au pénitencier de Villa Gorriti
dans la province de Jujuy
(1975 - 1977)
Par Martina
Chávez - Témoin au procès de Carlos Ortiz, Ricardo Ortiz, Mario
Gutiérrez, Herminio Zárate, César Díaz, Antonio Vargas et l’ex général
Luciano Benjamín (*)
À tous les compagnons disparus de Jujuy, et parce que leurs
idéaux et les nôtres son toujours et plus que jamais présents. Aux compagnes
Dominga Álvarez, Alicia Ranzoni, Juana Torres et Marina Vilte (1), que je vis
en vie au pénitencier de Villa Gorriti et qui lors d’une de ces incessantes «
commissions » ils firent disparaître. À mes compagnes comme moi survivantes,
Gladis Artunduaga, Dora Weisz, Sara Murad, Mercedes Zalázar, avec qui j’ai
partagé des moments de douleur, mais aussi des rêves d’un autre lendemain. À
tous les compagnons d’Argentine disparus.Tout au long de ce récit s’est posé un
problème lié à la mémoire, ma propre mémoire.
L’enfermement que j’ai souffert à cette époque a laissé ses
séquelles et il m’a été impossible de traduire en dates des événements de
grande importance comme le furent nos transferts successifs ou des faits
quotidiens de l’enfermement.
La partie concernant ma détention n’est pas
rattachée au présent témoignage, elle appartient à un autre chapitre que je
rédige.
Lorsque je me suis retrouvée exilée, j’ai assumé ma
responsabilité de prisonnière politique, de militante, et j’ai fourni mon
témoignage. Aujourd’hui je me rends compte que je l’ai fait comme s’il s’était
agi d’une autre personne et non pas de moi-même, afin d’éviter la souffrance,
et étant donné qu’il s’agissait de l’urgence de sauver des vies.
Ce récit est dédié à toutes pour tout ce que nous avons
partagé et continuons à partager Malgré la distance et le temps qui s’est
écoulé.
La prison du Bon Pasteur
On m’a détenue le 16 mars 1975, mais je ne suis pas sûre de
la date du fait que je suis passée par diverses allées et venues d’une prison à
l’autre : gendarmerie de Ledesma, locaux de la police de San Pedro, Département
central de police de San Salvador de Jujuy, pour y subir des interrogatoires.
En dernier lieu on me transféra à la prison du Bon Pasteur, entre le 22 et le
25mars.
Cette prison est située pratiquement en plein centre de la
capitale San Salvador de Jujuy. Lorsque j’y arrivai détenue s’y trouvaient déjà
plusieurs compagnes (compagnes de lutte), parmi lesquelles: Sara Murad, Gladis
Artunduaga, Dora Rebecchi de Weisz, Soledad López, Mercedes Zalázar, Ninfa
Hochkofler, et arrivera plus tard Ana María Martínez.
Nous partagions cette prison avec des prisonnières sociales
(2), avec lesquelles nous finîmes par entretenir de bonnes relations de
convivialité. En sus de leur dire que les sœurs abusaient d’elles, car elles
les exploitaient les faisant travailler depuis 6 heures du matin jusqu’à très
tard dans la nuit. Je n’ai jamais pu savoir qui tirait profit de cette situation.
Sûrement les mêmes qui avaient ordonné notre détention.
Quant à nous autres, nous étions trois ou quatre par
cellule, tout étant parfaitement ordonné pour que nous sachions bien que nous
étions là pour nous nous transformer en demoiselles creuses et sans aucune
consistance.
Dans le pays on n’avait pas encore autorisé les lieux tristement
célèbres comme les prisons de sécurité maximales ou les lieux secrets de
détention, ce en quoi sera transformée la prison de Villa Gorriti, de laquelle
on sortait des gens pour qu’ils soient torturés et fusillés. En effet, à Jujuy, on compte les pénitenciers de Villa
Gorriti, Guerrero, et plus tardivement d’autres lieux qui restent à identifier,
comme celui récemment cité par Nélida Fidalgo.
La révélation de l’existence d’un lieu qui aurait fonctionné
comme centre clandestin
de détention, « Puesto Mendoza », et
qui n’avait jamais été dénoncé auparavant, ouvre une importante piste d’enquête
dans le procès (3).
Le régime interne de la prison du Bon Pasteur ressemblait
assez de par certains aspects à celui des prisonnières sociales, à la
différence que les sœurs devaient envoyer périodiquement des rapports sur notre
conduite, et elles assumaient bien cette fonction.
D’un autre côté les prisonnières de droit commun étaient soumises
au travail forcé, la majorité d’entre elles n’atteignaient pas les 25 ans
d’âge, et étaient filles du prolétariat agricole dépendant des fincas (grandes exploitations) des grands propriétaires
terriens de la région et de la Puna, abandonnée par l’Argentine.
De manière spontanée, sans aucun type de structure
organisationnelle, avec le seul instinct de survie hérité de la culture
ancestrale de nos peuples originaires, se développa un système de résistance
pour la survie.
Nous négocions quelques améliorations avec la conviction que
nous devions, en premier lieu, rompre l’isolement qu’avait déjà imposé le
régime et, en second lieu améliorer notre condition de vie à l’intérieur de la
prison, réclamant plus de nourriture car celle-ci était insuffisante. Nous
sollicitâmes aussi l’autorisation de réaliser quelque activité manuelle pour ne
pas oublier que nous étions des êtres humains, enfermés mais vivants. Comme la
conjoncture se prêtait encore à cela, nous demandâmes à pourvoir lire un
journal : Pregón.
Il s’agit d’un journal local qui véhicule l’idéologie des
différents gouvernements en place, c’est-à-dire de l’oligarchie terrienne de la
région. Nous demandâmes également la possibilité de regarder la télévision,
bien que sachant que le contenu des programmes n’allait pas subvertir l’ordre
établi. Celles qui le pouvaient recevaient des visites, quelques colis et des
vêtements. Je ne me souviens pas que nous avons porté l’uniforme. Peu à peu,
les sœurs accédèrent à nos réclamations.
Au Bon Pasteur se retrouvaient des compagnes (compargnes) qui étaient maîtresses d’école, et leurs syndicats
nous faisaient parvenir des paquets, avec des choses et d’autres qui nous
aidaient à améliorer notre vie quotidienne.
En général nous bénéficiions d’une récréation le matin, et
lavions nos vêtements. Une personne extérieure venait nous enseigner la couture
ou le tissage, étant donné que nous devions en principe sortir de là préparées
à nous occuper d’une maison et non faire de la politique. Telle était, à grands
traits, la politique instaurée dans la prison du Bon Pasteur. Nous sommes
restées là entre 6 à 7 mois, plus ou moins.
Ce fut durant cette période, en 1975, que Dora Weisz et son
mari conçurent leur fille « Poti », comme résultat d’un régime carcéral
similaire à celui des prisonnières sociales. La visite de l’épouse et vice-
versa au détenu était possible. “Poti” Martina, c’est ainsi qu’ils la
nommèrent, allait naître en octobre de cette année-là.
Le transfert vers le pénitencier de Villa Gorriti
En novembre1975 nous, les prisonnières politiques, sommes
regroupées dans des lieux considérés comme de sécurité maximum. Le pénitencier
de Villa Gorriti a fait partie de ce projet. Un jour les forces militaires
répressives vinrent nous chercher.
Ils firent irruption violemment avec un grand déploiement de
force dans la prison du Bon Pasteur, vociférant, criant, nous menaçant,
employant un langage belliqueux digne de l’École des Amériques (4) (Escuela
de las Américas), sans nous laisser le
temps de la moindre réaction.
Les cris continuaient, donnant des ordres : « les
guérilleras par ici, et les prisonnières de droit commun par là ». Ils
enfermèrent les prisonnières « sociales » dans la salle qui nous servait de
cantine, pour empêcher qu’elles voient ce qui se passait.
Au travers des vitres
je vois les prisonnières «
sociales » qui pleurent. Je me souviens surtout de Guillermina, à qui je
souhaite rendre un hommage, car l’affection que nous avons partagée dans cet
enfermement l’a aidée à supporter la solitude ; car je me sentais terriblement
seule les premiers temps, seule face à l’adversité, car je me doutais que mes
parents n’allaient rien pouvoir faire, je les savais résignés, fatigués, et
fondamentalement coupés de ce système qui les avait exclus pour toujours de
leur culture basée sur le respect de leur terre, que l’oligarchie terrienne
avait épuisée avec tant de voracité (Chávez, 1996 : p. 75).
Une à une nous montâmes vers nos cellules pour préparer nos
effets, ceux qui pouvaient encore être sauvés du cyclone, le peu qui nous
restait de notre identité comme personnes. C’est ainsi que nous accrochions à
des objets invraisemblables, voulant les transformer face
Centre d’instruction militaire pour l’ensemble des
Amériques, sous l’incertitude dans laquelle ils nous avaient plongées.
Chacun avait sa valeur propre, les poupées aux jambes allongées que nous avions
fabriquées avec tant d’amour, et n’importe quel objet auquel nous nous étions
attachées pour continuer à rester en contact avec la vie. Toute notre existence
se circonscrivait à ces objets inertes qui recouvraient vie dans ces
circonstances-là.
Nous les emportions avec nous vers un destin incertain.
L’opération dura entre 10 et 15 minutes.
Ils nous ordonnent de nous rendre jusqu’à la cour par une
porte dérobée, non par la porte principale, ils nous font sortir en file et
l’une après l’autre, nous font monter également une à une dans le fourgon
militaire qui était pourvu de cellules individuelles. Avant de monter une de
nos compagnes demande à la mère supérieure qu’elle nous dise quelle allait être
notre destination. La seule chose que nous obtînmes en guise de réponse fut
l’acquiescement de cette dernière aux militaires.
Notre demande aux bonnes sœurs resta vaine. Après quelques
détours sur la route, nous arrivâmes à la prison de Villa Gorriti, qui est une
prison pour hommes de droit commun. Ils en avaient aménagé une partie pour les
prisonniers politiques hommes et femmes. Les militaires avaient vidé toute une
aile de cette prison pour y concentrer les prisonniers politiques... Nous fûmes
transférées au secteur réservé aux femmes, nous nous retrouvâmes séparées, une
par cellule, les fenêtres complètement occultées par des planches de bois
clouées (Parejo R. 1996: 188).
À partir de ce moment, notre condition d’êtres humains
allait changer définitivement, et aussi ma perception de ce qu’est un être
humain et de la valeur de la vie. À l’arrivée au pénitencier nous passâmes de
nouveau par une fouille et un contrôle d’identité, ce qui était déjà pour nous
une routine, comme s’il n’était déjà pas suffisant d’être entre leurs mains.
C’est là aussi que commencent les spéculations sur les causes de ce transfert.
Aucune parmi nous n’aurait pu imaginer que c’était seulement le commencement de
la fin pour beaucoup d’entre nous.
Alors que nous étions encore au Bon Pasteur nous avions
appris que 26 compagnes de Córdoba s’étaient évadées, et nous pensions que
c’était pour cela que l’on nous avait transférées. Nous avions également appris
les exécutions par fusillade, celles de Salta à Palomitas, celle du Chaco à
Margarita Belén, en application de la « loi de fuite », que consistait en faire
croire à l’opinion publique que le prisonnier politique voulait s’évader et que
des groupes armés s’affrontaient pour les sauver, et que c’est pour cette
raison qu’il y avait des affrontements.
En mon for intérieur j’ai pensé que nous pouvions subir le
même sort. [De toutes les prisons d’Argentine les moments culminants furent les
assassinats survenus dans les prisons de Córdoba, plus de trente détenus en un
laps de temps de six mois, celle de Resistencia avec vingt-quatre détenus
sortis du pénitencier et assassinés à Margarita Belén en l’espace de quarante
jours, et à La Plata neuf détenus en différentes occasions, pour ne citer que
les cas majeurs de répression] Ces nouvelles augmentaient en nous le sentiment
d’insécurité et de détresse.
Un système hautement militarisé et basé sur la terreur
À l’arrivée au pénitencier de Villa Gorriti la majorité
d’entre nous n’était pas sous le coup d’une accusation formelle, ni n’avait
aucun procès judiciaire en cours, étant seulement mises à disposition du PEN,
le Pouvoir Éxécutif National militaire (Poder Ejecutivo Nacional), par la sécurité de l’État.
La première mesure prise par les militaires sera de nous
maintenir isolées dans une totale mise au secret. En effet, avec le coup d’état
militaire, le 24 mars 1976, l’objectif principal sera d’instaurer un système
basé sur la terreur, dans le but d’anéantir physiquement et mentalement les
prisonniers et prisonnières politiques, en faisant régner la terreur entre ceux
d’entre nous qui jusqu’alors avions survécu.
Le personnel pénitentiaire était constitué d’employés
recrutés au sein même du service pénitentiaire et au sein de la Gendarmerie. Le
service d’intelligence militaire provenait lui des officiers des services
secrets fédéraux. Tous les secteurs de la sécurité étaient passés au service de
la répression et participèrent au projet militaire.
Le système
d’isolement
Le régime de « dangerosité maximale » consista à mettre en
pratique une politique d’isolement absolu, d’isolement total de l’extérieur
comme entre nous autres à l’intérieur de la prison : ceci car se préparait le
coup d’état militaire. Seront suspendues les récréations quotidiennes, les visites
des membres de la famille, la correspondance. On interdit l’entrée des
journaux, de livres et de n’importe quel autre élément qui aurait pu nous aider
à supporter l’isolement et comprendre ce qui était en train de se préparer.
On interdit tout contact entre nous, toute fonction sociale
en relation avec la vie : parler, rire, chanter, écrire, partager un maté,
crier, pleurer, l’hygiène et la propreté personnelle. Est interdite toute
activité manuelle. Ils nous disaient constamment : « vous êtes vivantes mais
vous sortirez folles d’ici ». Les premiers jours de notre arrivée au
pénitencier de Villa Gorriti, une gardienne nous donnait la permission de
prendre des moments de récréation pour que nous puissions parler dans la petite
cour intérieure, mais ce « privilège » fut de courte durée.
De temps en temps ils nous faisaient sortir une heure et
nous distribuaient aux extrémités de la cour sans nous permettre de nous
parler.
Une politique basée sur la terreur et la destruction
psychologique et physique
À l’intérieur de la prison régnait un système d’insécurité
permanente à cause des fouilles et des entrées par surprise dans nos cellules,
qui avaient pour but de nous briser en tant que groupe social d’opposants
politiques. À peine étions-nous arrivées que les autorités du pénitencier nous
dirent : « À partir de maintenant nous vous garantissons plus votre intégrité
physique ; vous restez à disposition des autorités militaires (5) ».
En sus d’aller chercher des compagnons pour les fusiller,
nous furent appliquées toutes sortes de tortures psychologiques, privations
d’aliments et d’hygiène, et il régna un absolu abandon médical. Tout ceci fut
appliqué de manière constante. Seules quelques gardiennes avec lesquelles nous
étions parvenues à établir une relation plus humaine, nous octroyaient la
possibilité de nous rassembler et parler de temps à autre, avec la peur
permanente que ce « privilège » ne se perde, à tel point que nous en vînmes à
protéger ces gardiennes.
Lorsque nous entendions les bruits métalliques nous nous
enfermions, nous sortions le bras par la partie supérieure de la porte qui
était munie de barreaux, et mettions nous-même le cadenas. Nos bras s’en
étaient allongés. D’une certaine manière nous mettions à profit l’ignorance du
personnel pénitentiaire qui ne comprenait pas ce que représentait réellement le
projet militaire.
Un système d’insécurité permanente
Le calme apparent et organisé qui avait régné dans la prison
du Bon Pasteur fut remplacé à Villa Gorriti par les bruits métalliques des grilles,
des cadenas, les allées et venues incessantes des bottes. Peu de temps après
notre arrivée au pénitencier surgit un commando proférant des menaces et des
insultes, ils nous font sortir des cellules les mains au dos, et avec l’ordre
absolu de ne pas regarder ni parler, car ils avaient soi-disant découvert une
cache d’armes dans la cour de notre pavillon. Ils nous sortent de nos cellules,
nous mettent dans l’autre aile du pavillon, dans des cellules individuelles et
totalement vides, et nous sommes restées là jusqu’à la fin de l’opération.
Ce jour-là la petite cour qui de temps à autre nous servait
de récréation et de lieu de contact avec les prisonniers de droit commun se
retrouva sens dessus dessous, retournée avec pics et pelles, les jeunes soldats
retournèrent complètement la terre. Je n’ai jamais su ce qu’ils cherchaient. À
priori ils cherchaient des armes, car quelqu’un avait fait courir le bruit que
se préparait une évasion. ¿Cela pouvait-il servir de prétexte pour nous apeurer
encore plus ou nous appliquer la « loi de fuite ?» Je n’ai jamais réellement su
quel fut le vrai motif de toute cette opération.
Une nuit pénètre par surprise un groupe de militaires
disposé à nous terroriser, renversant tout sur son passage, nous menaçant. Ils
nous contraignent à sortir de nos cellules les mains au dos, nous poussent,
nous donnent l’ordre de nous jeter au sol sur le ventre, ils nous recouvrent
avec des couvertures pour que nous ne puissions voir les visages de ceux qui
étaient là.
Nous sommes restées ainsi tout le temps qu’ils mirent à
fouiller nos effets, si bien qu’à la fin rien n’était plus à sa place. Comme
nous étions au sol ils nous piétinèrent, nous insultèrent, le vacarme de cette
barbarie nous rendit muettes. Les planches qui nous servaient de lit étaient
retournées, les matelas éventrés. Après cet épisode tout n’était que
désolation, notre espace avait de nouveau été détruit et suspendu dans le
temps.
Ces opérations ne duraient pas longtemps mais pour nous qui
étions entre leurs griffes, elles nous paraissaient une éternité. Le maté
gisait éparpillé sur le sol, nos dessous exposés sur la voie publique... Et de
cette façon aussi notre propre intimité. Ils arrivaient pour nous terroriser et
nous déposséder de notre identité.
Des méthodes de contrôle
L’une des méthodes de contrôle était les fouilles comme ce
que j’ai décrit plus haut. Elles se faisaient par surprise et dans un climat de
peur, de jour comme de nuit, avec comme but de terroriser chaque fois plus et
de détruire l’espace que, à force d’imagination, nous avions réorganisé après
la fouille précédente. Contrôler et perturber le cycle du sommeil allait de
pair avec le déséquilibre émotionnel, qui était déjà assez fragile avec les
entrées par surprise, les transferts, les nouvelles de d’exécution par
fusillade de compagnons d’autres prisons et l’incertitude de ne rien savoir sur
nos vies. Vivrons- nous? Allons-nous mourir?
Ces questions s’entremêlaient
dans nos esprits déjà épuisés de tant avoir à supporter. Chacun de nos actes
était soumis à l’observation systématisée des propres services de renseignement
ou des gardiennes de service. Pour cela ils utilisaient le rapport quotidien à
chaque relève de quart, dans lequel ils consignaient non seulement notre
comportement mais aussi tout incident qui pouvait se produire du fait de notre
enfermement. Lors de cette période il y eut différentes tentatives de suicide
et de crises de nerfs comme produit de l’enfermement et de l’incertitude.
Nous ne recevions plus de lettres de nos familles ni aucune
nouvelle de l’extérieur qui eussent pu nous permettre d’avoir une idée de ce
qui allait advenir de nos vies. L’isolement était absolu et nous commençâmes à
sombrer dans le désespoir. Comme toute expression d’affection entre nous autres
était sanctionnée, nous devions supporter dans la solitude notre incertitude.
Ainsi s’accomplissait au pied de la lettre le projet d’extermination que le
Plan Condor avait programmé dans le Cône Sud.
Les cellules
Elles étaient minuscules, elles ressemblaient à des tombes
avec le murage des fenêtres. À notre arrivée elles avaient été murées, elles
n’avaient pas de toilettes, ni d’eau, ce qui les obligeait à sortir une fois
par jour pour laver les assiettes, ou pour aller aux toilettes pour y jeter nos
excréments.
Nous avions coutume d’appeler les gardiennes pour qu’elles
nous fassent sortir pour aller aux toilettes, mais comme celles-ci n’y allaient
pas nous finissions par faire nos besoins dans une boîte de Nestlé, ce qui
laissait une odeur nauséabonde dans les cellules; nous étions ainsi exposées
aux immondices et à n’importe quelle sorte de maladie, comme produit des
conditions d’hygiène.
Dora et Poti
À Villa Gorriti, comme la petite fille pleurait beaucoup, la
porte de la cellule de Dora restait ouverte « sur ordre du médecin » pour qu’on
puisse la promener dans le couloir.
Quelques jours après le coup d’État Marina Vilte leur chanta
un air très tendre ; la maman s’assura qu’il n’y avait aucune gardienne en vue,
et se rapprocha aussitôt de la cellule de la chanteuse et à travers la petite
fenêtre (de la porte) lui dit :
- Écris-moi çà.
- Que veux-tu que je t’écrive ?
- Ce que tu es en train de chanter.
- Comment veux-tu que je te l’écrive si je suis en train de
l’inventer ?
La syndicaliste avait écouté la chanson lors d’un « asado »
(sorte de barbecue argentin). Elle contait l’histoire d’un enfant conçu en
prison ; elle se souvenait un peu de la musique et improvisait les paroles. Une
strophe fut mémorable pour Dora: «J’ai une espérance / petite, toute petite /fruit
de l’amour / d’un jour de visite ».
Poti resta enfermée avec nous jusqu’à pratiquement ses dix
mois, jusqu’au jour de notre transfert à Villa Devoto. Lorsqu’ils la sortaient
à l’extérieur de la prison elle pleurait beaucoup, car elle n’était pas habituée
à voir des gens normaux. Lorsqu’elle revenait à la prison elle se calmait.
Le « mobilier » se composait d’un tabouret, quelques
planches faisaient office de grabat, et un matelas malodorant chargé de
l’histoire d’enfermements inhumains était notre endroit de repos. Un pichet et
une assiette d’aluminium avec une cuillère tordue constituaient notre couvert,
et puis la boîte de Nestlé.
Les sorties autorisées
Ils nous faisaient sortir individuellement, et seulement une
fois par jour, pour laver notre boîte de conserve et jeter nos excréments, et
de temps à autre prendre une douche. De même lorsqu’ils voulaient nous
interroger et évaluer notre état psychologique, ou lorsque nous demandions un
entretien pour savoir quel allait être notre sort.
Ils nous sortaient aussi de
nos cellules sur la demande de Monseigneur Medina, qui était chargé d’informer
les militaires du contenu de nos entretiens.
Pour supporter l’enfermement nous demandâmes à pouvoir
sortir chacune à notre tour pour nettoyer le couloir du pavillon. Ceci se
convertit en un rituel quotidien ; le sol était usé à force de tant frotter et
l’on pouvait s’y mirer de tant de propreté.
Une alimentation insuffisante
Pour annihiler toute résistance de notre part et nous
détruire physiquement l’affaiblissement de notre état physique était une
condition, et de ce fait ils pouvaient nous soumettre à de longues attentes
durant lesquelles le plus important pour nous était de savoir comment faire
passer les heures, jusqu’à l’arrivée des repas, qui étaient insuffisants,
pauvres en protéines comme en quantité.
Je veux mettre en évidence dans cette partie de mon
témoignage une expérience que mérite d’être retenue car elle reflète bien
l’attitude non seulement de solidarité mais aussi de la lutte pour la vie. Dorita,
pour être mère, avait une nourriture améliorer grâce à sa fille « Poti »
Martina.
Tous les jours, et par tour, nous était affectée une part de
sa calebasse, de son beefsteak, ou de son verre de lait, qu’ils soient de «
Poti » ou d’elle-même. Consciente de ce que notre état physique s’affaiblissait
chaque jour un peu plus, et que nous devions survivre, elle partageait ce qui
était destiné à lui donner plus de lait, étant donné qu’elle donnait le sein à
sa petite fille.
Elle ne partageait pas seulement sa nourriture mais aussi
certains de ses « privilèges ». Par le fait d’être mère, la porte de sa cellule
restait plus longtemps ouverte.
Dorita acceptait qu’ils l’enferment pour que nous puissions
sortir à promener « Poti » dans nos bras dans le couloir. Grâce à « Poti » et à
Dorita nous pûmes voir le jour plus qu’il n’était habituel. Elles ritualisèrent
notre espace-temps en donnant la possibilité de voir le ciel et de toucher le
soleil avec nos mains dans cet enfer.
La nourriture se composait comme suit :
Petit-déjeuner : maté avec du lait dilué dans de l’eau, peu
de sucre, pain dur et vieux et petite quantité.
Repas de midi : constitué à base de pommes de terre, pâtes
et quelques morceaux de viande qui nageaient dans le bouillon trouble de la soupe
ou du ragoût. La sensation de faim était constante et nous attendions avec
impatience l’heure du repas.
Le «quatre-heures» : un autre maté dilué, avec un simple
bout de pain.
Le souper : soupes ou ragoûts de jour en jour plus pauvres
et en quantités plus petites.
Lorsque venait la nuit nous nous ingénions pour converser au
travers des murs en langage Morse. Ou, moi, me racontant à moi-même des
histoires dans lesquelles je n’étais jamais le personnage principal.
C’était le moment d’établir le bilan de la journée, et il me
semblait que tout cela n’allait jamais se terminer. Les questions se
bousculaient inexorables dans mon esprit : Pourquoi suis-je en vie ?
Pourquoi sommes-nous vivantes ? Jusqu’à quand resterai-je ici ? Comme est lente
l’agonie...
Mars 1976, jour du coup d’état militaire
Le jour du coup d’état militaire nous nous réveillâmes avec
la marche militaire que les prisonniers sociaux nous faisaient écouter à la
radio, à travers leurs fenêtres. Il était cinq ou six heures du matin.
Immédiatement entra l’adjoint du responsable du pénitencier, Néstor Eusebio
Singh, et il dit à haute voix :
« Ici s’est terminé ce qui se préparait. Maintenant vous
allez savoir ce qui est bon. Les privilèges, C'est fini ! ». Ces mots laissèrent les femmes dans l’expectative
(Reynaldo CASTRO, 2004 : 72).
Peu de temps après nous entendîmes des bruits de grilles.
Par les ouvertures des portes nous vîmes qu’ils amenaient des compagnes. Parmi
elles, arrive Marina Vilte, de San Salvador, une syndicaliste des maîtres d’école
très engagée.
Tout au long de ma détention, à des heures déterminées elle
chantait des couplets qui s’entendaient dans tout le pavillon. Sara Murad
affirma que ces strophes « décidées » redonnaient courage et remplissait la
prison de joie : « Bien qu’étant derrière les barreaux, nous continuions à rire
» (Reynaldo CASTRO 2004 : 75). Arriva aussi Olga Demitrópulos de Ledesma, et
quelques personnes du gouvernement d’Isabel de Perón.
Quelques mois plus tard arriveront Dominga Álvarez, Alicia
Ranzoni, Juana Torres, et Eulogia Cordero de Garnica. Ces compagnes arrivèrent
après avoir été torturées, et malades, et elles étaient déjà passées par les
mains assassines de Braga, Jaig et d’autres témoins de ces atrocités qui
aujourd’hui restent impunis et n’ont pas encore parlé. Juana Torres nous
raconta que son frère était prisonnier.
Elles restèrent tout le temps isolées, dans des cellules
individuelles comme nous autres. Nous ne parvînmes pas tout de suite à
communiquer avec elles. Je ne sais pas dans quelles circonstances elles nous
racontèrent qu’ils les torturaient et qu’ils leur avait annoncé qu’elles
étaient condamnées à mort.
Nous avons en vain tenté d’alerter leurs familles que leurs
vies étaient en danger. La mise au secret était telle que nous n’y sommes pas
parvenu. À nous autres ils nous entassent par trois par cellule, du fait qu’ils
préparaient l’espace pour d’éventuelles détentions.
Ils venaient chercher ces compagnes systématiquement pour ce
que les bourreaux
appelaient « aller en commission » (salir
en comisión). Elles étaient amenées à des
centres de détention clandestins comme « Guerrero » ou au RIM 20. Il s’agit en
réalité d’interrogatoires sous la torture, physique comme psychologique.
Chaque fois qu’ils venaient les chercher elles sortaient en
silence, sans pleurs, sans aucune expression de peur. Elles assumèrent
totalement leur condition de combattantes face aux injustices, et non montré
aucune faille fasse à leurs assassins.
Lorsqu’elles revenaient des « commissions » elles portaient des marques
évidentes de tortures, hématomes sur tout le corps du fait des coups reçus.
Jamais elles ne se plaignirent.
Alicia Ranzoni avait le tympan crevé : Ils lui avaient
appliqué ce qu’en jargon militaire ils nommaient « le téléphone » ; il consistait
à frapper simultanément avec les paumes de la main les deux oreilles. Juana
Torres aussi apparaissait chaque jour plus faible, tout comme Dominga Álvarez.
Un jour ils vinrent les chercher toutes les trois, ils les
firent sortirent du pénitencier. Cette fois elles n’vaient pas les yeux bandés.
C’était le signe qu’ils allaient les faire disparaître. Ce jour-là les
compagnes pressentaient qu’elles ne reviendraient plus. Elles nous avaient dit
qu’elles se sentaient menacées de mort.
Ce jour-là nous les entendîmes pratiquement pas, et dans le
pavillon aussi on n’entendait aucun bruit. Je ne sais si ce fut par erreur ou
si cela avait été intentionnellement, Juana Torres se trouvait dans notre
cellule. Elle nous dit : cette nuit ils viennent aussi nous chercher. En voyant
son état de santé et le froid qu’il faisait, Gladis lui donna sa veste pour
qu’elle se protège du froid. Je suppose qu’elle pressentait ce qui allait se
passer, car elle ôta sa chaîne, elle nous la remit en disant : pour que vous la
remettiez à ma fille lorsqu’elle sera grande.
Mais je ne me souviens plus si Juana la donna à Gladis ou à
moi ; mais le jour que nous arrivâmes à la prison de Villa Devoto, à Buenos
Aires, Cette chaînette était à mon cou et les gardiennes me l’ôtèrent durant la
fouille. Le jour qu’ils m’expulsèrent du pays je la réclamai avec l’espoir de
la récupérer, mais ils me dirent qu’elle avait disparu et qu’ils ne l’avaient
plus (CHÁVEZ M, 2004 : 12).
Quand ils vinrent les chercher le silence était si pesant
que Jusqu’aux murs et aux grilles s’étaient tus comme en un ultime adieu. Bien
que ne les ayant pas connues depuis longtemps restent présents en ma mémoire
ces quelques instants partagés, leurs sourires et leurs regards fermes, et la
conviction qu’elles ne sont pas mortes en vain.
Nous pressentions aussi qu’en
ce moment se décidaient aussi nos vies. Cette nuit-là je n’ai pas pu dormir,
mais le jour suivant nous devions continuer comme si de rien n’était malgré la
tristesse qui se lisait sur nos visages. Nous ne les revîmes plus jamais.
Malgré tout nous nous afférâmes à réclamer de leurs
nouvelles. Toutes sortes d’hypothèses circulaient à l’intérieur de la prison au
sujet de leur disparition. Un jour ils nous disaient qu’ils les avaient
emmenées à Salta pour écouter leur déclaration dans un procès, d’autres fois à
Tucumán, et d’autres qu’ils les avaient retrouvées mortes lors d’un
affrontement armé.
Entre-temps Marina Vilte, que fut secrétaire générale du
syndicat enseignant (ADEP) et l’une des fondatrices de CTERA (syndicat qui
réunit les maîtres d’école au niveau national), avait été libérée. Ensuite nous
parvint la nouvelle qu’elle avait été séquestrée et qu’elle avait disparu.
Personne ne pouvait imaginer à quel point entre ces murs on soumettait, on
humiliait, on terrorisait...
Ces compagnes font aujourd’hui partie de la longue liste des
disparus et figurent dans le témoignage que je fis parvenir à Genève après ma
libération vers l’exil en France.
Le rôle de l’Église et sa complicité avec le Troisième
Corps de l’Armée de terre durant les années de la dictature
Le rôle de la hiérarchie catholique argentine, qui à Jujuy
était représentée par Monseigneur Medina, évêque de Jujuy, et ses subordonnés
qui se firent remarquer par ces actes, mérite d’être mentionné avec une particulière
attention. Il était au courant de toutes les décisions prises concernant la vie
des prisonniers politiques et de ceux qui par la suite on faisait disparaître.
Non seulement il appuya spirituellement les militaires par son attitude mais
aussi la répression, la détention illégale, les tortures et les disparitions
forcées.
Medina avait entrée libre au pénitencier de Villa Gorriti.
Il s’y rendait avec la claire intention de mener les interrogatoires pour nous
contraindre à nous confesser, et nous incitait à l’autodénonciation. Il
interrogea les compagnes qui avaient été torturées et qui ensuite
disparaissaient.
De par ses actions et depuis son investiture il défendit,
dans la prison, le plan avoué des militaires de nous isoler, de nous soumettre,
de nous rendre folles ou de nous tuer physiquement et psychologiquement. Sous
les ordres de Benjamín Menéndez, que commandait le Troisième Corps d’Armée, il
offrait ses rapports sur la conduite des prisonnières et prisonniers
politiques.
Un jour il vient me voir et me demanda si j’avais quelque
chose à confesser : « Confesse, ma fille, si tu n’as rien à te reprocher
confesse ». Cette complicité de la part de l’Église envers le projet
civico-militaire à Jujuy fut représentée par son plus haut responsable,
Monseigneur Medina, qui mourut sans avoir été jugé pour ces actes.
Transfert au pénitencier de Villa Devoto (Buenos Aires)
Un matin je me réveille en sursaut, j’entends des bruits de
bottes suivis de coups violents contre les portes: c’était un commando
militaire. Je commençai à écouter les cris de certaines compagnes, qui
parvenaient des premières cellules du pavillon ; ensuite des cris sur ma
droite. Je me souviens que je me suis levée immédiatement que je me suis vêtue,
mettant plusieurs vêtements les uns au-dessus des autres, au cas où.
Et aussi parce que le pire était de se retrouver nue face à
eux. Nous sentions qu’il se préparait quelque chose. Après ce que nous avions
vécu avec les compagnes disparues nous avions peur pour nos vies, et j’ai pensé
que c’était notre tour. Ils pénètrent dans les cellules par surprise,
violemment, et nous ordonnent de préparer nos affaires.
Ce fut le
moment durant lequel j’ai le plus pensé aux trois compagnes qui plus jamais
n’étaient revenues. Ils ouvrent la porte de ma cellule, me lient les mains avec
de grosses lanières très serrées, comme si nous eussions encore pu faire
quelque chose, avec tout ce que nous avions vécu.
Ils nous font immédiatement mettre en rang sans nous dire où
ils nous emmenaient. Par un instinct de survie je demande à une des gardiennes
si elle était au courant de ce qui allait nous arriver. Elle répond
négativement. Je me retourne et vois Dorita accrochée à son bébé « Poti ». En
pleurant je lui dis : S’ils nous tuent qu’adviendra-t-il de « Poti » ?
Et Dorita n’émet ni un son. Je vois qu’elle tente de parler
à quelqu’un qu’on lui dit quelque chose, je ne sais s’il s’agissait d’un
militaire ou d’une gardienne. Il m’a semblé qu’elle voulait donner sa fille
pour la protéger, avant qu’ils ne nous transfèrent. Nous étions convaincues, du
moins je l’étais, que cette fois nous n’en sortirions pas vivantes.
Comme toujours, ils avaient déployé un arsenal un arsenal
guerrier disproportionné pour cette opération, terrorisant non seulement les
prisonnières mais également à la population alentour. Ils avaient également
vidé de ses occupants l’aile du pavillon des prisonniers sociaux qui donnait de
notre côté, et qui occasionnellement nous servait de lien avec les prisonniers
politiques. Ils ne voulaient pas de témoins de ce qui se passait.
La gardienne avec qui nous avions de bons rapports n’était
pas là ce jour-là. Ils lui en avaient substitué une autre que correspondait
mieux à leurs projets. Ils nous font sortir et nous font monter en nous
poussant dans les camions de l’armée. Ils nous mettent deux par cage (calabozo). Nous étions très serrées. Je me retrouvai avec une
compagne qui était à demi décomposée et qui commença à vomir. Elle ne
contrôlait absolument plus rien et déféqua à mes côtés.
C’est ainsi que nous sortîmes pratiquement toutes. Nous
sûmes que les compagnons allaient aussi être transférés et qu’ils étaient dans
un autre camion. Durant le trajet nous tentâmes d’entrer en communication avec
un soldat pour qu’ils nous disent où ils nous emmenaient. Il ne répondit pas
immédiatement. Ensuite, mettant à profit le fait que ses chefs étaient
éloignés, il nous dit : « Vous allez à l’aéroport. Un des militaires nous
entend et nous crie : « Taisez-vous ou vous terminerez avec une balle dans la
tête ».
Mais la peur était plus forte et nous ne pouvions nous
taire. Rien n’était sûr mais je me suis raccrochée à cette éventualité. Au
court du trajet vers l’aéroport les fourgons militaires s’arrêtent, je ne sais
pour quelle raison, et dans ma tête défilent les images des compagnons courant
dans un lieu à découvert, et ensuite fusillés a bout portant.
Nous arrivons à l’aéroport. Ils nous font descendre et nous
hissent à bord de l’avion militaire. Jusqu’à cet instant je ne savais pas que
nous allions nous retrouver au pénitencier de Villa Devoto. Ce régime de
sécurité maximale et hautement militarisé serait interrompu le jour de notre
second transfert, cette fois à la prison de Villa Devoto.
Ce même jour, ils avaient séparés les compagnons qui
allaient vivre de ceux qui allaient disparaître ; et en décembre ceux qui
allaient sortir en liberté. Le jour du transfert à Buenos Aires ils emportent
le même jour les hommes à La Plata et les femmes à Villa Devoto.
Conclusion
Ce qui a été vécu dans le pénitencier de Villa Gorriti fit
partie d’un projet militaire qui avait pour objectif d’anéantir les prisonniers
politiques qui avaient survécu et faire disparaître les autres. Après le coup
d’état, tous les pouvoirs étaient sous commandement militaire. À Jujuy, le colonel
Carlos Néstor Bulacios était en charge du gouvernement.
Les tortionnaires et exécuteurs sont Jaig et Braga, et tous
ceux qui participèrent aux tortures dans le but de nous rendre fous, de nous
soumettre, et ainsi nous détruire, et qui eux Vivent tranquilles en quelque
lieu jouissant d’une totale impunité sans avoir été jugés et sans avoir répondu
de leurs crimes.
J’ai témoigné par écrit de tous ces faits à mon arrivée en
exil en France devant des organismes de défense des droits de l’homme français
et internationaux. Aujourd’hui je continue dans mon exil à expliquer ce qui
s’est passé durant cette période. Je présente ici une partie de ce travail,
pour semer le futur.
Le schéma ici établi nous montre qu’il s’est agi d’un
système politique raisonné et planifié.
(*) Complément d’information par le site El Correo :
18 octobre 2013 : Procès de la dictature argentine à
Jujuy
Ces jours ci se tient à Jujuy un second procès pour les
crimes contre l’humanité et violations des droits de l’homme commis dans cette
province pendant la dictature militaire-civile argentine. Il concerne les
victimes du centre de détention Villa Gorriti et porte sur les disparitions
notamment de Dominga Alvarez de Scurta et de Osvaldo Giribaldi, Jaime Lara
Torres, María Alicia del Valle Ranzoni, Juana Francisca Torres Cabrera, Pedro
Eduardo Torres Cabrera et Jorge Turk Llapur, tous détenus en 1976 , transférés
à la Villa Gorriti, et demeurant depuis disparus.
Parmi les accusés Carlos Ortiz, Ricardo Ortiz, Mario
Gutiérrez, Herminio Zárate et César Díaz qui faisaient partie des groupes de
répression agissant au sein de ce centre, ainsi que Antonio Vargas, ex officier
de l’armée et inspecteur du service pénitencier provincial, et l’ex général
Luciano Benjamín Menéndez, chef du 3 eme corps de l’armée, poursuivi dans de
nombreux procès en Argentine.
Martina Chávez –Joko- qui a été détenue à la Villa Gorriti
puis à la Villa Devoto entre 1975 et 1980- va témoigner durant ce procès le 31
octobre prochain.
Bibliographie :
CASTRO, Reynaldo (2004). Con vida los llevaron : Memorias
de madres y familiares de detenidos-desaparecidos de San Salvador de Jujuy. Buenos Aires : La Rosa Blindada,.
ZIGARÁN, María Inés (2004). “Juicio por la verdad, Reconstrucción
de la verdad histórica”. Nadie olvida nada : Revista de memorias, Año I Número 1, San Salvador de Jujuy, junio de
2004, pp.23.
CHÁVEZ, Martina (2004). “Memorias de una ex presa política”.
Nadie olvida nada : Revista de memorias,
Año I, Número 3, San Salvador de Jujuy, noviembre-diciembre de 2004, pp. 11-12.
PAREJO, Raphaël (1996). Du grand soir révolutionnaire à
l’exil, Parole et Mémoire de militants politiques argentins exilés. Mémoire de
Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales. Paris : Université Rennes 2 –
Collège Coopératif de Paris. Tome 2 : annexes B et C, p. 188.
CHÁVEZ, Martina (2002). Les racines du mûrier: Parcours
d’une famille d’origine amérindienne de la région de El Ramal (Jujuy,
Argentine). Mémoire du Diplôme d'Études Supérieures Spécialisées en Ethnologie
et Ethnométhodologie. Paris : Université Paris 7 – Denis Diderot, Département
d’Ethnologie.
Notes :
(1) Marina Vilte était une syndicaliste reconnue du syndicat
CETERA, elle fut libérée et quelques mois après ils la font disparaître.
(2) J’ai choisi cette formulation pour me référer à elles,
car je considère qu’elles sont le fruit des injustices sociales dans notre
pays. Prisonnière de droit commun me paraît péjoratif.
(3) María Inés Zigarán, Nadie olvida nada – Revista de
memorias, Año I, Número 1, San Salvador de
Jujuy, juin 2004.
(4) commandement des États-Unis.
(5) Témoignage d’une ex-prisonnière politique à la CONADEP.
Source : El Correo