mardi 13 août 2013

Livre d'Alain Ruquié, le Mexique : un état nord américain ?

Alain Rouquié, 
publie « Le Mexique. 
Un Etat nord-américain »


Par le Grand Journal (Mexique)

Alain Rouquié, ancien ambassadeur de France, notamment au Mexique et au Brésil, est désormais président de la Maison de l’Amérique latine, à Paris. Il vient de faire paraître Le Mexique : Un Etat nord-américain, chez Fayard. Comment devient-on un éminent latino-américaniste ? A entendre Alain Rouquié, en conservant intacte la capacité d’étonnement, même après avoir labouré le terrain pendant… un demi-siècle. Au début, il y a eu l’apprentissage de l’espagnol à Normale-Sup, tandis qu’il s’initiait à la sociologie à la Sorbonne, avant une maîtrise à Sciences Po. Ce n’est pas l’Espagne qui attire le jeune Rouquié, mais le grand large.

En 1964, il découvre, grâce à une bourse, l’Argentine, le Venezuela, le Mexique. A Buenos Aires, surprise et effarement : les partisans de l’ex-président Arturo Frondizi, dissident du vieux Parti radical, conspirent avec les militaires et les péronistes pour renverser leur ancien « coreligionnaire », le vénérable présidentArturo Illia. 

Pourquoi des civils frappent-ils aux portes des casernes ? Répondre à cette question lui prendra des années de recherches ; il en fera le sujet de sa thèse.

Le Venezuela lui offre un spectacle différent, celui d’une démocratie tropicale assez brouillonne. En revanche, le Mexique le subjugue par sa stabilité et son ancrage dans un passé millénaire. « L’Argentine a un commencement, le Mexique a des origines », dira l’écrivain mexicain Carlos Fuentes (1928-2012), une formule qu’Alain Rouquié cite volontiers.

UN OUVRAGE DE RÉFÉRENCE

La diversité des vingt républiques d’Amérique latine, avec le Mexique et le Brésil lusophone aux deux extrêmes, conjuguée à leur proximité de culture et de religion, semblait idéale pour l’exercice d’études politiques comparées auquel voulait se consacrer le jeune chercheur. A l’époque, le comparatisme n’était pas vraiment en cour à l’université, où l’on se méfiait des généralisations et des amalgames.  

« Le comparatisme est inconfortable, ça désarçonne », confie-t-il. Avant qu’il n’offre une synthèse sur l’Amérique latine, affublée d’un sous-titre provocateur, Introduction à l’Extrême-Occident (Seuil, 1987), devenue un ouvrage de référence, les étudiants devaient se reposer sur le panorama, vieillissant, dressé par un grand reporter du Monde, Marcel Niedergang, Les 20 Amériques latines (Seuil, 1962).

Comme s’il voulait compenser son audace, Rouquié explore les archives, interroge les acteurs et les témoins, met les bouchées doubles sur l’économie, intègre l’histoire, la géographie, la démographie, la culture, sans négliger les variations de l’espagnol dans les diverses régions, qu’il fait partager avec volupté. Si l’accent et le vocabulaire des Québécois ravissent les Français, que dire des déclinaisons de la langue de Castille sur le sol américain ?

Le plaisir de l’écriture rejoint ainsi le plaisir du lecteur, mais suscite des jalousies : on reproche au chercheur d’emprunter la plume du romancier ! « J’aime écrire,avoue-t-il. Et j’essaie de ne pas m’enfermer dans le style doctoral ou universitaire. » Il ne répète pas à chaque livre son discours de la méthode, mais il n’oublie pas pour autant les règles de l’art.

EMBRASSER LA CARRIÈRE DIPLOMATIQUE

Entre-temps, la Ve République connaît sa première alternance. Claude Cheysson, le ministre socialiste des affaires étrangères de 1981 à 1984, demande à Rouquié des notes pour nourrir une nouvelle diplomatie à l’égard des Latino-Américains. 

 François Mitterrand prononce en octobre 1981 son fameux discours de Cancun : les fils de la Révolution française rendent hommage aux enfants de la révolution mexicaine ! La France et le Mexique reconnaissent la guérilla salvadorienne comme interlocutrice politique et prônent une solution négociée.

Ces échauffements vont provoquer un tournant dans la vie d’Alain Rouquié : il embrasse la carrière diplomatique. Qui n’aura pas été une sinécure, mais une aventure. 

« En 1984, il fallait rouvrir l’ambassade française au Salvador et renouerles relations entre les deux pays, raconte-t-il. En haut lieu, on a eu l’idée d’yenvoyer un « civil » plutôt qu’un diplomate. J’avais des contacts en Amérique centrale, j’ai accepté et appris le métier sur le tas. Six ans plus tôt, mon prédécesseur avait été enlevé par des guérilleros et le gouvernement salvadorien s’en était lavé les mains, sous prétexte que c’était une affaire bilatérale entre la guérilla et la France ! Heureusement, quand j’ai débarqué à San Salvador, le lycée français restait ouvert et accueillait aussi bien les fils des chefs guérilleros que les enfants des possédants. »

Guerres et paix en Amérique centrale (Seuil, 1992), l’ouvrage qu’il tire de ses débuts d’ambassadeur, montre que les études et l’écriture continuent à l’habiter, d’autant que les séjours et les déplacements sur le terrain dépassent les possibilités offertes à un simple chercheur. Après San Salvador, Mexico et Brasilia, avec un crochet par… l’Ethiopie, car le Quai d’Orsay impose ses devoirs.« J’ai préféré ne pas aller à Buenos Aires, car j’étais trop impliqué, lié à l’ancien président radical Raul Alfonsin », explique Rouquié. 

Son Brésil au XXIe siècle. Naissance d’un nouveau grand (Fayard) paraît en 2006, suivi quatre ans plus tard par une démonstration de comparatisme de haute voltige, A l’ombre des dictatures. La démocratie en Amérique latine (Albin Michel, 2010). Cette analyse sur la longue durée tempère singulièrement l’optimisme suscité par les récentes transitions démocratiques.

CONTREDIRE SES PROPRES CERTITUDES

Et le Mexique, qui l’avait époustouflé dès sa première visite ? Pendant longtemps, les figures du latino-américanisme en France (comme aux Etats-Unis d’ailleurs) étaient surtout des mexicanistes et des historiens. Cela a constitué un facteur d’« inhibition », admet Rouquié : « Il fallait lire une bibliographie beaucoup plus vaste. ». Son nouveau livre, sur le Mexique, sous-titré Un Etat nord-américain pour mieux souligner une de ses intuitions, est donc l’aboutissement d’une curiosité entretenue pendant des décennies.

Le doyen des latino-américanistes français semble y prendre plaisir à contre dire ses propres certitudes. L’économie contrarie les ruptures brutales de l’histoire et révèle des constantes insoupçonnées. La géographie s’entête à opposer des déterminations incontournables aux évolutions politiques. « Le politologue se doit de trouver des explications sans tout réduire au politique, justifie Rouquié. Il n’y a jamais de cause unique, moniste. Les réalités complexes exigent de prendre en considération tout ce qui fait fonctionner une société. Le présent n’éclaire pas tout, les événements sont l’aboutissement d’une histoire. »

Les guerres et les déchirements de l’indépendance du Mexique, les invasions, l’épopée révolutionnaire transformée en récit national, ciment de l’unité du pays, autant de défis à l’interprétation. Sans renier ses convictions, l’auteur communique son admiration pour le « génie » du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a permis une évolution à contre-courant de l’instabilité du reste du sous-continent.

Comment vivre en Amérique du Nord, avec comme modèle et menace les Etats-Unis, voilà la gageure des Mexicains. Offrant, par la même occasion, un exemple réussi de globalisation de proximité, qui mériterait d’être méditée par tous ceux que le monde d’aujourd’hui effraie.  

« Pays à plus forte densité culturelle d’Amérique latine, le Mexique ne court aucun risque de dissolution à cause de son puissant voisin, assure Rouquié. Aujourd’hui, les Mexicains ont une carte à jouer grâce à l’influence grandissante de l’immigration hispanique aux Etats-Unis. »

Alain Rouquié aimerait à présent faire le tour du péronisme argentin, dont les métamorphoses évoquent celles du PRI mexicain. Phénomène d’autant plus intéressant que le Venezuela du lieutenant-colonel Hugo Chavez renvoie à l’Argentine du général Juan Peron. Poursuivre tout au long de sa vie les découvertes d’un premier voyage de jeunesse, n’est-ce pas le bonheur ?

Le Mexique. Un Etat nord-américain, d’Alain Rouquié, Fayard, 496 p., 26 €.


Source : Le Grand Journal