de la Guajira
Par Blanca Diego – Notes et traduction de Libres Amériques
Vous avez envie de vous plonger dans un récit sur le Venezuela,
aux confins de la Colombie, découvrir des éléments qui peuvent échapper aux non
avertis, ce texte est loin d’être banal et mérite une attention particulière.
Des routes, un espace frontalier, des personnes prennent vie et donnent à
réfléchir sur le quotidien de ce pays. Ils sont originaires ou Wayuu,
étudiants, journalistes locaux ou contrebandier, ils nous livrent un point de
vue saisissant. Loin des explications très générales que l’on peut nous donner
à lire. Ce n’est pas non plus une caricature ou une ode au régime en place, une
chronique plus exactement ou se mélange des questions de différentes natures
sur le quotidien pas très évident de ce pays et bien plus réaliste et évocateur
qu’un objet de propagande.
La frontière nord entre la Colombie et le Venezuela dans la
péninsule de la Guarija est un territoire disputé par les narcotrafiquants, les
groupes armés illégaux et les trafiquants de pétrole. Un espace où les deux
états latino-américains ont failli et se sont absentés, ou jamais ils n’ont
véritablement été présents, laissant la population complètement abandonnée.
Un point central sur la route conduisant à cette frontière
internationale est la petite municipalité de Paraguaipoa. A peu de kilomètres
d’elle, la route Tranversale de la Caraïbe, la voie principale communiquant
entre les deux pays, et par là que passent les marchandises et les millions de
litres de combustible de contrebande. Pour ce commerce illégal, des routes
secondaires sont aussi utilisées ou des sentiers traversant la péninsule
désertique de La Guajira.
Le village Paraguaipoa est aussi un passage obligé pour les
véhicules se dirigeant à l'intérieur du département de la Guajira, en direction
des villes colombiennes de l'Atlantique et vers le corridor minier au sud (Baja
Guajira).
Dans la rue principale se garent les camions pour que
montent les femmes Wayuus et leurs « listes de commandes » de
marchandises et d'animaux. Ces véhicules sortent de Maracaibo tous les
dimanches à l'aube pour se rendre au nord, à Nazareth, les mercredi. Là, les
femmes déchargent les commissions et font le chemin de retour dans ces camions
à se rompre les os.
Maracaibo-Paraguaipoa : une route contrôlée
La Gaujira est une
péninsule de 23.000 kilomètres carrés (à cheval majoritairement sur la Colombie
et sur une petite bande côtière pour le Venezuela). Gouverné par la Colombie et
le Venezuela depuis le XIX° siècle et habité par le peuple Wayauu bien avant
l’arrivée des Espagnols sur ses côtes en 1499.
Par l’Est, la péninsule se trouve sur les limites de l'État
Zulia (Venezuela), dont la capitale Maracaibo est la principale productrice de
pétrole brut du Venezuela. L'une des routes conduisant à Paraguaipoa depuis la
ville de Maracaibo traverse la zone universitaire. Et dans cette zone
estudiantine, le fameux et arabesque Motel Aladino est ainsi annoncé sur des
panneaux publicitaires géants : "Classes de botanique : les roses peuvent
provoquer des incendies". Quelques mètres plus loin, toujours à
l'intérieur du rayon d'action des étudiants, au masculin, "Maîtresses chez
anatomie" à côté de l'image de deux longues jambes - blanches – d’une
femme.
Le Caprice Classic des années 1980 est un taxi avec un lieu
de destination (un taxi collectif à sept arrêts ou de 7 personnes) faisant le
trajet non-stop à partir de Maracaibo jusqu’à Paraguaipoa. Sur le chemin, il y
a de nombreuses affiches et des annonces sur chaque côté de la route :
Réfrigérateur industriel socialiste ; Salle à manger à la Gloire à
Dieu ; Vente de légumes, Merci à Dieu ; Ecole maternelle Wayuu
Taya ; Vente de poisson frais et salé.
À ce niveau, se trouve le premier point de contrôle de la
Garde Nationale. De nouveau des placards publicitaires et certainement dû à
un ralentissement : L’institut de
Resocialisation Psychiatrique ; la Caoutchouterie à quoi Victor ; des loteries
; des alcools ; la Grande Mission du logement du Venezuela ; le
distributeur de poulet, Mon chéri ; un salon de beauté ; la Mission des
Mères du Quartier.
Arrivée à la rivière Limon où se trouve le point Guerrero,
un contrôle douanier de la Garde Nationale et l’examen des documents et des
biens est une première étape avant d'atteindre la frontière de Paraguachón avec
la Colombie. Quelques minutes plus tard, et au pied du complexe d’habitation
Nahua (250 logis sociaux de la Grande Mission logement du Venezuela), un autre
point de contrôle ou barrages routiers avec six soldats de l'armée bolivarienne
du Venezuela.
Par après, dans la ville de Sinamaica, un contrôle du poste
de police. Quelques minutes plus tard, face au centre Acopio Mercal, un barrage
de l’armée, pas plus de 13 soldats. Quelques kilomètres plus loin un contrôle
de l'armée, cinq soldats. En arrivant dans la ville de Paraguaipoa destination
du taxi, à l'entrée un point de contrôle de la Garde Nationale, le quartier
général de la 13e brigade d'infanterie est sur la place centrale et un poste de
contrôle militaire se trouve à la sortie de la ville, sur le chemin de la frontière.
Au total, Maracaibo-Paraguaipoa, soit environ 100 kms, sept
contrôles fixes ou mobiles de la Garde Nationale Bolivarienne, de l'Armée
Bolivarienne du Venezuela ou de la police ; et deux heures de voyage si les
contrôles ne sont pas complets. Les universitaires ou les étudiants des
municipalités de la Guajira ont commencé à renoncer se rendre à l'université,
parce que depuis deux ans aller et revenir en un jour est devenu un cauchemar,
et ils n'ont pas non plus les moyens de vivre dans la capitale. « C'est
aussi une violation de droits », dit Olimpia Palmar, journaliste de Radio
à « Fe y Alegría Paraguaipoa ».
Carburant légal, pétrole illégal
Sur la même route entre Maracaibo et Paraguaipoa circulent
des millions de litres de carburants, légaux et illégaux pour destination la
Colombie. Il s’agit d’un point névralgique pour le stockage et la distribution
de l'essence. Ils passent aussi des voitures volées, entières ou en morceaux,
circulent les camions de PDVSA (la compagnie pétrolière d'État du Venezuela) et
les pétroliers légaux. Les wagons-citernes, des camionnettes et les véhicules
distribuant illégalement à moyenne et grande échelle sont sur les pistes, les
routes secondaires et les routes de sable.
La contrebande de carburant a son propre argot : Les gandolas (des citernes avec une capacité de 40.000 litres) sont stockés avant
d'être distribué par les Bachaqueros (contrebandiers) dans les caletas (cache ou entrepôt). À plus grande échelle, il existe des véhicules
transportant entre 6.000 et 12.000 litres chacun, ce sont les trafiquants
d’essence et la Caravane de la Mort, tous utilisent des sentiers ou des routes
alternatives.
Un exemple de route : un groupe de barges attendent la nuit
aux bords de la rivière Limon ou dans un bras (voie aquatique) à laquelle les
camions citernes arrivent ; une fois trouvé, les barils sont déchargés sur
des camions (de 10.000 à 13.000 litres) et ils s’engagent sur la route vers la
Colombie par des sentiers de sable et de terre ou par la route Transversale de
la Caraïbe (La Troncal Caribe).
Une autre modalité de trafic est utilisée par les camions
transportant dans les quartiers périphériques de Maracaibo, généralement à la
sortie jusqu’à la frontière, ils remplissent 200 barils (5000 litres) et ils
roulent de nuit le long des sentiers. Pas de route ou pas de transport, ils ne
paient pas des pots-de-vin, de droits de passage, etc. et les convois sont
toujours avec une sécurité lourdement armée. L'essence est la cocaïne de la
frontière. (…)
Un autre Wayuu tué par un « Bachaquero »
Francis Fernandez est arrivé en pleurant à la radio
« FAP » le 29 janvier, à l’antenne il a dénoncé l'assassinat de son cousin
et le raid sur sa maison avec ces mots : « C'est une caleta (une cache de
pétrole), mais nous sommes personnes et ce que nous avons vécu-là… Ils ont tiré
cinq balles sur mon cousin, ils ne se sont pas souciés des enfants et ont blâmé
l'armée bolivarienne du Venezuela. »
Le citoyen Wayuu Ménandre Pirela, âgé de 36 ans, a été tué
par cinq balles. De même, il y a eu des blessés y compris et entre autres, des
mineurs de moins de 18 ans. Parmi les cinq maisons à Paraguaipoa, une est une
cache (caleta), un réservoir de carburant à l'arrière d'une maison.
Normalement, les « caletas » sont clandestines,
parce qu’acheter du carburant, de l’essence, du gazole ... au Venezuela, puis
le revendre en Colombie est illégal dans les deux pays. Cependant, « la
visite » à la caleta du secteur « Aceitunitos » (mafia locale)
n'était pas la première. « Quand les gens refusent de lâcher (refuse de
payer), il tombe du plomb », explique
Mermis Fernandez, directeur de la station de radio.
Le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela a
ordonné par décret présidentiel n ° 7938, la création de dix districts
militaires le long de la frontière avec la Colombie, l'un de ses objectifs est
de « lutter contre la contrebande de carburant ».
Le district militaire de la Guajira n°1 du commandement
central de Paraguaipoa couvre une superficie de 8544 km ², soit le territoire
vénézuélien bordant la Colombie sur la péninsule de la Guajira. En vertu de ce
décret, les pouvoirs de la 13e Brigade d'infanterie ont été augmentés et dans
la pratique, elle déplace une vieille connaissance (…) : la Garde Nationale.
Farias Jayariyu Montiel est le fondateur et le directeur
du journal Wayuunaiki :
« Le quartier militaire est possible, car il existe
une loyauté de beaucoup des Wayuus avec le PSUV (le parti au pouvoir au
Venezuela). L'appréciation générale est qu’avec Chavez, les Wayuus, nous sommes
des personnes, mais pourquoi la loyauté doit être aussi absolue lorsque nos
droits sont bafoués ? Je pense, que les gens sont anesthésiés et vont pour
demander des aumônes. »
En général, les militaires ne connaissent pas la destination
où ils doivent servir leur pays : ils ne connaissent ni la péninsule Guajira, ni
la population Wayuu, mais ils valorisent positivement leur présence, parce
qu’ainsi ils peuvent « compléter la solde ». Deux ans après la mesure, il n'y a aucun signe que la
contrebande a diminué et les mécanismes de contrôle de la corruption brillent
pour leurs absences.
« J'ai été témoin qu'ils ont reçu dix bolivars la
semaine dernière, parce qu'ils ont obtenu deux citernes (gandolas) en
déchargeant du gas-oil », a notifié Francis dans sa plainte. Ce mardi 29
janvier... quelque chose s'est mal passé et les verts (les soldats) sont partis
la main sur la gâchette. Francis a osé le signaler à l'armée, parce que « nous
ne pouvons pas encore être maltraité, jusqu’à quand tant d'abus ? Ce n'est pas
notre faute que nous soyons Bachaqueros (contrebandiers), si ici, il n'y a pas
de travail. »
Les données recueillies de février 2010 à 2013 par le Comité
des droits humains de la Guajira, basé à Paraguaipoa : 7 meurtres, 160 perquisitions illégales
de domiciles privés et plus de 200 détentions arbitraires. « Les
victimes sont principalement de la population Wayuu, qui s’est engagée dans
l'achat et la vente de carburant, l'auteur est l'armée de la frontière », explique son coordinateur José David Gonzalez.
Les districts militaires vénézuéliens sont chargés :
- de sécuriser la frontière, de détecter et neutraliser les
actions d'espionnage et la présence des groupes illégaux frontaliers ;
- contribuer à l'éradication du trafic de stupéfiants et des
substances psychotropes ;
- combattre la contrebande du carburant, du charbon et
d'autres ressources minérales ;
- préserver la culture ancestrale des peuples autochtones
face à une menace potentielle d’acculturation », ce qui serait une plaisanterie
si ce les meurtres n'étaient pas commis par ses troupes.
L'entrevue a lieu à la radio parce que le Comité des droits
de l'homme n'a pas de bureau. José David Gonzalez, Wayuu, le dirige depuis sa
création en 1999. Il n'élève jamais la voix et il bouge à peine, il a reçu
plusieurs menaces de mort et il est en attente d'une mesure de protection.
Le district militaire se base sur un décret présidentiel,
daté du 29 décembre 2010, quand et comment en avez-vous eu connaissance ?
Du jour au lendemain, ce fut une surprise pour nous. C'était
au début de 2012. Le décret du point de vue juridique est inconstitutionnel,
parce qu'elle viole le chapitre VIII des Droits des peuples autochtones (de la
Constitution) et la loi organique, précisant que toute décision prise par l'Etat
doit se faire en consultant les communautés, les dirigeants, les organisations
qui ont une existence sur le territoire amérindien.
Qu'ont-ils fait ?
Nous avons été appelés à une table concertation avec le
Procureur général, le Défenseur du Peuple, le Haut commandement militaire et le
député de l’État du Zulia. Tous étaient d'accord pour être porte-parole auprès
du ministère de la Défense, du vice-président, du Procureur général de l’Etat
et l'Assemblée Nationale. Nous sommes arrivés à un accord qui n'a jamais été
exécuté.
Mermis Fernandez, directeur de Radio « Fe y
Alegría » de Paraguaipoa, raconte la même version sur le type de
consultation prévue, qui s’est réalisé et dont ils ont eu connaissance en 2012,
lorsque la mesure a été annoncée publiquement. Selon eux, la consultation a
consisté en une réunion convoquée par le Haut commandement militaire et le
ministère de l'Intérieur avec les conseils communautaires des trois
municipalités concernées, là le Décret Présidentiel a été approuvé.
Que signifie vivre dans un district militaire ?
Eh bien, ce qui contrôle tout. Les personnes qui apportent
de la nourriture à vendre à Paraguaipoa doivent donner à l'armée 20, 30, 50
Bolivars, et non pas une fois, mais à tous les points de contrôle. Nous sommes
contrôlés à l'intérieur de notre propre territoire.
Et de même, ils contrôlent les groupes armés illégaux ?
Ensuite si nous parlons de sécurité, nous n’en avons pas vu
le résultat, nous vivons dans une zone frontalière insécurisée. Maintenant plus
que jamais, il y a la présence des groupes armés étrangers se déplaçant, avec
facilité, pas vraiment dans les zones montagneuses, mais dans les centres
habités comme Los Filúos.
Les trafiquants de pétrole, par exemple, voyageant à travers
la savane, ont quatre camions dont ils tirent un énorme un profit, maintenant
ils versent à la guérilla, personne ne les volent et ils reviennent heureux,
personne ne les dérangent.
Comment parlez-vous à la radio de la présence de ces
groupes dans la municipalité ?
Personne ne parle, d'abord parce que les gens ne le disent
pas en public, mais ceci est vox populi (la voix du peuple). Parfois, nous
voulons dire les choses, mais nous nous sentons impuissants. Je sais qu'il
viendra un temps où ce ne sera plus un sujet tabou, et nous nous engageons en
tant que communicateurs Wayuus, à nous renforcer en tant que peuple, à vivre
ensemble ...
Où est l'autonomie historique du peuple Wayuu au milieu
de cette violence ?
Tous viennent silencieusement négocier, gagnant du terrain.
Une force de cette nature qui domine les armes, a le pouvoir ... rester calme,
assis sans rien faire, les mêmes dynamiques du pouvoir, de l'argent ... c'est
ce qui a changé cette autonomie.
Tout le monde ici sait qui est qui, je peux compromettre ma
famille. Nous avons appris à couvrir l'information mais pas l'autocensure. C'est
que tu vis ensemble avec les gens, tu passes par où sont les gens... Mermis mon
copain, viens ici, bois un coup ! Il faut se protéger.
Plus de balles pour la population Wayuu
La contrebande de carburant est une entreprise sur laquelle
vivent de nombreuses familles Colombo Vénézuéliennes de La Guajira, ils
résident sur les deux côtés de la frontière également, les paramilitaires, les
politiques, les corps policiers et militaires, les juges et les avocats, etc.,
depuis les années 1990. Il s'agit d'un transfert de plusieurs millions de
gallons par mois, maintenu par la corruption et les menaces ; enrichissant
quelques-uns et à peine suffisant pour survivre pour les détaillants, les
« Bachaqueros ».
Une semaine après l'assassiner de Ménandre Pirela, le Comité
des droits de l'homme de La Guajira a appellé une conférence de presse à
Maracaibo avec l'intention d'attirer les médias régionaux et d’avoir un impact
national. Pas un écho dans l'actualité, la radio « Fe y Allegria » a
à peine informé.
Nous sommes victimes de l'armée. Nous voulons la justice,
assez d’assassinats !
Francis Fernández avec sa dénonciation publique démontre que
le silence n'est déjà plus absolu et qu'il existe un bouillonnement dans les
rues, qui se renforcera avec la campagne « Plus de Balles » poussée
par le même groupe d'organisations Wayuu, qui le 9 août 2012, lors de la
journée internationale des peuples autochtones avait pris la place de Paraguaipoa
en faisant face non loin des militaires, sous la devise « Pour le respect
et la dignité du peuple Wayuu ».
Environ 50 personnes sont arrivées, d’autres étant
convaincus que c'était une marche des « escualidos » (les adversaires
au gouvernement) et beaucoup ne sont pas sortis. Mermis croit que, c’est
seulement à travers des micros, que les gens perdront la peur et la
dépendance à la politicaillerie.
Le président Hugo Chavez a remis la frontière aux militaires
« pour qu’il la dirige à leur guise » dans l’intention de s'attirer
leurs faveurs. Il y a dix ans l’envoie à la zone frontalière était une
punition, mais aujourd'hui, c'est un moyen facile de s’enrichir », note le
rapport « La frontière chaude entre la Colombie et le Venezuela ».
C'est une généralité, mais la vérité est que la frontière de
La Guajira entre la Colombie et le Venezuela est maintenant plus dangereuse et
violente qu'il y a trois ans, les gouvernements respectifs en ont perdu le
contrôle ou l'ont laissée sans contrôle, et elle se trouve dans les mains des
mafias de l’essence.
Personne dans la région ne sait combien de temps, ils
devront vivre dans un district militaire. Pendant ce temps, les organisations
de la population Wayuu attendent toujours une visite de Caracas pour vérifier
les violations de la liberté et de la vie et pour garantir la justice.
Source d'origine en espagnol : Periodismo Humano