait « une intense redistribution des richesses dans un pays
vivant une situation obscène d’inégalités », à travers une grande
réforme agraire et une imposition lourde des hauts revenus pour
alimenter un Fond National de Solidarité.
Une fois le PT au pouvoir, note André
Singer, « le projet de combat contre la pauvreté s’est traduit par une
politique de transfert de richesse aux plus pauvres via les subsides de
la Bourse Famille, l’augmentation du crédit, la valorisation du salaire
minimum et la création d’emplois formels, toutes propositions qui
figuraient dans la plateforme de réformisme fort du Parti, mais qui ont
été appliquées à dose homéopathique pour ne pas susciter les
confrontations ».
Parfums de désillusion
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après la première élection de Lula, ces succès historiques font place à
une certaine désillusion. Les critiques augmentent, les recettes
appliquées par l’équipe économique actuelle ne convainquent plus, la
croissance mondiale en panne ne tire plus le Brésil vers le haut, la
consommation intérieure s’essouffle. Plusieurs analystes de renom, dont
les anciens Présidents de la Banque Centrale Alexandre Schwartsman et
Gustavo Loyola, tirent la sonnette d’alarme.
« Le PT n’a pas su profiter de l’ère
d’abondance pour faire les réformes nécessaires, notamment dans le
domaine fiscal ». « L’équipe économique en place est en train
d’abandonner le triptyque qui a fait le succès de cette dernière
décennie, contrôle de l’inflation, change flottant et responsabilité
fiscale. La Banque Centrale semble accepter de laisser monter les prix
pour ne pas ralentir une croissance qui de toute façon s’essouffle »
Le mythe de la croissance intérieure
Carlos
Lessa, Président de la Banque Nationale de Développement Economique et
Sociale durant les deux premières années du gouvernement Lula
(2003-2004) estime que le modèle de croissance brésilien basé sur la
consommation intérieure s’épuise. Les familles se sont surendettées pour
financer les biens achetés et les investissements nécessaires dans les
infrastructures n’ont pas été réalisés. « Des réformes auraient pu et
auraient du être faites pour que les perspectives d’avenir soient plus
favorables qu’elles ne le sont aujourd’hui ».
La
vision d’Alexandre Schwartsman est encore plus dramatique : faible
croissance et forte inflation pour les années qui viennent. Pour cet
ancien Directeur des Affaires Internationales de la Banque Centrale
(2003-2006) le péché principal du PT est de ne pas avoir entrepris de
réforme des impôts et de la législation du travail qui pénalisent
lourdement la compétitivité: « nous avons surfé sur la vague de la
croissance mondiale et nous avons oublié de faire les changement
nécessaires à assurer cette croissance ».
Décennie perdue ?
« Ces 10 dernières années, le Brésil a
gagné en notoriété et en crédibilité économique sur le plan
international », ajoute Gustavo Loyola, Président de la Banque Centrale à
la pire époque de l’hyperinflation brésilienne, entre 1992 et 1993,
« mais en différant les ajustements nécessaires, nous avons perdu une
décennie et sans doute sommes-nous en train de régresser ».
Le
pessimisme de Gustavo Loyola recoupe celui de plusieurs observateurs
financiers qui mettent aujourd’hui en question la politique qualifiée
« d’opportuniste » du Ministre de l’Economie Guido Mantega. On lui
reproche d’utiliser des méthodes peu orthodoxes pour donner une
« illusion de croissance », d’étatiser les instruments économiques et
adopter une « comptabilité créative » non crédible pour camoufler la
baisse des réserves du pays.
« S’il reste aux commandes, le Brésil va régresser à la même vitesse que la crédibilité du Ministre s’effrite » ironise-t-on dans les couloirs de la bourse de São Paulo.
« S’il reste aux commandes, le Brésil va régresser à la même vitesse que la crédibilité du Ministre s’effrite » ironise-t-on dans les couloirs de la bourse de São Paulo.
Renouveau du Parti ?
Politiquement
cependant, ce cadre économique préoccupant ne ternit pas la popularité
du PT. Pas plus que les scandales qui, comme le Mensalão, ont affectés
plusieurs de ses hauts dirigeants (voir Vision Brésil n° 36 août 2012,
38 octobre 2012, 39 décembre 2012). Les effets du ralentissement de la
croissance, la hausse encore modérée de l’inflation n’affecte pas encore
la vie quotidienne des brésiliens. Et le maintien du plein emploi
contribue à stimuler l’optimisme et la confiance envers l’équipe au
pouvoir.
Au sein du PT cependant, on commence à
sentir la nécessité de s’interroger sur les perspectives d’avenir. Une
interpellation qui émane de la minorité, mais qui prend de l’ampleur.
C’est aujourd’hui Tarso Genro, Gouverneur du Rio Gande do Sul et ancien
Ministre de la Justice qui incarne cette tendance. Ce dirigeant
historique du PT estime en effet que « les méthodes que nous avons
adoptées pour former des alliances et composer des majorités autour de
notre vision politique sont les mêmes que celles des partis
traditionnels que nous critiquions quand nous étions dans
l’opposition ».
« C’est
le grand défi sur laquelle nous devons travailler : comment constituer
des alliances qui nous donnent la capacité de gouverner dans le respect
de l’ordre démocratique, sans recourir aux moyens traditionnels douteux
que nous avons hérités de la Vieille République. Cette question doit
être au centre d’une mutation politique que le PT doit effectuer et que
j’appelle « projet 14-18 », en vue de la législation 2014-2018 »
Note :
"Je suis un journaliste suisse habitant
actuellement le Brésil. J’ai été correspondant en Amérique latine pour
la presse suisse, belge et canadienne dans les années 1980, puis
journaliste à la télévision suisse romande à Genève pendant 20 ans, tout
en continuant à séjourner chaque année quelques semaines au Brésil.
Retraité depuis début 2007, je me suis réinstallé de façon définitive à Rio de Janeiro."
Retraité depuis début 2007, je me suis réinstallé de façon définitive à Rio de Janeiro."
Sources : article et crédits photos Vision Brésil