Par Simon Morin, étudiant en sciences politiques à l’UQAM *
À l'heure de la globalisation, les alternatives au
développement néolibéral se font de plus en plus nécessaires. Les
inégalités entre les riches et les pauvres s'accroissent de jour en jour
et laissent des centaines de millions de personnes vivre en situation
d'extrême pauvreté. Les dommages causés à l'environnement se font aussi
de plus en plus sentir à un moment où les limites des écosystèmes
terrestres sont pratiquement toutes atteintes.
À ce sujet, le cinquième
bilan quinquennal de l’état de la planète du Programme des Nations unies
pour l’environnement révélait que les efforts convenus par la
communauté internationale dans la lutte contre le réchauffement
climatique n'avaient connu un progrès significatif que pour 4 des 90
objectifs majeurs identifiés depuis 1950.
L'Équateur, petit pays andin d'Amérique latine, a entrepris de
développer son propre programme depuis 2007. Critiquant les fondements
du développement capitaliste occidental à l'origine de cette double
crise civilisationnelle, il a introduit, au sein de sa nouvelle
constitution en 2008, la notion autochtone du « Buen vivir »**.
Son plan de développement pose ainsi les bases
en trois temps d'une transition écosocialiste dont l'objectif est de
transformer la matrice productrice, mais aussi de décoloniser notre
manière de vivre ensemble.
Développement humain
Le « Buen vivir» propose une solution de rechange à la conception néolibérale du développement dont la priorité va aux individus plutôt qu’à l'accumulation sans fin du capital. La stratégie vise à améliorer les capacités de tout un chacun afin que tous puissent être en mesure d'agir et de se prendre en main. Le développement en ce sens ne dépend pas de l’État, même s'il peut en être un acteur important, mais dépend des individus que les institutions publiques cherchent à encadrer.
Les pauvres et les marginalisés ne sont pas vus
comme des obstacles à la prospérité collective, mais représentent plutôt
des vecteurs d'un développement solidaire auquel ils sont destinés à
participer. En d'autres termes, l’objectif est de donner les aptitudes
nécessaires à qui en a besoin, pour qu'il participe à son propre
développement et au développement de la collectivité.
Par exemple, l’Équateur a investi d'importantes ressources dans le système de santé et d'éducation au cours des dernières années. L'objectif n'était pas seulement de fournir la capacité de lire et d'écrire, de façon à ce que tous obtiennent un emploi, mais également de renforcer les capacités d'expression, d'entreprise, d'innovation et une pensée critique, nécessaires au développement d'une économie solidaire.
Développement démocratique
Le développement du « Buen vivir » concerne aussi les communautés. Le plurinationalisme et l'interculturalisme sont deux des composantes fondatrices de l’État et de la société équatorienne. Toutes deux sont reconnues explicitement à l'article 1 de la Constitution de 2008.
De pair avec cette idée de redonner les capacités aux
individus, le « Buen vivir » privilégie la décentralisation et la
déconcentration du pouvoir de manière à ce que l'État perde son monopole
de l’action sociale au profit de l'autodétermination collective. En
effet, le « Buen vivir » privilégie l’engagement citoyen sous diverses
formes démocratiques, délibérative, participatives, et représentatives
tant à l’échelle locale, régionale que nationale.
L’État ne doit plus
agir de façon paternaliste, mais redistribuer le pouvoir aux
communautés, afin qu'elles puissent se réapproprier l’État qui les
gouverne et l'économie qui les coordonne.
Le Plan national pour le « Buen vivir » 2009-2013 propose
ainsi un équilibre entre la société civile, le pouvoir économique et
l’État démocratique. Deux innovations politiques intéressantes ont aussi
été adoptées durant le processus
constitutionnel, soient la promotion des Assemblées
communautaires ainsi que
le droit de consultation accordé aux
communautés autochtones, « afrodescedantes » et « montuvios
»***.
Développement durable
En plus de promouvoir l'épanouissement individuel et collectif,
le « Buen vivir » propose également d'établir une relation harmonieuse
entre l'humanité et son milieu de vie, en rejetant la vision
anthropocentrique du développement – où l'humain est au centre de tout.
Comme l'explique Karl Marx, le développement du capitalisme fait des
êtres humains, les maîtres de la nature afin de répondre à leurs besoins
matériels croissants et sans doute sans limites.
Selon Alberto Acosta,
ex-président de l'Assemblée constituante de 2007, le réchauffement
climatique est la conséquence de cette façon de vivre ensemble coupée de
l’environnement. À son avis, la croissance matérielle sans limites à
laquelle nous nous adonnons et avec laquelle la logique néolibérale
s'accorde à merveille par la création d'un endettement impossible, nous
mène tout droit à un suicide collectif.
Le « Buen vivir» nous rappelle l'importance de redéfinir notre
relation avec la nature afin de maintenir un équilibre. Par exemple,
les articles 72 et 73 de la nouvelle constitution reconnaissent la
nature comme un objet et un sujet du droit équatorien.
La nature a le droit à l’existence dans le maintien et la régénération de ses cycles de vie. Tout citoyen peut ainsi se porter à sa propre défense face à tout projet menaçant ses droits constitutionnels.
La nature a le droit à l’existence dans le maintien et la régénération de ses cycles de vie. Tout citoyen peut ainsi se porter à sa propre défense face à tout projet menaçant ses droits constitutionnels.
Les projets de
reforestation et de protection du territoire, ainsi que l’Initiative
Yasuní-ITT, visant à laisser sous terre plus de 840 millions de barils
de pétrole dans une des aires les plus riches en biodiversité de la
planète, concrétisent un peu plus la volonté de l'Équateur de lutter
contre les changements climatiques en accordant de la valeur à autre
chose qu'à l'argent.
De plus, permettre aux individus et à leur communauté de s’épanouir dans un environnement propre fait partie du nombre des libertés reconnues par la constitution et assure la prise en charge par les individus du développement d'une économie solidaire
De plus, permettre aux individus et à leur communauté de s’épanouir dans un environnement propre fait partie du nombre des libertés reconnues par la constitution et assure la prise en charge par les individus du développement d'une économie solidaire
Notes :
* L’auteur est aussi assistant de recherche à la Chaire Nycole-Turmel sur les espaces publics et les innovations politiques à l’UQAM et vient de faire un stage de deux mois en Équateur, dans le cadre d’une recherche sur le « Buen vivir ».
** Le « Buen vivir » se traduit en français par « Bien vivre ».
Dans les deux cas, ils sont des traductions latines de « Suma quamaña »
en langue aymara et de « Sumak Kawsay » en langue quechua.
*** « montubios » : Les peuples montubios comptent plus de
1400 communautés situées pour la majorité sur la côte pacifique
équatorienne. Ils se réclament être un peuple métissé avec leur propre
culture. La Constitution de la République de 2008 lui reconnait
d’ailleurs des droits collectifs ainsi que son droit à
l’autodétermination.
Source : L'Unisson