du cannabis
aura-t-elle lieu ?
Par Florencia Valdés Andino
L'Uruguay
est sur le point d’approuver la légalisation du cannabis, et d’autres
pays sud-américains souhaiteraient lui emboîter le pas. Les États-Unis,
toujours très influents dans la région, s'opposent catégoriquement à une
telle mesure pour lutter contre le trafic. Le Parlement uruguayen a adopté le 31 juillet le projet de loi visant à "légaliser la culture personnelle du cannabis et sa vente en pharmacie".
Ce qui fait de ce pays le premier au monde à contrôler la vente et la
production du cannabis. La loi doit ensuite être adoptée fin 2013 par le
Sénat, où le parti au pouvoir est aussi majoritaire. Pionnier dans la
région, le président uruguayen, José Mujica, n’ira pas jusqu’au bout
sans difficulté.
L’opposition se mobilise et l’ONU a mis en garde
l’Uruguay en avançant que l’adoption de la loi affaiblira les accords de
lutte contre le trafic de drogue. Trois traités de l’Organisation des
Nations unies encadrent la répression de la consommation et la
commercialisation des stupéfiants. Toute légalisation est proscrite. M.
Mujica a répliqué : "Je suis prêt à prendre la parole devant l’ONU". Il fera pourtant marche arrière si son pays "est dépassé par la légalisation".
Ce zorro du cannabis n’est pas seul pour autant. Otto Pérez Molina, le président du Guatemala a lancé le 7 mai 2012, un appel à "trouver de nouvelles solutions au fléau de la drogue". Il a été soutenu par des intellectuels et des politiques de la région et a depuis réitéré son appel. D’anciens présidents - retrouvant leur liberté d’expression après leurs mandats - rejoignent le club des pro-légalisation des drogues douces : César Gaviria (Colombie), Ernesto Zedillo (Mexique) et Fernando Henrique Cardoso (Brésil).
La Colombie, experte en lutte contre le crime organisé et très longtemps alliée des techniques répressives des États-Unis, se questionne sur l’utilité de mener une lutte alors que le cannabis est légal dans plusieurs Etats américains. Le gouvernement équatorien discute de la légalisation, même chose pour l’Argentine, pour n'en nommer que quelques-uns. Lors du dernier sommet de l’Organisation des États américains (OEA) au Guatemala en juin 2013, le changement de cap était sur toutes les lèvres.
Même divisés, les 34 pays de la région débattent et cherchent la solution à une politique qui a clairement échoué. En atteste un rapport de la Commission mondiale sur la politique des drogues publié en 2011.
Des milliards d'euros jetés par la fenêtre
Les successeurs de Nixon se livrent à une lutte contre la production, exportation et consommation des drogues. Les mêmes qui ont entraîné le Mexique, la Colombie, et d’autres pays dans ce combat ; parfois en les réduisant au rang d’exécuteurs des politiques de Washington. Le bilan n’est pas brillant. L’Oncle Sam reste le principal consommateur de stupéfiants et producteur des armes qui circulent dans le continent, le cannabis est la drogue n° 1 en Amérique latine, les plaies laissées béantes par la violence ne sont pas près de se refermer et des milliards ont été jetés par la fenêtre.
L’aide économique et les négociations des traités migratoires ou de libre échange sont les principaux leviers du grand voisin du nord. C’est ainsi que suivant les "conseils avisés" de Washington, Felipe Calderón s’engouffre dans la guerre la plus meurtrière que le Mexique ait connu : 60 000 morts, tout autant de disparus et 42 milliards de dollars envolés. Les narcos sont toujours là et les mini-cartels poussent comme des champignons.
Enrique Pena Nieto, élu en 2012, hérite de cette situation. Il s’oppose avec force à la légalisation de toute drogue. Mais il veut revenir sur la militarisation du conflit à la frontière Nord : son prédécesseur avait dépêché l’armée dans cette zone. Ce qui n'a fait qu'empirer la situation.
Sur quel pied danser ?
Le chef d’Etat mexicain ne fait que suivre les directives de son homologue américain : "La légalisation n’est pas la réponse. C’est ma position et celle de mon administration", a-t-il déclaré à plusieurs reprises. Barack Obama compte sur son voisin et allié inconditionnel pour faire barrage à la vague permissive dans le continent. Il peut également s’appuyer sur des pays comme le Honduras, dont la capitale est devenue la ville la plus dangereuse au monde, le Nicaragua, la Bolivie (le lobby des producteurs de coca a un poids non négligeable), et le Venezuela.
La position des États-Unis risque pourtant d'être affaiblie. En 2010, la Californie a légalisé l’usage médical du cannabis. Dix-neuf États ont suivi, dont le Colorado et Washington, où la consommation récréative est dépénalisée. Le gouvernement fédéral ne sait pas donc sur quel pied danser. D’un côté, il ne cesse de renforcer les lois contre la marijuana et autres substances illicites tout en se confrontant à une évolution des mœurs de ses administrés.
D’après une récente étude du Pew Research Institute, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, la plupart des Américains sont pour la légalisation du cannabis et considèrent que celui-ci a des propriétés thérapeutiques. Pour le politologue et expert en relations internationales Jorge Hernádez Tinajero, les États-Unis ne pourront pas camper longtemps sur leur position : "La crédibilité de ce pays est en perte de vitesse. La dépénalisation de la marijuana y est soutenue par l’opinion publique. Il est difficile de donner des leçons à l’étranger alors qu’en interne on ne peut pas faire valoir certaines convictions. Le débat pour/contre la légalisation est dépassé. Il s’agit désormais de savoir quel encadrement des substances convient le mieux à quel pays."
Des réflexions qui détonnent
C’est exactement la question qui se pose dans un bastion de la
résistance à la légalisation. Toujours au Mexique, des voix s’élèvent
contre le satus quo. Le gouverneur du Morelos (centre du pays)
vient de se prononcer pour la légalisation au vu des chiffres alarmants
de la criminalité liée à la vente de cannabis.
Dans la capitale
progressiste qu'est Mexico, de nombreuses associations appuient le maire
de gauche de la capitale qui souhaite relancer le débat. Ses
revendications rejoignent celles de Vicente Fox. L’ancien président du
Mexique (2000-2006) et de nombreux anciens secrétaires d’Etat se sont
rassemblés au sein d’un cercle de réflexion afin de plaider pour la légalisation dans la ville de Mexico. Des prises de position qui détonnent dans un pays où le débat passe à la trappe depuis des années.
"Nous avons des preuves irréfutables qui montrent que l’alcool engendre la violence. Même chose pour le lien entre le marché noir de la drogue et les comportements violents. Mais nous ne possédons pas encore les preuves qui établissent un rapport entre les drogues et la violence. C’est-à-dire que depuis des décennies on met en place des politiques basées sur rien. Et on légitime même celles imposées par les États-Unis. Les mentalités évoluent, mais il ne faut pas se leurrer. Quand a-t-on été complétement indépendant des États-Unis ?", s'interroge Jorge Hernádez Tinajero, qui étudie les politiques de lutte contre les drogues depuis dix ans.
Et de poursuivre : "La confrontation avec les États-Unis sera néanmoins inévitable. Pour l’emporter il faudra commencer par redéfinir ce qu’on appelle une 'guerre', car en ce qui concerne celle-ci, nous n’avons ni de stratégie ni d’éléments pour la gagner. Si on parlait de régulation ou de santé publique, ce serait déjà un pas vers une discussion plus intelligente. On n'arrêtera pas pour autant de s'attaquer au marché parallèle et aux trafiquants".
"Nous avons des preuves irréfutables qui montrent que l’alcool engendre la violence. Même chose pour le lien entre le marché noir de la drogue et les comportements violents. Mais nous ne possédons pas encore les preuves qui établissent un rapport entre les drogues et la violence. C’est-à-dire que depuis des décennies on met en place des politiques basées sur rien. Et on légitime même celles imposées par les États-Unis. Les mentalités évoluent, mais il ne faut pas se leurrer. Quand a-t-on été complétement indépendant des États-Unis ?", s'interroge Jorge Hernádez Tinajero, qui étudie les politiques de lutte contre les drogues depuis dix ans.
Et de poursuivre : "La confrontation avec les États-Unis sera néanmoins inévitable. Pour l’emporter il faudra commencer par redéfinir ce qu’on appelle une 'guerre', car en ce qui concerne celle-ci, nous n’avons ni de stratégie ni d’éléments pour la gagner. Si on parlait de régulation ou de santé publique, ce serait déjà un pas vers une discussion plus intelligente. On n'arrêtera pas pour autant de s'attaquer au marché parallèle et aux trafiquants".
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Sources : Video AFP et article TV5 Monde