et les droits des salariés
et
journaliers
des campagnes
Par Héctor Vásquez
- Notes et traduction de Libres Amériques
Le président Juan Manuel Santos la semaine dernière expliquait
que la grève nationale du monde agricole n’existait pas, bien que touchant 48
axes routiers et concernant 500.000 colombiens (tous secteurs confondus). Le
président s’est enfin décidé à faire des propositions et cela péniblement au
bout de 10 jours de grève et de fortes paralysies du trafic, entraînant des
risques de rationnement de certaines denrées dans les métropoles. Il n’est pas
encore temps de tirer un bilan de ce conflit social toujours actif et ballotté
au gré des violences de l’ESMAD (police antiémeute), mais de découvrir
certaines réalités propres et évoquer la situation de ceux qui seront
certainement les grands oubliés de ce mouvement social : les ouvriers
agricoles et les journaliers (plus de 1,3 millions de personnes).
Le collectif d’avocats José Alvear Restrepo permet d’en
savoir un peu plus sur les « oubliés » du monde paysan colombien,
c’est-à-dire, les travailleurs salariés ou journaliers.
Ce texte du collectif permet de
comprendre les conditions miséreuses de ce prolétariat des champs. Ce qui soulève
quelques questions quand au respect des règles et normes internationales en
matière de droit du travail.
De fait, n’y a-t-il pas un gros problème d’ordre
juridique se posant quant à la nature des traités commerciaux, et plus récent
d’entre eux, le traité de libre-échange avec l’Europe ?
La question est
toute simple, peut-on faire entrée des produits en Europe n’assurant pas
certaines normes internationales et en premier lieu l’absence de contrat entre
l’employeur et ses salariés et toute une série de questions épineuses touchant
à la dignité humaine et à la protection des personnes ?
Ces problèmes font appel à des juristes et l’objet n’est pas
d’y apporter une réponse, sauf à susciter des recours devant la Cour Européenne
de Justice, qui sait... Par ailleurs, il faut se demander si la crevette, la
banane, le café, etc., que nous consommons ici sur le continent européen et
provenant de Colombie ou d’ailleurs conforter des mécanismes sociaux plus
qu’inégalitaire.
Pouvons-nous en tant que citoyens et citoyennes, nous
dédouaner des conditions de vie et de travail de centaines de milliers de
personnes exploitées, par des patrons de petites exploitations, eux-mêmes
abusés par les intermédiaires ou
les grossistes, et via les grands groupes de l’agro-alimentaire déversant des
produits « pas chers » dans nos supermarchés à un coût social et
humain .
Et quant au texte ci-après sur les ouvriers agricoles, il
pose une interrogation de fond, de telles inégalités doivent-elles se faire en
violation des textes de l’Organisation Internationale du Travail, et se
retrouver dans nos assiettes ou ventres repus, quand certains vivent avec moins
d’1 euro par jour ou touchant des salaires permettant d’échapper au seuil
de pauvreté (89 euros par mois) mais n’assurant aucune protection légale et
sociale ?
L’Etat Colombien et les droits des salariés et
journaliers des campagnes
Les protestations agitant depuis 10 jours les campagnes
colombiennes sont plus que justifiées. Petits producteurs de lait, de café, de
riz, de pomme de terre, etc., font face à chaque fois à des conditions de plus
en plus difficiles. Non seulement ils doivent supporter, la concurrence hostile
provoquée par les traités de libre commerce (ou de libre-échange), ainsi que les
prix de vente, que leurs imposent les compagnies transnationales, en
n’accordant pas aux petits exploitants, les moyens de prospérer.
De plus, ils sont victimes des intermédiaires et des
grossistes, achetant leurs cultures et
productions « pour peau de lapin », un contexte dans lequel
l’Etat est complètement absent, faute de politique publique, de crédit,
d’assistance techniques et de commercialisation de leurs produits permettant
d’améliorer la rentabilité de leurs exploitations.
Cependant, dans l’actuelle conjoncture de mobilisation et de
contestation paysanne, personne ne se réfère aux problématiques
spécifiques des travailleurs
salariés et journaliers des campagnes. Derrière chaque cultivateur de pomme de
terre, ou producteur de lait, de café, de riz, ou éleveur, il existe au moins
trois, quatre, cinq salariés ou plus de travailleurs se trouvant dans une
situation encore pire : sans la possibilité de gagner un salaire minimum
(environ 245 euros ou 589.000 pesos par mois, ou par jour, 8 euros ou 19.500
pesos colombiens).
Ces travailleurs ne disposent d’aucune affiliation à la
sécurité sociale, ils travaillent du lever du soleil à son coucher, et ils sont
sans protection contre les maladies professionnelles et les accidents du
travail. Ils deviennent « travailleurs » quand ils sont vieux et se retrouvent sans aucun revenu,
puisque personne ne les a contractualisés et jamais ils n’ont trouvé
l’opportunité de cotiser pour une pension de retraite.
A l’échelle nationale, l’agriculture, l’élevage, la pêche et
la pisciculture et la sylviculture occupent 3. 366.000 personnes, soit 16% de
la population active : 898.000 sont des travailleurs salariés et 595.000
sont des journaliers ou des
ouvriers agricoles appelés "Peones" (le terme « peone » en tant que terme d’usage
commun, peut avoir plusieurs significations, et surtout une histoire très
proche du servage et issue de la condition très miséreuse du monde agricole colombien et plus largement
andin).
Sauf les coupeurs de canne de la Vallée du Cauca, les
travailleurs de la banane dans la région d’Urabá et du Magdalena, les
travailleurs des fleurs de Cundinamarca et dans l’est du département
d’Antioqua, et quelques travailleurs des plantations de palme africaine, les
travailleurs en grande majorité voués aux travaux agricoles travaillent en
situation informelle*, ils sont sans protection sociale, et sans droit à un
salaire minimum. (* ndt, ils n’existent pas juridiquement ou légalement, parce
qu’ils ne sont pas déclarés),
Les propres statistiques du DANE indiquent (Direction des
Statistiques Nationales) et du Ministère du Travail, qu’en 2012, le travail
informel dans le secteur agricole était de 91% (1), c’est-à-dire, que leur
labeur n’est pas adapté pas aux normes du Code du travail en vigueur et aux
conventions de l’OIT (l’Organisation Internationale du Travail), faisant qu’au
moins 73% des travailleurs et travailleuses n’ont pas de salaire minimum, et
que le revenu moyen dans ce secteur atteint à peine 80% du salaire minimum.
Tous ces travailleurs, plus ceux qui travaillent à leur
propre compte en leurs petites parcelles
sont ceux qui font la masse des pauvres des campagnes colombiennes, qui
au sein des statistiques de la DANE apparaissent comme “le reste” atteignant
46.8% de la population. A ceci, il faut rajouter ceux qui sont situation
d’extrême pauvreté (moins d’1 euro et 20 centimes par jour), que dans ces
régions concerne 22,8% de la population [2].
Cette pauvreté et cette indigence est associée, bien sûr,
aux revenus du travail, que reçoit la majeure partie de la population du monde
du travail des campagnes et à l’absence de protection sociale. Dans cette
situation, l’Etat a une grande responsabilité, en plus d’être une de ses
fonctions : l’inspection du travail. Dans la pratique, l’inspection du
travail est complètement inexistante dans les campagnes colombiennes, il faut
compter sur à peine avec 456 inspecteurs pour tout le pays, soit un inspecteur
pour 46.000 travailleurs.
Cette fonction devant s’exercer à partir du Ministère du
Travail, oblige l’Etat à veiller, à ce que soit accompli les dispositions
légales en relation, sur les conditions et la protection des travailleurs et
travailleuse dans l’exercice de sa profession : heures de travail,
sécurité, hygiène, et bien être, l’emploi de mineurs (enfants), les libertés
syndicales et en plus les dispositions liées.
Incluant aussi de faciliter l’information technique et
conseiller les employeurs et travailleurs, sur la façon la plus efficace
d’accomplir les dites dispositions ; et finalement, mettre à la
connaissance de l’autorité compétente les différences ou les abus qui ne sont
pas spécifiquement couverts par elles.
En synthèse, la fonction d’inspection est une clef pour la
sauvegarde des droits des travailleurs des campagnes, se transformant en action
de contrôle, de conseil et d’information, et réglée en connaissance devant
l’autorité compétente.
Ce travail, l’Etat ne l’accomplit pas, parce qu’il manque un
nombre suffisant d’inspecteurs, et le peu existant se concentrent dans les
principales villes et grandes agglomérations, laissant complètement sans
protection le secteur agricole. Pire encore, les inspecteurs municipaux, ceux
(des périphéries peri-urbaines) en rapport avec la plus grand nombre de
violation des droits du travail ont sous leurs juridictions entre 8 et 10
municipalités.
Dans la pratique il est seulement possible de réaliser les
consultations et conciliations de la commune dans laquelle se trouve le siège.
De plus, fréquemment les inspecteurs se voient obligés d’annuler les visites
d’inspections programmées ou ne pas visiter certains établissements, pour une
simple raison, le ministère ne prend pas en charge les frais de transports.
De même, que la présente conjoncture de grève et de
protestations paysannes ne peut ignorer le drame des centaines de milliers des
travailleurs salariés du secteur agricole, et s’adresse à ceux qui ne les
reconnaissent pas dans leurs droits. En partie, la violation de ces droits est
la conséquence des conditions précaires des producteurs, à qui il n’est pas
possible de remplir les conditions d’un contrat de travail.
Pour cela, il faut garantir, aux petits exploitants des
conditions plus favorables de production et de distribution, contribuant à ce
qu’il puisse remplir leurs obligations comme employeurs.
Mais, ce n’est pas assez.
L’Etat a aussi pour obligation de faire appliquer la loi sur
le travail dans tout le pays, en sanctionnant les employeurs agricoles, qui
sont en mesure de reconnaître les droits du travail de leurs travailleurs,
parmi eux les droits à la liberté syndicale. Ils ne le font pas. Entre autres
raisons, parce qu’ils sont certains qu’aucun inspecteur viendra enquêter et
sanctionner.
Notes :
[1] Source : DANE. (Cálculos SAMPL-DGPESF) - Ministère
du Travail de Colombie.
[2] En 2012 le seuil de pauvreté, selon la DANE, était de
202.083 pesos colombiens par personne (84 euros par mois) et l’indigence
(l’extrême pauvreté) en dessous de 91.207 pesos (ou 37 euros par mois). (DANE,
Pobreza monetaria y multidimensional en Colombia, 2012, boletín de prensa, 18
de abril de 2013).
Source d’origine : Collectif d’avocats José Alvear Restrepo