Les veines ouvertes
de l’Amérique latine:
Critique du livre
d’Eduardo Galeano
Par Priscyll Anctil Avoine
« Fièvre de l’or, fièvre de l’argent, le déversement du sang
et des larmes1 ».
Ces paroles sont issues de la chanson Las Venas Abiertas de América Latina, du groupe rock argentin Los
Fabulosos Cadillacs,
parue en 1995. Plus récemment, Hugo Chávez a offert le livre d’Eduardo Galeano
au Président Barack Obama lors du 5e Sommets des Amériques qui s’est tenu entre le 17 et le 19 avril
dernier (Afrocentricité). Résultat : les ventes sur Amazone ont augmenté de
466% (Ortega Luyando, 2009). Ces exemples montrent toujours l’actualité des
thèmes abordés dans le livre de Galeano publié en 1971 : son propos est quasi
intemporel. L'Amérique latine selon Galeano « Une terre qui est morte nombre de fois, et
nombre de fois a recommencé à naître comme si elle était condamnée à naître
incessamment ».
En effet, son œuvre recèle une panoplie d’informations tant
historiques, sociologiques que politiques et économiques. La lecture nous
plonge dans un questionnement sans fin jusqu’à remettre en question notre
identité même « d’Américains ». Le livre a d’ailleurs eu son lot de
controverses. Un penchant trop gauchiste ? Les faits sont-ils véridiques ?
Néanmoins, 38 ans après sa parution, il fait encore couler de l’encre.
Les veines ouvertes de l’Amérique latine oscille entre la poésie et le récit journalistique, entre l’essai et le roman dans un style sobre et à portée de tous dans la volonté de l’auteur de « converser avec chacun » (Galeano, 1971 : p. 363). Véritable tâche de restauration de la mémoire collective latino-américaine, cette œuvre mérite d’être analysée et mise en perspective. Ainsi, cette synthèse critique se subdivisera en quatre parties : une critique externe, une synthèse globale, un état des problématiques centrales et des concepts fondamentaux et, finalement, une critique interne du travail de l’écrivain uruguayen.
Les veines ouvertes de l’Amérique latine oscille entre la poésie et le récit journalistique, entre l’essai et le roman dans un style sobre et à portée de tous dans la volonté de l’auteur de « converser avec chacun » (Galeano, 1971 : p. 363). Véritable tâche de restauration de la mémoire collective latino-américaine, cette œuvre mérite d’être analysée et mise en perspective. Ainsi, cette synthèse critique se subdivisera en quatre parties : une critique externe, une synthèse globale, un état des problématiques centrales et des concepts fondamentaux et, finalement, une critique interne du travail de l’écrivain uruguayen.
I. Critique
externe
Avant de décortiquer le contenu de l’œuvre de Galeano, nous devons
la situer dans son contexte de rédaction. L’auteur est né en 1940 dans une
Amérique latine qui n’a toujours pas trouvé son identité propre malgré les
indépendances. Lorsqu’il rédige Les veines ouvertes de l’Amérique latine, la situation de sa région ne s’est
guère améliorée, voire même détériorée. Le contexte de sa rédaction est fort
équivoque : nous sommes en pleine Guerre froide où les pays du Tiers-Monde sont
le terrain des antagonistes Est-Ouest. En Amérique latine, les années 1970
s’entament sur la faiblesse des systèmes politiques et économiques et sur
l’accroissement des disparités sociales. L’exploitation exagérée des richesses
n’a toujours pas cessé.
Également, la victoire des troupes castristes contre
l’impérialisme américain donne une impulsion à la pensée gauchiste, dans
laquelle s’inscrit Galeano. C’est aussi durant les années 1960-1970 que
commence à prendre de l’importance la théorie de la dépendance dans les pays du
Sud. Pareillement, nous voyons émerger une nouvelle dynamique des mouvements
sociaux et de nouvelles formes complexes de contestation sociale à travers le
monde (Hudon et Poirier, 2009 : 110). Ce fait est notamment visible à la
lecture de la dernière partie du livre « Sept années ont passé ». Ce
contexte est important pour bien s’ancrer dans la perspective de l’auteur alors
qu’il a rédigé son œuvre puisque, bien qu’il subsiste énormément de faits
récurrents, le contexte a évolué.
II. Synthèse
globale
Faire une synthèse juste et représentative d’une œuvre aussi
imposante relève du défi. Chaque page est une mine d’informations et une
analyse minutieuse est requise pour dégager les grandes lignes que nous
aborderons plus tard. Les veines ouvertes de l’Amérique latine se pose comme un « roman historique»
ayant comme objectif d’expliquer les causes de la pauvreté du continent latino-
américain. Pour l’expliquer Galeano remonte jusqu’à la conquête espagnole de
l’Amérique en 1492 et au fil des siècles, attribue cette pauvreté à la présence
étrangère en sol latino-américain.
Le portrait de l’Amérique latine des années 1970 est décevant :
les inégalités sociales se creusent, les gouvernements sont toujours aussi
corrompus, la division des terres toujours aussi inégalitaire, le patriotisme
brille par son absence et les Latino-américains tardent à s’imposer face à la
division internationale du travail qui est réglée par le capitalisme
international. Cette multitude de problèmes socio-économiques prend ses sources
dans les différentes étapes d’une histoire qui n’a jamais été prise en main par
le peuple lui-même. La première de ces étapes fut celle de la colonisation ou
plutôt de la conquête des puissances espagnoles et portugaises.
Les systèmes implantés par ces conquistadores, comme les encomiendas et les chemins de fer qui reliaient
uniquement les points d’extraction miniers aux ports d’exportation, ont vidé
les terres les plus riches de l’Amérique latine des ressources qui auraient pu
bénéficier à leur population. S’installa alors une véritable industrie qui
servira non pas à enrichir la métropole espagnole ou portugaise, mais à
financer les guerres de religion du « Vieux continent » et à donner l’impulsion
financière aux Anglais pour propulser la Révolution industrielle. L’argent,
l’or, le sucre, le cuivre ; le pillage interne augmente toujours plus au
détriment des indigènes, qui voient leur population s’affaiblir de plus en
plus. Les rebellions sont toutes étouffées dans le sang et les atrocités ne se
comptent plus pour payer les fastes des classes dominantes.
Les mines ont été vidées, les terres appauvries et condamnées à la
monoculture, un phénomène toujours présent aujourd’hui. Évidemment, cette
saignée de l’Amérique latine s’accompagne d’une ruine de l’Afrique, avec tous
ces caciques africains qui ont pris part au commerce triangulaire. Par la
suite, les indépendances n’ont pas changé la donne : la domination étrangère
s’est seulement transformée. Premièrement, les Anglais inondèrent le marché
latino-américain de leurs produits, ce fut donc la lente mort de l’industrie
nationale qui ne s’est jamais relevée.
Ce fut ensuite le temps du pétrole, des métaux et des républiques
bananières, véritables enclaves octroyées à des grandes compagnies et
multinationales. Les gouvernements des nouveaux pays donnèrent carte blanche à
celles-ci afin qu’elles puissent exploiter sans le moindre désavantage, voire
même sans payer d’impôts. Ainsi, la bourgeoisie nationale ne voyait d’intérêt à
construire un marché intérieur développé et indépendant. Les nombreuses
initiatives voulant mettre en place des politiques de nationalisation ou de
réformes agraires ont toutes avortées. L’entrée des investisseurs nord-
américains au début du siècle dernier a été désastreuse : les coups d’État se
succédaient étrangement aux nationalisations qui défavorisaient les compagnies
et monopoles étrangers. Ces monopoles étrangers décidaient des présidents, de
la paix et de la guerre. Mais l’histoire officielle accuse les « sanguinaires
dictateurs ». Au milieu du 20e siècle,
l’ennemi international de l’Amérique latine s’est institutionnalisé derrière
les organismes internationaux : le FMI et la Banque mondiale, deux enfants de
Washington.
Les libéralisations, les dévaluations de monnaies et l’absorption
définitive des entreprises nationales ont condamné davantage la capacité de
consommation intérieure et augmenté la misère. Ces organisations prétendument
internationales ne font qu’ouvrir les portes à la « nord- américanisation » du
monde capitaliste. La brèche dans le commerce est de plus en plus grande. Les
dettes externes étranglent de plus en plus l’Amérique latine et la situation
des droits humains ne s’améliore pas : torture, répression et terrorisme
d’État. Les années 1970 n’augurent rien de bon avec le choc pétrolier de 1973
et le coup d’État au Chili avec l’accession au pouvoir de Pinochet, favorable
aux intérêts nord-américains. Cette synthèse globale a voulu faire un portrait
exhaustif du livre de Galeano sans tomber dans les longueurs. Elle fait
abstraction des nombreuses statistiques avancées par l’auteur pour prouver ces
dires. Posons maintenant un regard critique sur cette œuvre.
III. Problématiques
centrales et concepts fondamentaux
Le nombre de concepts amenés par Galeano est astronomique et nous
ne prétendons pas en rendre compte dans leur totalité. D’abord, l’œuvre de
Galeano se subdivise en 4 parties : l’introduction, la première partie, la
deuxième partie et la partie intitulée « Sept années ont passé ». Nous
considérons également que si nous pouvions exprimer une « thèse » que Galeano a
voulu démontrer avec son livre, elle serait exprimée dans cette citation
(Galeano, 1971 : 365) :
[...] le sous-développement latino-américain
est une conséquence du développement étranger ; nous, Latino-Américains, nous
sommes pauvres parce que le sol que nous foulons, si riche et si privilégié
soit-il par la nature, a été maudit par l’histoire.
S’appuyant sur cette « thèse », les hypothèses du
sous-développement sont multiples et contenues dans les diverses parties du
travail de Galeano sur lesquelles nous nous attardons subséquemment. Abordons
les problématiques centrales et les concepts en les subdivisant selon ces
parties.
a. Introduction
La problématique centrale de cette partie est la stagnation
voire, la dégradation de la situation socioéconomique de l’Amérique latine dans
les années 1960-1970.
Galeano soutient dans cette partie que la machine capitaliste agit toujours de
manière inégalitaire dans sa répartition de la richesse, l’Amérique latine
étant toujours dans une misère profonde. Pour ce faire, il utilise une
pluralité de concepts. Dès la première phrase, apparaît celui de la division
internationale du travail : « La division internationale du travail fait que
quelques pays se consacrent à gagner, d’autres à perdre. » (Galeano, 1971 : 9)
L’Amérique latine, depuis la conquête, est vouée à être la soumise
dans cette division du travail : une sous-Amérique. Comme deuxième concept, il
y a l’impérialisme sous toutes ses formes, mais surtout l’impérialisme
systémique d’où découle une multitude d’autres sous-concepts comme l’oppression
régionale et la violence systématique engendrée par la recherche toujours
croissante de capital. Conséquemment, un autre concept important est celui de
l’oligarchie ou la classe dirigeante par lequel Galeano réussit à faire la lumière
sur beaucoup de problèmes actuels de l’Amérique latine. Entre autres, il est
question de toutes les « révolutions étranglées » et du patriotisme inexistant.
Pour cause : les classes dirigeantes, selon l’auteur, n’avaient aucune raison
de développer un capitalisme intérieur, ce fut donc un cycle de dépossession
qui a débuté. Une autre notion à souligner est la croissance démographique.
Celle-ci pose deux problèmes : l’excédent de main-d’œuvre et la justification
de la pauvreté. Selon l’auteur, il serait faux de rendre cette croissance
démographique responsable de la pauvreté car de grandes régions demeurent
inhabitées. La culpabilité revient au dernier concept de cette partie : les
inégalités de revenu et d’accès à la terre. D’ailleurs, selon des statistiques
de 1997, sur les 14 pays les plus inégalitaires du globe, 6 sont latino-
américains, comme quoi la situation n’a pas changé (Castel, 2002 : 24). Au
fond, le concept englobant est le système et la conséquence en serait
l’inaction des latino-américains face à cet échec historique.
b.
Première partie :la richesse de la terre engendre la pauvreté de l’homme
La première partie est centrée sur le colonialisme et les
problèmes qu’il a engendré en laissant les colonies vulnérables aux puissances
étrangères. Cette
partie se subdivise en sous-parties ayant chacune leurs problématiques
centrales et leurs concepts.
Chapitre 1 : Fièvre de l’or, fièvre de l’argent
La problématique centrale de ce chapitre est l’exploitation
minière à outrance.
Tout d’abord, une première constatation à faire est la suivante : c’est le «
choc de deux mondes » et Galeano s’emploie à utiliser le concept d’inégalité du
développement des civilisations qui vont se rencontrer lors de l’arrivée des
Européens. De cela découlera l’extermination pratiquement complète des grandes
civilisations précolombiennes et autres peuples indigènes. Le second concept
important est celui du « mythe de l’Eldorado » qui a donné naissance au pillage du
continent latino-américain. Ainsi, débute une course folle à l’or, l’argent et
autres métaux précieux. Ceci nous amène à un autre concept, le travail forcé à
travers les mitayos,
qui a contribué à rendre possible l’accumulation du capital et la Révolution
industrielle. Un autre engrenage important est le fait que ces capitaux
soutirés à même le sous-sol latino-américain servaient à financer les
nombreuses guerres dans lesquelles les couronnes européennes s’étaient
embourbées : les deux autres conceptions importantes sont les guerres de
religions et les banqueroutes des royaumes européens. L’Église est donc un
concept à ne pas négliger.
Chapitre 2 : Le roi sucre et autres monarques agricoles
La problématique du présent chapitre relève beaucoup plus de la relation
à la terre et de l’usurpation de ses ressources durant la période coloniale. Nous retrouvons une foule de
concepts. D’abord, les « Sugar Islands », les enclaves bananières et, plus généralement, les «
latifundios ». De cela découle quatre sous-concepts : la monoculture, l’appauvrissement
des sols, la concentration des terres dans les mains d’une minorité et
l’enrichissement des intermédiaires au détriment des producteurs et des
consommateurs. Ces facteurs n’ont pas du tout facilité la transition des
colonies vers de véritables patries ce qui fait dire à l’auteur que Cuba serait
le seul pays à avoir vraiment tiré du sucre un développement national, d’où
l’utilisation du concept socialisme en opposition au capitalisme.
Dans un deuxième temps, l’auteur aborde la notion d’esclavagisme à
travers laquelle il dénote des conséquences importantes : une « saignée » de
l’Afrique, la montée en importance des caciques africains, les suicides
collectifs d’indigènes et d’esclaves et le colonialisme interne entre Blancs et
Indiens. Plus tard, l’auteur se sert aussi de l’idée de « servage féodale »
pour exprimer que les indépendances n’ont pas tué l’esclavagisme, surtout dans
les grandes plantations. Une autre idée importante est la dépendance économique
engendrée par la construction de chemins de fer positionnés stratégiquement de
manière à ne pas alimenter la croissance intérieure et favoriser les puissances
étrangères. Finalement, c’est dans cette partie que l’auteur commence à
introduire le sujet de la corruption des classes dirigeantes et des
gouvernements latino-américains ce qui a conduit à la violence et la
dépossession des terres.
Les sources souterraines du pouvoir
La problématique centrale de ce troisième chapitre est le
pouvoir que procurent les richesses minières et les atrocités qui ont été
commises en leur nom.
Ce chapitre fait un bref survol jusqu’à nos jours de toutes les guerres, sous
toutes leurs formes, qui ont été perpétrées au nom des richesses naturelles de
l’Amérique latine. Comme premier concept nous retrouvons cette dépendance
croissante face aux matières premières de la région ce qui entraîne un jeu de
pouvoir important. Les sous-sols latino- américains ont fait des envieux. C’est
ainsi que Galeano apportent les concepts suivants: nationalisation, coups
d’État, espionnage et révolutions. En effet, nombreux sont les hommes qui ont
tenté de nationaliser l’extraction minière dans l’histoire de l’Amérique latine
depuis l’or jusqu’au pétrole. Cependant, ces nationalisations ont échoué, plus
souvent qu’autrement par l’instauration de dictatures favorables aux puissances
étrangères par des coups d’État. Arrivent deux autres concepts cruciaux : les
multinationales et les cartels internationaux, abordés dans la partie
subséquente.
c. Deuxième
partie : le développement est un voyage qui compte plus de naufragés que de
navigateurs
Cette partie met en lumière la problématique du développement et se subdivise en deux problématiques
: le néocolonialisme,
soit de la nouvelle forme de colonialisme qui impose la domination économique à
un pays (Le Robert, 1984 : p. 1264) et l’impérialisme nord-américain.
Histoire de la mort précoce
Ce chapitre rend compte de la complexité historique de
l’Amérique latine qui a engendré instabilité et sous-développement. L’Amérique latine n’a pas eu le temps
de crier victoire, déjà s’instaurait un premier concept : la Pax Britannica. Ce sont effectivement les Anglais qui
ont remplacé les Espagnols après les indépendances en inondant les marchés
latino-américains des produits de l’Angleterre. Le néocolonialisme anglais se
ressentait également à travers la multitude de banques anglaises s’installant
un peu partout dans la région sud-américaine et caribéenne. Le concept suivant
est la négation de la patrie.
En effet, les commerçants latino-américains ne voyaient aucun
intérêt dans le développement intérieur et ainsi se servaient des ports comme «
instrument de conquête et de pouvoir contre leur propre pays » (Galeano, 1971 :
247). Pour expliquer cette partie, l’auteur utilise le protectionnisme versus
le libre-échangisme en comparant les bourgeoisies américaines et latino-
américaines en soulignant que les États-Unis ne sont pas devenus la plus grande
puissance mondiale grâce au libre-échangisme. Il mentionne tous les échecs de
protectionnisme latino-américain comme avec Artigas et Varela. Un dernier
concept évalué dans cette partie est le « sous-impérialisme » dont le meilleur
exemple se trouve dans la guerre de la Triple-Alliance où le Brésil joue un
rôle actif comme leader continental.
La structure actuelle de la spoliation
La problématique de ce chapitre est simple : la dépossession a
continué après les indépendances bien que de façon beaucoup plus subtile sans
pour autant être inefficace. C’est la « nord-américanisation » du système capitaliste. Celui-ci
se traduit de plusieurs façons. D’abord, il y a l’idée du nouvel impérialisme
qui se donne une « mission civilisatrice » : les États-Unis considèrent
l’Amérique latine comme leur arrière-cour. Deuxièmement, soulignons que, tant
le FMI, la Banque mondiale que les multinationales apportent une nouvelle notion
:
la «
dénationalisation », soit la passation des
industries nationales vers des entreprises privées. Le FMI et la BM facilitent
les politiques libre- échangistes et l’abolition des restrictions à l’initiative
privée. De même, les gouvernements donnent carte blanches à ces filières de
multinationales qui se donnent même le pouvoir d’élaborer des politiques
nationales. Cela apporte un autre concept, celui de l’endettement. Autrement,
la « brèche du commerce » se fait de plus en plus grande : c’est la notion clé
de la détérioration des termes de l’échange qui favorise toujours moins les
pays latino-américains.
Il y a aussi la technologie qui facilite la production
et demande de moins en moins de main-d’œuvre. Cela favorise trois sous-concepts
: la marginalisation sociale, la migration urbaine et les inégalités sociales.
De même, Galeano introduit le concept d’intégration régionale en faisant
mention de l’ALALC, qui selon lui, accroît davantage la misère latino-américaine.
d. Sept années ont passé
Cette partie est en soi la suite de l’introduction dans le sens où
elle actualise jusqu’en 1977 la désolation face à laquelle se retrouve
l’Amérique latine.
Cette partie reprend beaucoup de concepts touchés au fil du livre, mais en
ajoute quelques-uns qui méritent d’être soulignés. En ce sens, la mémoire est
un facteur très important ici : ce chapitre appelle les latino-américains à ne
pas entretenir une mémoire « fabriquée par l’oppresseur ». D’autres concepts
sont aussi abordés : la répression, notamment au Chili de Pinochet, la pauvreté
massive, la main-d’œuvre bon marché mais surtout, la corruption
institutionnalisée et le terrorisme d’État. En effet, ces problèmes se révèlent
cruciaux : c’est un appel aux latino-américains à prendre leur destinée en
main.
IV. Critique
interne
Les détracteurs comme les fervents de son œuvre ont beaucoup à
dire sur l’écriture de Galeano. Le travail de l’auteur uruguayen est
extrêmement recherché tant dans le style que dans sa perspective historique,
mais il vaut la peine de creuser notre réflexion. Les opposants à la pensée de
Galeano soutiennent que les causes du sous-développement ne découlent pas
uniquement de l’extérieur, ni d’un seul ennemi, soit le capitalisme, mais bien
d’une pluralité de facteurs combinés. Que Les veines ouvertes de l’Amérique
latine relève plutôt
d’un combat entre coupables et victimes.
Ainsi, ces détracteurs pensent que ce livre s’inscrit trop dans la
lignée anti-impérialiste de gauche justement en montée dans les années
1960-1970. Ils croient également que les causes du sous-développement relèvent
moins du système impérialiste capitaliste que du manque de liberté des peuples
latino- américains. Cette carence aurait consacré leur soumission sans
possibilité de développement socioéconomique. Finalement, les opposants pensent
qu’une part des responsabilités incombe aux latino-américains (Gurdián, 2007).
Pour ce qui est des partisans de l’œuvre de Galeano, ils y voient premièrement
une des seules remises à l’heure historique que connaisse l’Amérique latine.
Également, ils perçoivent l’œuvre de Galeano comme pouvant toucher
un large public par la facilité de la lecture et le rapprochement avec les
intérêts des « masses populaires ». Pour eux, c’est une justice enfin rendue
face à l’humiliation subie durant des siècles. Pour eux, c’est justement, par
opposition aux détracteurs, un appel à lutter et à prendre ses responsabilités
de latino-américain. Ils pensent également que c’est une chance pour le peuple
de faire un choix plus éclairé lorsque vient le temps de choisir les dirigeants
: c’est une occasion que la population rejoint par le livre prenne conscience
tout simplement. Pour eux, le système impérialiste capitaliste n’est pas
l’unique cause, mais bien la source de toutes les causes ayant contribuées à
maintenir l’Amérique latine étranglée. Surtout, les fervents de la « thèse » de
Galeano s’appuient sur le fait que la situation d’aujourd’hui est tout autant
négative après tout ce que l’on a connu de la libéralisation économique que les
pays du Nord ont imposé à ceux du Sud (Rodríguez, 2007).
En conclusion, Les veines ouvertes de l’Amérique latine est une œuvre très simple et à la fois
très profonde qui est racontée avec brio. Ce bouquin nous donne un peu
l’impression d’être assis à écouter Galeano dans son salon tout en se sentant
parcourir une quantité astronomique d’ouvrages richissimes. La seule désolation
est que ce livre aurait pu être plus nuancé mais surtout, plus facilement
accessible à tous les latino-américains. Une actualisation serait de mise car
les dernières années, surtout avec la mondialisation grandissante, ont beaucoup
marqué l’Amérique latine, même si beaucoup de problèmes persistent.
Selon nous,
ce livre de Galeano est porteur de deux messages essentiels pour que l’Amérique
latine sorte de sa situation : l’éducation et la prise en main collective pour
la recherche de solutions à l’échelle nationale. Terminons avec une pensée de
Galeano sur l’Amérique latine : « Une terre qui est morte nombre de fois, et
nombre de fois a recommencé à naître comme si elle était condamnée à naître
incessamment - 2 ».
Notes :
1 « Fiebre del oro, fiebre de la
plata/El derramiento de la sangre y de las lagrimas »
2 Una tierra que ha muerto
muchas veces, y muchas veces ha vuelto a nacer, como si estuviera condenada al
nacer incesante.
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CLIQUEZ ICI ! (Page consultée le
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Source : Université de Laval (Québec - Canada)