jeudi 3 octobre 2013

Mexique, un record alarmant : plus de 100.000 enlèvements !

L’enlèvement et le rançonnage, un des fléaux de l’Amérique latine, au Mexique plus de 100.000 personnes enlevées en 2012

Par Libres Amériques

Mexique, premier pays au monde pour les enlèvements : plus de 100.000 personnes enlevées en 2012, même si ce chiffre est une estimation, depuis au moins 2004, le Mexique est le pays où les séquestrations à caractère criminel sont les plus nombreuses au monde. Dans le cadre de ce palmarès quelque peu sordide, l’Amérique latine et les Caraïbes détiennent pour triste résultat, d’être la partie du monde la plus touchée par les rapts et rançonnages de personnes civiles à des fins criminelles ou « politiques ». Et les six premiers états touchés par ce fléau par ordre d’importance et en relation avec leur nombre d’habitants sont : le Mexique, l’Equateur, le Brésil, Haïti, le Venezuela et Trinité et Tobago, selon la Fondation « Pais Libre » (1).

Pour la période de 2006 à 2009, les enlèvements en Amérique latine et la Caraïbe représentaient 70% des rapts, ou "prises d'otages" criminelles et politiques recensés dans le monde.

Le seul pays où l’on peut constater un changement notable est la Colombie, qui a vu le nombre des enlèvements être divisés par 10 en 10 ans, sachant qu’une partie des rançonnés se trouvait (pour environ un 1/3) aux mains des guérillas, comme l’ELN et les FARC, (Cette dernière s’est engagée publiquement à ne plus pratiquer d’enlèvements depuis environ deux ans).

La situation du Mexique dépasse un peu l’entendement et plus largement ce mode criminalité n’est pas en Amérique latine vraiment une nouveauté, et peut recouper différentes réalités, mais qui ont pour trait commun d’être un acte de banditisme. Le surprenant, c’est l’échelle, c’est-à-dire, l’ampleur, car il ne s’agit pas d’un phénomène marginal, mais correspondant à une tendance qui se confirme et s’amplifie de manière préoccupante d’année en année. La sécurité publique au Mexique tout comme au Brésil est aussi confronté à ces actes délictueux, et les deux pays émergents et phares des pays latino-américains ne sont pas des exemples à citer pour leurs résultats en ce domaine.

En un an, le Mexique est passé de plus de 240 délits pour 1000 habitants à un peu plus de 270 en 2012, et les séquestrations sont incluses dans ces données et suivent cette voie montante, mais c’est la première fois que des chercheurs font état de ces estimations au sujet des enlèvements (1).

Le chiffre concernant la capitale grimpe à plus de 300 à plus de 400 délits pour 1000 habitants. Et les trois principales inquiétudes des Mexicains sont en premier la sécurité publique (57%), deux l’emploi (46,5%) et en troisième la misère (33%), selon l’institut mexicain INEGI et son enquête de perception de la criminalité auprès d’un public âgé de plus de 18 ans. 

Perception sur la sécurité publique au Mexique et problèmes sociaux et économiques concernant les Mexicains en pourcentage (en 2012 et 2013)  : 

Toute la question est de savoir ce qui peut entraîner cette entreprise criminelle du rapt à une si grande échelle ?

Que les migrants soient une proie facile ne fait aucun doute, le plus souvent le faisant clandestinement et avec un petit pécule, ils tombent facilement dans les filets de la petite criminalité ou sous le coup de la corruption policière. Mais cela ne suffit pas expliquer l’ampleur, mais aussi la faiblesse du recensement de ce type de crime, faute de dépôt de plainte de la part des victimes.

Si l’on s’en tient aux statistiques ou plus exactement aux plaintes déposées auprès de la police mexicaine en 2013, il fait état de 1.300 enlèvements, soit près de 100 fois moins que les estimations de plusieurs organismes du même état mexicain. Notamment l’INEGI (l’Institut National de la statistique et de géographie).

« Pour cent 100 séquestres si 10 sont dénoncés, ce serait quelque chose de merveilleux, parce qu’il est en dénoncé encore moins. Dans les enquêtes sur la criminalité qui ont été développées, un des délits les moins dénoncés est précisément l’enlèvement », avait déclaré en octobre 2012, Monsieur René Jiménez Ornelas, spécialiste en sécurité publique à l’Université Nationale Autonome de Mexico.

Selon l’Institut National des statistiques (INEGI), ce délit concernerait 105.682 personnes qui auraient été enlevées en 2012, quand par ailleurs seulement 1300 plaintes ont été recueillies pour la même année par la police. Sachant qu’environ 10 à 20% de ces rapts concerneraient des migrants. Mais d’où proviennent dans leur immense majorité ces actes criminels ? ou révélateur de quoi est toute la question ?

Les populations migrantes sont la cible de ce type de criminalité, comme l’a dénoncé le Centre National des Droits Humains en faisant part de plus de 11.000 cas d’enlèvements en 2011. Rien que pour la ville de Mexico, la capitale, il s’agirait de 45 personnes par jour qui seraient enlevés dans son district fédéral (soit environ 16.000 par an). Difficile de ne pas faire état d’une mécanique criminelle de telle ampleur, tournant au Mexique à une entreprise commerciale à grande échelle, et l’on devine le poids des entreprises criminelles du pays et la place prise par les cartels mexicains de la drogue ces dernières années.

Et il n’y aurait pas de surprise à voir cette vieille pratique mafieuse s’associer à ce fléau : le rapt, en raison le plus généralement du non-paiement d’une dîme exigée par tel ou tel groupe délictueux. Mais difficile d’en mesurer l’impact réel ou en connaître son pourcentage et ainsi mieux identifié le problème. Et qui dit trafic de drogue, dit aussi des groupes paramilitaires, par essence incontrôlables et surtout facteur de meurtres dans la population civile (comme au Chiapas par exemple) et de disparitions forcées  (4007 en 2012).

Il faut aussi signaler, que les victimes d’un enlèvement n’en ressortent jamais vraiment indemnes, et si elles en ressortent vivantes et cela ne peut qu’avoir des incidences psychologiques fortes au sein des familles mexicaines. Et à commencer, les raisons de ce silence, cette « omerta » qui s’impose il semblerait dans toute la société ?

Taux de victimes pour 100.000 habitants pour la population de 18 ans et plus et par entité fédérale (liste par état du Mexique) :
 
Des changements en Colombie et l'enlisement du Mexique dans "la guerre à la drogue" ?

La Colombie détenait une position forte en matière d’enlèvement, cette nation a vu quant à elle son nombre diminué de manière significative, passant de plus de 3.000 victimes par an au début des années 2000 à environ 300 pour l’année 2012, selon la fondation colombienne « Pais Libre ».

Cette division par dix du nombre des séquestrés est en soit une bonne nouvelle, mais pour autant l’acte criminel perdure et il reste toutefois à un niveau non négligeable, mais sans rapport avec ce qui était pratiqué. Et l’acte est probablement plus à relier à une petite criminalité s’attaquant à des familles « aisées » et à des opérations des guérillas en raison des affrontements et captures effectuées de militaires (ELN et FARC), qu’à des opérations de quadrillage de la mafia, comme il semblerait plus probable dans certaines régions du Mexique.

Mais le contexte des drogues et l’histoire qu’a pu connaître la Colombie (et connaît toujours) en matière de trafic de drogues, font que l’influence de cartels puissants trouve-là un objet de comparaison dans l’explosion des crimes ou délits à caractère criminel au Mexique pendant la décennie 2000. Comme la Colombie et le Venezuela l’ont connu à la fin des années 1970. 

De même que l’aide financière des Etats-Unis aux armées nationales, qui devait aider à combattre les trafics illicites, n’a fait que participer à un enlisement de la situation globale et aucun signe objectif de la guerre à la drogue par le première puissance mondiale n’a donné lieu, ni à une amélioration des situations locales, ni à un début de résultat satisfaisant et dans le cas de l’Afghanistan, sauf à connaître un retour massif de l’héroïne sur le marché mondial.

Le nombre des homicides reste à un niveau impressionnant 26.000 victimes en 2012 et il a été estimé par des organismes des droits humains pour ces dernières années, de 60 à 70.000 homicides perpétrés contres des civils et seulement en rapport avec le trafic de drogue. La « guerre à la drogue » qui est menée par l’Etat Mexicain aux multiples ramifications criminelles du trafic illicite des bandes mafieuses en présence, ou appelés plus communément cartels X ou Y est aussi à associer aux opérations effectuées par la police ou l’armée, quand ces dernières peuvent être aussi parties prenantes. 

Perception sur l'effectivité du travail réalisé par les autorités chargées de la sécurité publique ou nationale (police, armée et justice)  au Mexique (en pourcentage) :

Sur la question de « l’omerta », le rôle des polices mexicaines pose de sérieuses questions, notamment sur sa capacité à accueillir les plaintes des victimes, si finalement une toute petite minorité saisie la police, c’est qu’il existe manifestement des pressions exercées pour que les victimes et leurs familles se taisent. Et comme un fléau, à plutôt tendance à en cacher un autre, la ou les polices du Mexique sont aussi l’objet d’une corruption importante, du moins la perception des Mexicains à ce sujet ne peut induire en erreur et la police de la circulation, celle s’occupant du contrôle des routes mais aussi les polices municipales ou privées laissent plus qu’à désirer.

Dernier point pour marquer ce phénomène grandissant, il a été voté une loi générale de protection des victimes du délit de séquestre, car en matière juridique, le Mexique se trouvait face à un vide légal, ce qui n’a pu que favoriser ce type de délit criminel. 

L’on devine qu’avant d’inverser la courbe des enlèvements, il faudra lutter beaucoup plus fermement contre la corruption et que le gouvernement s’interroge sur certains corps de police hautement corruptible.

Niveau de perception de la corruption des polices, de l'armée et de la justice au Mexique (en pourcentage) : 

Notes :

Lire le rapport de l'INEGI en espagnol en PDF  :