Entretien avec Daniel Sayagués, défenseur de l’Office des mineurs, conduit par Eduardo Barrenche
Le défenseur de l’Office des mineurs considère que l’INAU
[Instituto del Niño y Adolescente del Uruguay - Institut de l'Enfant et
de l'Adolescent] n’est pas à même de gérer l’augmentation des
internements qui sera entraînée par la loi qui établit des peines
minimales d’une année pour des adolescents commettant des crimes jugés
graves. Il a déclaré que l’INAU devait
faire appel au système de semi-liberté pour faire baisser la
surpopulation dans les foyers. Il a ajouté que les travaux en vue de
créer de nouveaux foyers «ont pris du retard».
Voire «n’ont jamais commencé»
et que par conséquent l’entassement que connaissent déjà les centres de
Colonia Berro et de Montevideo allait perdurer, cela après 8 années de
gouvernement dit progressiste du Frente Amplio, de Tabaré Vasquez (éiu
en 2005), puis de Pepe Mujica (élu en 2009).
Il y a quelques jours, vous avez visité le Foyer SER de la Colonia Berro. Qu’avez-vous constaté là-bas?
J’ai pu observer les conditions dans lesquelles sont logés les
adolescents. Dans certains centres elles sont très mauvaises, dans
d’autres elles sont juste mauvaises. Mais de manière générale il n’y a
pas de conditions dignes. Si je devais faire une évaluation, je dirais
que 80% des jeunes purgeant une peine de privation de liberté dans
l’INAU vivent dans des conditions qui ne sont pas dignes. Un petit 20%
vit dans des conditions acceptables, mais rien de merveilleux.
Des organisations sociales remettent en question les défenseurs de
l’Office des mineurs parce que ceux-ci ne font pas recours contre les
conditions d’hébergement des jeunes qu’ils défendent. Quel est votre
avis sur la question?
Les avocats de la défense ne peuvent faire que le système fonctionne
mieux. Ce n’est pas notre fonction. Les conditions de surpopulation dans
les foyers ne sont pas nouvelles. Tout le pays est au courant de cette
situation. Cela ne sert à rien de les dénoncer puisque l’institution
elle-même reconnaît le problème (sic). C’est la raison pour laquelle de
nouveaux lieux d’hébergement sont en construction.
La Justice de Pando (ville du département de Canelones) enquête
sur une dénonciation de l’Institut des Droits humains concernant le
soupçon de mauvais traitements dans la Colonia Berro. Que savez-vous à
ce sujet?
Il y a eu des dénonciations de la part de l’Organisation mondiale
contre la torture et des droits humains d’Uruguay. C’est au SIRPA
[Sistema de responsabilidad Penal Adolescente] de prendre les mesures
qui s’imposent. Lorsque les défenseurs reçoivent des dénonciations
concernant de mauvais traitements nous le faisons aussi. C’est ce que
j’ai moi-même fait.
Actuellement dans les foyers de Berro et de Montevideo il y a 618
mineurs. En mars de cette année vous avez prédit que le système allait
s’effondrer à la fin 2013 à cause de la loi qui a durci les peines des
mineurs. Pensez-vous que cette prédiction se réalisera?
Il y a déjà eu une augmentation constante et explosive de la
population internée dans l’INAU. Nous avons passé d’une moyenne de 300
lors de l’administration précédente à quelque 500 à la fin 2012, alors
que cette loi n’était pas encore appliquée. Cette augmentation
s’explique par le fait qu’on n’a pas laissé filer 200 internés.
On laissait ces 200 mineurs quitter les foyers?
Oui, on les laissait sortir. Lorsqu’on faisait entrer trois nouveaux
pensionnaires, on laissait partir trois autres. C’est ainsi que
fonctionnait le système.
Qu’est-ce qui s’est passé?
On a fermé la porte des foyers. Sans qu’il y ait de modification
législative ni de changement de juges, ni de la situation
socio-économique, cela a entraîné une augmentation de la population de
300 à 500 internes. Ce sont là les chiffres officiels pour la fin 2012. A
partir du 1er février 2013, est entrée en vigueur la nouvelle norme qui
fixe les peines minimales d’internement à 12 mois pour certains délits –
fondamentalement des rapines – commis par des adolescents ayant entre
15 et 17 ans.
Qu’est ce qui a changé au cours de ces derniers sept mois?
Nous avons passé des 500 internes à la fin de l’année passée à près
de 700. L’augmentation des internés va être constante et se poursuivra
jusqu’au 1er février 2014, lorsque commenceront à être libérés ceux qui
ont été internés l’année précédente. Il est probable que nous arriverons
à ce moment-là à un plateau. Jusqu’à quand est-ce que cela continuera?
J’estime – et c’est une estimation prudente – que nous atteindrons le
nombre de 800 mineurs ayant enfreint la loi.
L’INAU peut-il absorber un tel nombre d’internés?
Bien sûr que non. L’INAU ne peut les absorber dignement avec le
nombre de places dont il dispose. On a bricolé quelques modules dans le
foyer SER, mais cela ne suffit pas pour faire face à cette augmentation
de la population. On a construit certains ouvrages et on en a planifié
d’autres, d’autres chantiers connaissent de gros retards et d’autres
encore n’ont même pas été commencés. Ce qui est en construction est le
centre du Général Flores, qui aura une capacité de 120 places. Mais avec
les chiffres que j’ai mentionnés cela ne suffirait même pas à absorber
la croissance qu’il y a eu depuis de 1er février. Les conditions de
surpopulation vont continuer.
Quelle réponse le système peut-il donner à cette surpopulation?
Le seul centre de semi-liberté du système est celui de Cimarrones. Ce
centre est prévu pour héberger 12 personnes, et il en héberge 28. Les
jeunes y dorment parterre.
Que se passera-t-il si ce centre doit accueillir encore davantage de mineurs?
Si on continue à placer des internés à Cimarrones, on va détruire un
projet qui fonctionne bien. La surpopulation entraîne des problèmes. On
devra apporter rapidement une réponse en louant des maisons
communautaires en bon état. En un mois on peut organiser ces lieux pour
pouvoir héberger des dizaines de personnes en semi-liberté. Ainsi, à peu
de frais et en peu de temps on pourrait diminuer le nombre
d’adolescents dans le système de privation de liberté en transférant des
jeunes au régime de semi-liberté. Tout en continuant à respecter la
loi.
Source : Traduction de A l’Encontre,
article publié dans El Pais de Montevideo