de la grève nationale
"agraire" en Colombie
Par Lionel Mesnard
Au 8ème jour, le mouvement paysan ou agraire est
toujours aussi actif et toujours autant réprimé, pendant que l’état invoque des
violences paysannes, notamment dans le département de Boyaca et tente de discréditer
le mouvement social s’impulsant dans les campagnes (plus timidement dans les
grandes villes, sauf exception à Bogota). A chaque fois des heurts violents ont été
constatés et provenant principalement des forces de l’ordre de police de
l’ESMAD (les escadrons antiémeutes). Ils sont plus de 200.000 agriculteurs
à s’être mis en grève en Colombie depuis le 19 août 2013, et la première source
sur la toile ayant fait part de ce chiffre est venu du monde économique,
s’inquiétant de la montée en puissance de divers mouvements sociaux dans les
semaines et mois à venir en Colombie (présumant d’un futur mouvement dans les
mines).
Autour de ce mouvement social se sont solidarisées un très
grand nombre d’organisations comme le Conseil Régional des Autochtones du Cauca
(CRIC son acronyme en espagnol), le MOVICE (Mouvement contre les crimes
d’état), la gauche alternative (PDA), ou des centrales ouvrières comme la CGT
et la CUT,
Ainsi que le collectif des journalistes et médias
alternatifs pour la Paix que l’on retrouve sur Facebook à cette adresse : « Alianza de Medios y Periodistas por la Paz »
1 - Inégalités et grandes propriétés foncières, la
paysannerie colombienne exprime son malaise
Dans ce mouvement des petits exploitants se trouve le visage
authentique du monde paysan colombien dans le tout le déploiement de sa
diversité culturelle : Amérindiens, Afro-Colombiens, métis et familles des
descendants des petits colons. De toutes petites exploitations faisant vivre
généralement une famille nombreuse avec quelques hectares de terres. Quand une
infime minorité (1 à 2% de la population) se partage 52% des espaces agricoles.
Avec toutes les précautions d’usage, une grande exploitation
en France ne dépassera pas 2.000 hectares, en Amérique latine les grandes
propriétés peuvent à l’échelle d’un petit département et atteindre les 900.000
hectares de Monsieur Benetton sur les terres de la Patagonie, en Colombie,
l’ancien président Alvaro Uribe dispose au moins d’une propriété de 2000
hectares et il est plus que représentatif, des liens entre le pouvoir politique
et les puissances d’argent pas vraiment vertueuses.
Le monde agricole colombien a deux visages. D’un côté les
grands propriétaires dominent (ce que l’on dénomme en Amérique latine le
latifundisme), et de l’autre la très majorité du monde paysan. Ce dernier se
divisant entre une main d’oeuvre salariée (et surexploitée) et des petits
agriculteurs de plus en plus réduits à la ruine par une logique économique où
la Colombie tient pourtant une position non négligeable dans le domaine de
l’agro-exportation. La Colombie contrairement à son voisin vénézuélien dispose
d’une agriculture puissante, mais à l’image du pays, c’est-à-dire avec de très
grandes inégalités.
Si les non citadins ne représentent que 25% de la population
totale du pays (6% au Venezuela - données de l'Université de Sherbrooke), les petits agriculteurs organisent depuis quelques jours un
mouvement, qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec les FARC ou une
quelconque branche politique, comme les dernières insinuations du gouvernement
à l’encontre d’une colère et un mouvement légitime.
Un mouvement social ayant rarement connu une telle
intensité depuis des lustres : des manifestations et des marches
pacifiques dans de très nombreux départements et de nord en sud des blocages
routiers. Et en même temps, ce même pouvoir schizophrène (lire l’article en relation) cherche à criminaliser une fois de plus tout mouvement pacifique et
en lui appliquant une loi brutale et pas vraiment respectueuse des droits
humains. Et le tout au milieu d’un conflit armé ou les négociations avancent à
petit pas, où régulièrement des combats ont lieu, mais dont seuls le
commandement militaire connaît l’intensité des rixes et son nombre.
Seuls les
faits afférant à un enlèvement d’un étranger, les combats avec les morts des
camps opposés sont publiés pour le reste, les éléments statistiques, les
données sont difficiles à obtenir ou trouver, s’ils sont à jour, et quand il
s’agit d’un mouvement social à dimension nationale, nombres de faits ne sont
pas relayés ou diffusés par les médias de masse, notamment la télévision.
2- La répression de l’ESMAD persiste en Colombie
Des milliers d’agents de l’escadron mobile anti-émeute
(ESMAD) se sont déployés dans tout le pays pendant que le mouvement des paysans
s’étendait de même dans le cadre de la grève nationale. Les 200 à 250.000
paysans mobilisés ont réalisé le blocage de 18 routes importantes et ce qui a
occasionné l’isolement du département de Boyaca dans le centre de la Colombie,
selon la chaîne Telesur.
Sur les réseaux sociaux, la population de Tunja (capitale du
département de Boyaca) ont dénoncé comment les forces publiques de l’ESMAD ont
interrompu dans les quartiers de Santa Inés et du 15 de Mai et ils ont arrêté
des jeunes qui étaient en train de joueur au football sur un terrain de la zone
et de la même façon, ils ont lancé des gaz lacrimogènes.
Le représentant à la chambre pour Boyaca Andrès Amaya a
publié sur son compte tweeter qu’il dénoncerait « avec toute sa force tous
les abus de l’ESMAD devant le Congrès et les organismes de contrôle » (#NoImpunidadESMAD
#TienenQuePagar).
Le correspondant de Telesur, Milton Henao a également
informé qu’il y avait eu trois blessés suite à une intervention de l’escadron
anti-émeute sur la route de Pasto à Ipiales dans le département de Nariño.
Soulignant que la police colombienne avait détruit des fenêtres d’habitations
et portés des coups aux paysans qui protestaient.
En six jours, 175 personnes ont été arrêtées et il est à
déplorer des dizaines de blessés à travers tout le pays. Si vous souhaitez
suivre minute par minute les incidents de la grève nationale agraire en
espagnol, Telesur a mis en place cette page sur STORIFY : cliquez ici !
Attention images pouvant heurtées un public sensible !
3 - Pourquoi les médias Colombiens ne reflètent pas la
grève populaire et agraire ?
Pour le professeur Rodolfo Arango a déclaré sur Contagio
Radio (écoutez ici son entretien en espagnol), que les médias de communication
dominants ont rendu invisible la grève pour des intérêts économiques se jouant
entre les grands propriétaires des médias d’informations et le gouvernement.
Toutefois, il a souligné le rôle important des médias alternatifs dans d’autres
pays du monde, ainsi qu’en Colombie.
Si le mouvement social venait soit à s’amplifier, soit à
perdurer, il est probable que l’économie colombienne pourrait en sortir
affecter et inquiéter par ailleurs les marchés financiers et en particulier les
investisseurs et qui plus est pourrait agir sur la croissance du pays sur les
mois à venir.
Il va de soit que l’actuelle réponse du gouvernement est un
aveu, non seulement de son incapacité à entendre les revendications paysannes,
portant entre autres sur un meilleur accès à l’achat de terre pour les petits
exploitants et non au transnationales de l’agroalimentaire, et à assurer des
revenus acceptables. Mais pour cela, il faudrait au gouvernement de Juan Manuel Santos mettre un holà aux multiples
traités de commerce ou de libre-échange en cours : Etats-Unis, Japon,
Union Européenne, Canada et la Corée du Sud, … et d’autres sont en
perspectives.
En ce domaine, le président Santos n’a pas vraiment lésiné
en deux ans promettant des emplois garce à cette ouverture des frontières à la
sauce ultra-libérale (lire l'article en relation sur le blog). Comme il n’a pas hésité, non seulement à nier la
situation de la dégradation du revenu des paysans, mais en plus à souder
l’oligarchie colombienne, pour que les médias désignent les fauteurs de trouble
comme de potentiels terroristes, si l’on s’en tient aux déclarations récentes
de Monsieur Pinzon, ministre de la défense (ou plus exactement de la guerre).
4 - Des atteintes graves à la liberté de la presse
Comme il n’arrive jamais une calamité sans une autre en
Colombie, de nombreuses atteintes à la liberté de la presse se sont déroulées
ces 7 derniers jours. Ce n’est pas une nouveauté, le métier de journaliste
laisse au tapis chaque année son lot de professionnel, dans un pays où la
moindre critique contre les guérillas, les paramilitaires et les narco
trafiquants, voire l’armée nationale ou le gouvernement peut s’avérer mortelle.
Les ordres « en place » légaux et illégaux
n’aiment pas trop que l’on vienne enquêter de trop près et mettre à jour ce qui
n’est souvent que des secrets de dupe, dans un pays qui commence à peine à
exprimer, ce qui ressemble pour beaucoup à une fosse à purin. Au fil du temps
ou de 60 ans de guerre civile, la règle est de se taire ou devenir une cible potentielle.
En quelques années, les associations colombiennes des droits
humains, sociaux et culturels et des journalistes citoyens en résistance
pacifique et civile ont appris à utiliser à bon escient les nouveaux outils de
communication et venir un peu bousculer l’ordre d’une presse molle ou
silencieuse face aux violence étatique.
Si le nombre de journaliste assassiné a baissé ces dernières
années, néanmoins l’autocensure reste de mise et en dehors de quelques tribunes
ou éditorialistes courageux, les médias dominants et à l’exemple de Caracol ou
de RCN télévision sont d’une assez grande servilité, et à l’image de ces
chaînes insipides, un canal de désinformation par excellence. Et les colombiens
ne sont pas toujours très critique avec cet objet de divertissement qu’est la
télé et consomme cette information, que nous connaissons tous finalement avec
les chaînes de TV privées d’information en continue. Un ronron symptomatique
des temps présent et de ce que le minimalisme télévisuel peut faire de plus absurde.
5 - Le travail des journalistes doit être respecté, adressée
le 22 août 2013, par Christophe Deloire, Secrétaire Général de RSF :
(…) A partir du début de la grève nationale au moins une
vingtaine de cas d’attaques contre des journalistes, la plupart appartenant à
des médias alternatifs, ont été enregistrées en 48 heures dans huit
départements différents.
Des enquêtes complètes et impartiales doivent être
diligentées sur chacun de ces cas. A l’avenir, Reporters sans frontières
demande au gouvernement colombien, et en particulier au ministre de la Défense,
Juan Carlos Pinzón, et au nouveau directeur de la police nationale Rodolfo
Palomino, de prendre les mesures nécessaires afin que les forces de l’ordre
respectent le travail des journalistes et garantissent le droit à l’information
des Colombiens. Nous demandons également que les forces de l’ordre assument
leur rôle de protection les journalistes en cas d’altercation avec les
manifestants.
En tant de garant de la Constitution colombienne et des
traités internationaux ratifiés par votre pays, il vous appartient d’y veiller.
La liberté d’information est un droit garanti par la Constitution (art. 20),
qui prévoit également le journalisme doit bénéficier d’une protection
permettant d’assurer sa liberté et son indépendance (art. 73).
Images colombiennes sur les violences de l'ESMAD
La Déclaration de principes sur la liberté d’expression du
système interaméricain des droits de l’homme souligne que la liberté de
l’information est un droit universel. L’opinion politique, toute autre opinion
ne peut constituer un obstacle à l’exercice du journalisme. Elle affirme
également que le fait de créer des obstacles à la libre circulation de
l’information est une atteinte à la liberté d’expression.
La liste des agressions que nous avons recensées sera
envoyée à diverses organisations internationales de protection des droits
humains, afin qu’elles soient prises en compte lors de l’évaluation des mesures
prises par l’État colombien pour respecter et garantir le travail des médias,
qu’ils soient alternatifs ou commerciaux. (...)
Pendant cette mobilisation la guerre continue : Communiqué public des autorités du peuple Totoroez
Les affrontements armés mettent
en danger le peuple TOTOROEZ
La population amérindienne Totoroez – se situant au nord-est
du département du Cauca entre les villes de Totoró et Silvia – condamne les
actions armées s’étant déroulées dans la matinée du 24 août 2013 à 1h30, à
l’intérieur de son territoire, mettant une fois de plus en danger l’intégrité
physique et provoquant une grande inquiétude parmi les habitants de la région
de la Malvaseña.
Ceci de 1h00 à 15h00 à la date citée, de fortes détonations se
sont produites dans une ferme, sur la juridiction de notre territoire,
apparemment dans le cadre d’une confrontation entre l’armée colombienne et la
guérilla (des FARC-EP), nous ne savons pas à cette heure, quel a été le nombre
de blessés ou de morts entre les groupes armés.
1 - Les actions de cette nuit sur notre territoire par ces
acteurs (du conflit militaire), touche au droit de se mouvoir de la société et
des autochtones, mettant en danger l’intégrité physique par de possibles engins
explosifs (mines anti-personnels, bombes non éclatées) qui pourraient rester
dans ces lieux.
2- Nous ne
sommes pas d’accord sur le fait, que sur la route de Totoró à Inzá se trouvait
des pierres, des monticules et des destructions de voies, positionnant en
non conformité (avec la loi) la communauté, puis se déroulant à l’intérieur de
son territoire.
Comme peuple amérindien Totoroez, nous condamnons et à la
fois nous regrettons notre voix non conforme devant ces actions armées à
l’intérieur de notre territoire, la seule chose que cela engendre au sein de la
communauté est de la panique et de l’angoisse.
Ainsi de même se transforme en doute et en confusion, ce que
le gouvernement et les FARC-EP sur les avancées à CUBA sur les négociations
pour avancer vers la Paix, nous savons à quel point les actions armées
augmentent, sans que soient posées les conséquences et le plus préoccupant,
s‘étant passé au milieu de la population civile en violant le droit à la vie
dans le cadre des droits des autochtones et humains.
Vidéo sur le peuple TOTOROEZ (en VO)
Article à consulter en relation :
Le blog de Delphine, « Grève nationale en Colombie »
Sources : RSF – Radio Contagio – Telesur –
CRIC – Euronews