Le trafic interne et transnational d’êtres humains : un sujet préoccupant pour les autorités guatémaltèques
Par Rhéa Kneifati (*)
Les faits : Dans la presse du 23 octobre 20131, on lisait qu’Alfredo Rueda Calvet, lié au réseau de trafic de personnes qui opérait dans la région de Suchitepéquez, s’était livré aux autorités le jour précédent. Il faisait effectivement l’objet d’une investigation pénale, étant accusé d’avoir eu des relations sexuelles rémunérées avec une mineure de treize ans à plusieurs occasions, payant des sommes entre 800 et 1300 Q (entre 100 et 165$ US, approximativement). Ceci porte à vingt le nombre de personnes qui seraient liées au réseau criminel, incluant César Barrientos Aguirre, fils d’un juge de la Cour suprême du Guatemala qui demeure en liberté conditionnelle2.
Au cours des quelques années précédentes, cinq réseaux criminels de trafic d’êtres humains ont été démantelés au Guatemala, expliquait le directeur de la police nationale civile3.
Selon José Villagran4, un expert de la traite de personnes de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), organisation intergouvernementale mandatée pour agir dans le domaine du trafic humain5, il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé. Outre le trafic transnational, il existe des réseaux internes de traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle ou de travail forcé.
Selon M. Villagran, la grande majorité des victimes sont des femmes autochtones; c’est-à-dire qu’elles font partie du groupe le plus vulnérable de la population guatémaltèque, dû entre autres à la pauvreté et aux bas niveaux d’éducation de ces populations.
L’expert explique que le recrutement des victimes se fait dans les régions rurales du pays, mais que l’exploitation a surtout lieu dans les grandes villes. Outre les groupes organisés, il existe également une multitude de petits réseaux informels, plus difficiles à détecter.
Mis à part les réseaux de prostitution de rue, certains groupes opèrent dans des maisons closes ou à travers l’internet. Loin des regards, ils attirent moins souvent l’attention des autorités. Il y a aussi les travailleuses domestiques, souvent exploitées par leurs contremaîtres. Certaines d’entre elles gagnent en deçà du salaire minimum; elles travaillent et vivent dans des conditions inhumaines.
Les femmes ne sont pas les seules victimes de trafic; beaucoup d’enfants sont également exploités, parfois même par leurs propres parents qui les vendent ou les louent à des malfaiteurs ou à des réseaux criminels. Ils mendient dans les rues, vendent des bonbons ou lavent des voitures. Lorsqu’ils ne rapportent pas assez d’argent à leur patron, ils se font battre ou autrement maltraiter.
Ces cas à « faible impact » passent souvent inaperçus; les autorités donnant la priorité aux réseaux organisés possédant d’importantes ressources.
Quant au trafic transnational, des réseaux criminels bien organisés y sont souvent impliqués. Des femmes, essentiellement en provenance de la Colombie, du Salvador, du Honduras ou du Nicaragua sont amenées au Guatemala à des fins d’exploitation sexuelle.
En général, les victimes savent qu’elles devront se prêter à des actes de nature sexuelle, mais elles sont aussi souvent enfermées, on leur interdit toute communication avec leurs familles ou connaissances, on ne les paie pas les montants qu’on leur avait promis et elles sont parfois maltraitées physiquement.
Des femmes guatémaltèques sont aussi transférées au-delà des frontières pour devenir travailleuses domestiques; comme ce fut le cas en 2011, lorsqu’onze jeunes femmes victimes d’exploitation en Jordanie ont été rapatriées au Guatemala.
Elles avaient répondu à une annonce dans le journal d’une compagnie qui cherchait des travailleuses domestiques et des gardiennes d’enfants, leur offrant un salaire très intéressant.
Une fois arrivées en Jordanie, elles ont été vendues à des particuliers et soumises à des mauvais traitements. Elles ont raconté qu’elles travaillaient de cinq heures du matin à onze heures du soir, sans manger. Elles étaient privées de leur liberté et certaines étaient sexuellement exploitées. Quatre personnes ont été capturées en relation avec ces incidents : deux Guatémaltèques et deux Jordaniens6.
Selon le rapport annuel du Département d’État américain sur la traite des personnes7, un nombre important d’hommes, de femmes et d’enfants guatémaltèques sont soumis au travail forcé au Mexique et aux États-Unis, surtout dans le domaine de l’agriculture.
Des enfants sont obligés de mendier, de travailler dans la rue ou dans les décharges municipales à la frontière mexicaine. Lorsqu’elles sont identifiées par les autorités, dans la plupart des cas, ces personnes ne sont pas reconnues comme des victimes de trafic, mais plutôt comme des immigrants illégaux. Elles sont alors expulsées et ne bénéficient pas de l’aide nécessaire une fois rentrées au pays.
Selon l’expert interviewé, la traite transnationale de personnes est difficilement détectée par les autorités.
La loi
L’article 202 du Code pénal guatémaltèque, modifié par la Loi contre la violence sexuelle, l’exploitation et la traite de personnes (2009)8, définit la traite de personnes comme étant le recrutement, le transport, le transfert, la rétention, l'hébergement ou l'accueil d'une ou plusieurs personnes à des fins d'exploitation.
Le délit est sanctionné par huit à dix-huit années de prison et une amende de 300 000 à 500 000 Q (Environ 38 000 à 63 000$ US). Le consentement de la victime ou de son représentant légal ne sont aucunement pris en compte.
On entend par exploitation « la prostitution d’autrui, n’importe quelle autre forme d’exploitation sexuelle, le travail forcé ou les services forcés, n’importe quelle autre forme d’exploitation par le travail, la mendicité, n’importe quelle autre forme d’esclavage, la servitude, la vente de personnes, l’extraction et le trafic d’organes ou de tissus humains, le recrutement de personnes mineures par des groupes délinquants organisés, l’adoption irrégulière, les processus irréguliers d’adoption, la pornographie, la grossesse forcée ou le mariage forcé ou servile »9.
La Loi crée un secrétariat contre la violence sexuelle, l’exploitation et la traite de personnes10, une unité spécialisée, en charge de faire appliquer la loi. Il existe également une unité des poursuites pénales, ainsi qu’une unité de la police nationale civile spécialisées dans ce domaine. Des refuges ont également été créés par le gouvernement pour se dédier à la protection des victimes.
Depuis 2009, une plateforme institutionnelle a donc été mise en place par les autorités. Des avancées importantes ont été réalisées depuis lors. L’OIM intervient présentement dans une quinzaine de cas devant les tribunaux guatémaltèques. Selon José Villagran, une volonté politique de s’attaquer au problème existe bel et bien. Par contre, les juges ne sont pas encore sensibilisés à ce phénomène.
Le ministère public fait souvent face à des difficultés pour faire admettre la preuve par la magistrature. « La victime n’est pas vue comme une victime ; elle représente une preuve devant le tribunal. Si la victime ne collabore pas à l’avancement de la procédure pénale, il n’y a pas de jugement et les criminels ne sont pas punis », explique M. Villagran.
Le Département d’État américain, dans son rapport annuel sur la traite des personnes (2012), indique que le Guatemala manque de ressources humaines et financières pour s’attaquer à cette problématique. Il rapporte par ailleurs que les cas sanctionnés l’ont été dans le cadre de recours initiés par des ONGs et non le résultat d’investigations proactives réalisées par la police nationale, et déplore le manque de formation des autorités quant à ces délits.11 De plus, l’expert interviewé déplore le manque de moyens de prévention mis en place par l’État.
Malgré les efforts réalisés au cours des dernières années, le Guatemala fait encore face à des défis importants en ce qui a trait au trafic d’êtres humains. En effet, les autorités policière et judiciaire devront allouer plus de ressources pour renforcer les systèmes en place et former les officiers afin de pouvoir mieux identifier les victimes de trafic et leur accorder le soutien et l’aide nécessaires.
Notes :
(*) Rhéa Kneifati est avocate membre du Barreau du Québec depuis 2008. Elle agit présentement comme conseillère juridique volontaire au Centro para la Acción Legal en Derechos Humanos (CALDH) au Guatemala
1. Emisoras Unidas, “Se entrega otro implicado en red de trata de personas de Suchitepéquez", 23 octobre 2013, disponible en espagnol sur: Cliquez ici !
2. Emisoras Unidas, “Red de trata : César Barrientos quedará libre bajo fianza”, 2 septembre 2013, disponible sur : Cliquez ici ! Prensa Libre, “Caso de trata: César Barrientos paga fianza para salir de prisión”, 3 septembre 2013, disponible sur: Cliquez ici !
3. Publinews, 23 octobre 2013
4. Coordinateur anti-trafic, dans un entretien réalisé avec l’auteure le 22 octobre 2013 dans les locaux du Centro para la Acción Legal en Derechos Humanos à Guatemala City
5. Site web de l’OIM : Cliquez ici !
6. Noticias de Guatemala, “Desarticulan banda de trata de personas que ofrecía trabajo en Jordania”, disponible sur: Cliquez ici !
7. Ambassade des États-Unis au Guatemala, “Informe anual sobre trata de personas 2012”, disponible sur: Cliquez ici !
8. Decreto 9-2009 del Congreso, Ley contra la violencia sexual, explotación y trata de personas
9. Article 202 du Code pénal, disponible en espagnol à l’adresse suivante: Cliquez ici !
10. Secretaría contra la violencia sexual, explotación y trata de personas
11. Ambassade des États-Unis au Guatemala, “Informe anual sobre trata de personas 2012”, disponible sur: Cliquez ici !
Source : Avocats Sans Frontières (Canada)