samedi 12 octobre 2013

Brésil, Internet et libertés publiques dans le "Cadre Civil Global"

Le Cadre Civil brésilien
de gouvernance d'internet, 
transposable au reste du monde ?


Par Sara Moreira - Traduction de Emmanuelle Leroy Cerqueira  

La dernière intervention de la Présidente Dilma Rousseff aux Nations Unies (en video), qui a durement critiqué le programme d'espionnage américain, a proposé l'élaboration d'une politique numérique de pointe. Son intervention a été très applaudie par les organisations internationales qui luttent pour les droits numériques des citoyens. 

Mais au milieu de cette euphorie, il y a aussi les sceptiques et les critiques. Dans son  discours, prononcé lors de la 68e Assemblée Générale de l'ONU le 24 septembre 2013, Dilma Roussef a proposé “la mise en oeuvre d'un cadre civil multilatéral pour la gouvernance et l'usage d'internet et de moyens qui garantissent la protection effective des données”, selon cinq principes essentiels : 
  • Liberté d'expression, protection de la vie privée et respect des droits de l'homme ; gouvernance démocratique, multilatérale et ouverte ; 
  • universalité qui garantit le développement social et humain et la construction de sociétés inclusives et non discriminantes ; 
  • diversité culturelle, sans imposition de croyances, de coutumes ou de valeurs ; 
  • neutralité des réseaux, en respectant uniquement des critères techniques 
  • et éthiques, qui rendent inadmissibles les restrictions d'accès pour motifs politiques, commerciaux ou religieux.
Plus de 170 personnes et organisations de la société civile ont déjà signé une lettre ouverte [anglais] dans laquelle ils remercient “profondément l'engagement solennel de [Dilma Roussef] pour la justice et le développement social, dont un Internet libre, stable et digne de confiance est un pilier fondamental”.

La lettre met en avant le “courage” du discours et l'importance de l'adoption de la charte des droits des utilisateurs d'internet en débat au Brésil, le Marco civil [Cadre Civil] et souligne :

[Nous renforçons] notre soutien à une extension à de sphères plus larges de la gouvernance d'Internet de l'expérience du modèle participatif brésilien de gouvernance, coordonné par CGI. [Comité de Gestion d'Internet au Brésil]

Intervention de Dilma Rousseff à L'ONU : 



 
Brève chronologie du Marco Civil :

Le projet de loi qui a été initié il y a exactement quatre ans “vise à consolider les droits, les devoirs et les principes pour l'utilisation et le développement d'internet au Brésil”. 

Le Cadre Civil est en attente depuis le 11 septembre 2013 en procédure d'urgence de la Chambre des Députés, et devrait être soumis au vote fin octobre.

En août 2012, Global Voices Advocacy a publié un article qui remet les enjeux du projet de loi dans leur contexte et explique le processus d'élaboration. L'initiative, introduite dans le cadre du droit civil, n'a cessé de diviser l'opinion au Brésil, mais est considérée comme  pionnière pour son approche et pour le processus participatif qu'elle a déclenché, “un exemple admiré dans le monde entier de construction d'une Charte des Principes”.

Pour se faire une idée de la façon largement collaborative, démocratique et transparente de la façon dont le pré-projet de Cadre Civil a été élaboré, il est important de souligner qu'il a fait l'objet d'une consultation publique entre fin 2009 et mi-2010. 

Durant cette période, lors de laquelle il a été ouvert au débat public avec la possibilité pour tout utilisateur d'internet d'y participer, le texte a reçu plus de deux mille contributions directes, venant de divers secteurs de la société (ONG, gouvernement, universités, entre autres). 


Grâce à ce grand débat avec la société civile, le texte du Cadre Civil est arrivé au Congrès comme un texte mûr, en plus d'être techniquement solide, d'après le spécialiste Ronaldo Lemos dans un entretien au site A Rede. 

Mutilé ou amélioré ?


34 propositions d'amendement ont été annexées au texte actuellement en instance d'examen en séance plénière. Une personnalité importante de la démocratisation des moyens de communication au Brésil, Carlos “C.A.” Afonso, considère les amendements comme une ”mutilation” au texte collaboratif de 2012.

Selon Bruno Marinoni, qui écrit pour l'Observatoire du Droit à la Communication :


Image de l'intervention urbaine de "Marco Civil Já" dénonçant les liens entre le Ministre des Télécommunications Paulo Bernardo et les grandes entreprises fournisseurs de services internet. 

Les polémiques se concentrent [maintenant] sur les questions relatives au maintien du principe de “neutralité des réseaux”, au stockage des registres d'accès par les fournisseurs et à la façon de gérer les droits d'auteur.

Sur le premier point, tandis que certains soutiennent qu'il est nécessaire de distinguer la transmission de paquets de données des propositions d'amendement qui assouplissent la neutralité du réseau, d'autre dénoncent les actions du gouvernement “en faveur des intérêts des grands conglomérats de télécommunications” comme le rapportent Renato Rovai et Sérgio Amadeu dans Revista Fórum.

L'activiste João Carlos Caribe, une personnalité du domaine des politiques numériques au Brésil, a tweeté: "Une chose est sûre: en 2014 je ne vote pas pour un politicien dont la campagne est financée par Teles! Fais de même en réponse à ces connivences".

Neutralité des réseaux : la garantie de la libre circulation des transferts sur internet, sans interférence ou altération de la part des fournisseurs de services d'internet. Projet documentaire collaboratif de la campagne freenetfilm.org (@freenetfilm), dirigé par Naor Elimelech et Gabriel Ranzani et coordonné par Joana Varón.


La Toile a-t-elle un territoire ?

L'intention de stocker- de façon obligatoire ou permissive – les registres d'accès des utilisateurs par les fournisseurs de service internet préoccupent également ceux qui suivent le #MarcoCivil.

Et cette crainte s'est amplifiée avec une proposition d'amendement, soutenue par Dilma Roussef, qui définit que le stockage des données sur les Brésiliens au sein des entreprises comme Google et Facebook soit fait physiquement sur le territoire national. 

La proposition vient “dans la chaleur du scandale d'espionnage général conduit par l'Agence Nationale de Sécurité des Etats-Unis (NSA)” avec la promesse de Dilma Roussef que le Brésil “redouble d'efforts pour se doter de législation, technologies et mécanismes qui nous protègent de l'interception illégale des communications et des données”.

Mega Sim, un mouvement qui dit vouloir “définir un agenda positif de la politique culturelle du Brésil” a réagi : Ecoutez: stocker les données dans le pays est le rêve d'internet en Chine, en Iran et autres totalitarismes, mais c'est IMPOSSIBLE.

 Emma Llansó, du Centre pour la Technologie et la Démocratie, a écrit : Ces types de demandes de localisation des données peuvent fonctionner comme barrière à la liberté de flux de l'information en ligne, et ne maintiendraient pas forcément les données des Brésiliens loin des mains de la NSA (Agence Nationale de Sécurité)
 
En préparation

Une action contre la censure sur internet a été organisée à travers la page Facebook de Marco Civil Já pour le 16 octobre, devant le siège de l'opérateur Vivo-Telefónica à São Paulo. Ce même groupe, responsable du site : marcocivil.org.br, a lancé un manifeste de défense des trois principes fondamentaux prévus dans les versions antérieures du document : neutralité des réseaux, respect de la vie privée et liberté d'expression.

Tout porte à croire que le vote sur le Cadre Civil aura lieu dans quelques semaines, pendant qu'un “Cadre Civil International” est en préparation. 

La présidente a annoncé sur Twitter qu'après l'approbation du Congrès, elle présentera le texte à l'ONU, selon Murilo Roncolato  dans le blog Estadão :
 

Sur Twitter, la présidente Dilma Rousseff a affirmé avoir envoyé un “nouveau” Cadre Civil au Congrès, sans détailler si la nouveauté se réfère à un nouveau texte ou aux amendements à la proposition déposée au Congrès en urgence. Dilma a annoncé que le projet sera voté dans les “prochaines semaines” et a garanti qu'elle enverrait le document à l'ONU, faisant des grandes lignes directrices une liste officielle de principes de l'organisme international.

 
Projections du collectif Marco Civil Já 
sur le mur du Museu de Arte de São Paulo (MASP) 
en faveur d'un Internet Livre (libre) et du Marco Civil



 
Source d'origine : Global Voices