contre
les Droits de l’homme
Par Isbel Díaz Torres
Mon compagnon de vie, l’optométriste Jimmy Roque Martínez , vient
d’être accusé, à son travail, d’être des “droits de l’homme”, raison
pour laquelle le Parti communiste propose son licenciement. La dénonciation vient du secrétaire du PCC (Parti communiste cubain)
de son centre de travail, un certain Berardo Duke Prieto. Tout cela
ressemble à une de ces ridicules et tristes farces où un fonctionnaire,
pour une raison extra-laborale, décide de se débarrasser d’un
travailleur. Cependant, comme ce qui est en jeu c’est
l’emploi de Jimmy, je pense que cela vaut la peine d’approfondir un peu
plus cette affaire.
Le Berardo en question, en plus de diriger le Parti dans cette
entreprise, est le président de l’Organe de justice du travail de base,
il est aussi directeur des Ressources humaines et juge. Ce type pense, à
juste titre, qu’il détient beaucoup de pouvoir. En plus d’une occasion,
il a assuré publiquement que s’il voulait il pouvait déloger de son
poste la directrice de la polyclinique 27 novembre à Marianao.
La raison de la rancœur partisane du chef a pour origine le moment
où, quelques jours auparavant, il accompagna au bureau de Jimmy un de
ses amis, le Directeur municipal du travail. Ce “haut” fonctionnaire a
été reçu par Jimmy avec tout le professionnalisme qui le caractérise.
Cependant, lors des présentations, le fonctionnaire dit qu’il lui
semblait reconnaître Jimmy, ce à quoi mon compagnon répondit
qu’effectivement ils s’étaient rencontrés il y a quelques années quand
fut il licencié de son officine gouvernementale.
Le Directeur du travail ne se formalisa pas, on ne sait pas pourquoi,
mais le commentaire de Jimmy suffit pour offenser la fragile
sensibilité de Berardo, qui appela (selon ses propres termes) les
services de contre-espionnage militaire pour les informer du fait que
Jimmy était “des droits humains”.
Je sais que ce serait risible, si ce n’était le tragique de la
situation : Jimmy est le seul soutien de sa famille, composée de sa mère
malade, de sa sœur paralysée depuis sa naissance, et son neveu
souffrant de retard mental.
L’administration de la polyclinique n’a pas encore publié de
sanction, et Berardo, qui est connu pour provoquer des scandales à
l’entrée de la polyclinique (comme j’ai pu le constater), a répandu des
rumeurs parmi les travailleurs, en cherchant de leur appui pour
licencier Jimmy et en appelant à le soutenir les “communistes” du centre
de travail.
En outre, le fonctionnaire a menacé certains médecins du centre de
leur refuser l’autorisation d’effectuer une mission à l’extérieur de
Cuba, en utilisant sa position en tant que chef du Parti, s’ils ne
cessaient pas leur relation amicale avec Jimmy, en espérant que ce
dernier démissionne “volontairement”.
Jimmy croit en l’utilité des Droits de l’homme et n’a pas peur de
l’affirmer publiquement, mais on peut difficilement l’accuser d’un tel
activisme, parce qu’il est trop timide pour parler en public. Sa
contribution précieuse aux travaux du réseau de l’Observatoire critique,
est une chose qu’on pourrait lui reprocher en lui collant l’étiquette
“des droits de l’homme”, et cela il n’a pas l’intention de le nier.
Cependant, chaque Cubain sait que la stigmatisation que cette
expression implique, peut être fatale. Pour une partie de notre
population, totalement désinformée par les médias officiels, appartenir
aux “droits de l’homme” est quelque chose considérée comme être un
terroriste, un mercenaire, un assassin, un fasciste.
La faible culture du chef des ressources humaines empêche le fait
qu’il puisse discuter de ces questions. A plusieurs reprises, Jimmy a
essayé d’échanger sur d’autres questions politiques avec lui, mais
c’était impossible. Il s’énerve immédiatement, il crie des mots d’ordre
“révolutionnaires”, et quitte les lieux.
À un moment donné Jimmy a fait quelques commentaires au sujet de la
contribution de l’anarcho-syndicalisme aux luttes des travailleurs dans
l’histoire de Cuba, et aujourd’hui Berardo diffuse auprès des
travailleurs du centre une définition négative de l’anarchisme
(probablement sortie d’un dictionnaire stalinien), dans le but de
discréditer le jeune révolutionnaire.
Berardo sait-il (et les membres des services de contre-intelligence)
que le gouvernement cubain est signataire de la Charte des Droits de
l’homme ? Est-ce que cela signifie quelque chose pour eux ?
En outre, la Constitution cubaine obsolète et très limitée approuve
les principaux droits de l’homme, parmi lesquelles se détachent la
liberté de pensée et d’expression, tout comme le droit au travail.
Il, est presque sûr qu’ils méconnaissent les histoires du dirigeant
syndical Alfredo López (1), du combattant de la prise de la caserne de
la Moncada en 1953 (2), Boris Luis Santa Coloma (3) (le fiancée de
Haydée Santamaria (4) et l’ami de Fidel Castro), du père de Camilo
Cienfuegos (5), du syndicaliste Margarito Iglesias (6), tous
anarchistes. Sans oublier que les membres du Mouvement du 26 juillet
(7) se réunissaient au siège de l’Association libertaire de Cuba (8).
Jimmy a déjà souffert, il y a deux ans, du fait d’être renvoyé de son
travail dans un hôpital cubain en raison de son activisme écologiste et
politique au sein du réseau de l’Observatoire critique. En cette
occasion, l’administration inventa une excuse pour se débarrasser du
travailleur, et elle occulta la véritable raison qui était politique.
Dans ce cas, la capacité du chef de parti n’est pas si importante, il
s’est lancé dans une guerre idéologique impossible. Pour cette
“bataille d’idées” il est nécessaire, d’avoir au moins des idées.
Espérons que l’administration du centre reconnaitra le ridicule de cette
situation, et qu’elle sanctionnera avec force le fonctionnaire qui a
outrepassé ses pouvoirs.
La solidarité est nécessaire, de celles de ceux qui sur l’île ou hors
d’elle, sentent en leur chair cet arbitraire. Toute recommandation ou
déclaration sera utile pour briser les manœuvres mesquines qui
s’attaqueront à mon compagnon.
Pour ma part, je maintiendrai mes lecteurs informés, la communauté
internationale et les principales institutions nationales, sur l’issue
de ce scandale politique.
Publié sur Havana times : cliquez ici !
Notes du traducteur :
1. Alfredo López fut un grand dirigeant ouvrier cubain de la décade
des années 20. Assassiné par les forces répressives du dictateur Machado
en 1926. Il participa au Congrès ouvrier de 1920 où surgit la
Fédération ouvrière de La Havane (FOH) dont il fut le trésorier et l’un
des principaux animateurs.
2. Cette attaque dirigée par Fidel Castro, âgé alors de 26 ans, avait
été menée par 123 jeunes issus principalement des jeunesses du parti
orthodoxe, en acte de résistance contre le régime de Fulgencio Batista.
L’attaque de la caserne de la Moncada fut un échec sanglant. Au total 22
soldats seront tués, la plupart d’entre eux massacrés en pyjama. Devant
le massacre des leurs, les soldats se montrent en retour d’une
sauvagerie sans pitié et tuent des assaillants, interrogeant ou tuant
parfois à coup de crosse ceux qui se rendent. Les survivants s’enfuient
ou seront jugés. Au total la moitié des assaillants ont trouvé la mort.
3. Boris Luis Santa Coloma était né à La Havane en 1928, il était
membre de l’Union syndicale des travailleurs et anarchiste. Il fit
partit des assaillants de la caserne de la Moncada où il perdit la vie.
4. Haydée Santamaría Cuadrado était en 1922 à La Havane. Elle était une guérillera et une femme révolutionnaire cubaine.
Elle participa à l’attaque de la caserne de Moncada. Elle fut
fondatrice-directrice de la Maison des Amériques. Haydée Santamaría
s’est suicidée en juillet 1980.
5. Le père de Camilo Cienfuegos, Ramón Cienfuegos était un anarchiste
espagnol réfugié à Cuba après la victoire du général Franco en Espagne
en 1939.
6. Margarito Iglesias fut un dirigeant syndicaliste cubain. Il faut torturé et assassiné à La Havane en 1923.
7. Le Mouvement du 26-Juillet (M-26) a été créé à l’été 1953 par
Fidel Castro pour regrouper les survivants à l’issue de l’échec sanglant
de l’attaque de la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba le 26
juillet 1953
Source : Polémica Cubana