Par Philippe Jean Thomas, président du GARR et des associations haïtiennes
A la suite d’un sit-in, organisé le jeudi 3 octobre 2013, devant
l’ambassade de la République Dominicaine à Pétionville (à l’est de la
capitale), une lettre d’indignation a été remise à l’intention du
gouvernement de Mr Danilo Medina, à M. Ruben Silié Valdez, Ambassadeur de la République Dominicaine en Haïti, concernant l'expression de notre indignation par rapport à la décision de la Cour Constitutionnelle dominicaine.
Monsieur l’Ambassadeur, Monsieur Ruben Silié Valdez
Par la présente, nous, organisations de la société civile haïtienne,
signataires de cette lettre, tenons à vous exprimer notre profonde
tristesse et indignation face à la décision de la Cour Constitutionnelle
dominicaine de déchoir des milliers de personnes de la nationalité
dominicaine, sous le fallacieux prétexte que, lors de leur naissance,
leurs parents ou leurs grands parents auraient été en situation
irrégulière en République Dominicaine.
Considérant l’histoire de la migration haïtienne dans votre pays et
le discours anti-haïtien, maintenu en permanence par un secteur en
République Dominicaine, nous savons que cette décision vise
particulièrement les descendants des immigrants haïtiens, estimés à plus
de 210,000 personnes.
M. L’Ambassadeur, cette mesure porte un coup dur aux efforts, consentis, tant en Haïti
qu’en République Dominicaine, au cours de ces trente dernières années,
pour améliorer les relations entre les deux pays qui se partagent une
même île.
Si le gouvernement dominicain met cette décision à exécution, il
participera à la violation des droits fondamentaux de dizaines de
milliers de personnes de plusieurs générations qui sont nées en
République Dominicaine, y ont vécu, y ont travaillé et ont contribué à
l’avancement de ce pays.
Cette décision va exposer des citoyens et citoyennes dominicains/nes à
toutes sortes d’abus et à des tracasseries administratives permanentes.
Elle risque aussi de devenir une malheureuse jurisprudence
internationale, qui pourrait provoquer des conséquences néfastes sur des
descendants d’immigrants dominicains dans d’autres régions du monde.
En bref, votre pays est sur une pente dangereuse qui fragilisera,
non seulement le respect du droit de ses propres citoyennes /citoyens,
mais aussi les relations haïtiano-dominicaines par la création de plus
de méfiance entre le peuple haïtien et le peuple dominicain.
M. L’Ambassadeur, Nous avons noté depuis un certain temps qu’un courant en République
dominicaine déploie ouvertement un discours raciste, anti-haïtien, en
promouvant des actions punitives contre la population des immigrants
haïtiens et de leurs descendants et en organisant des manifestations
publiques xénophobes tolérées par votre gouvernement.
A notre avis, cette décision de la Cour Constitutionnelle constitue
une sorte de chèque en blanc, donné à ce courant pour légitimer de
nombreux abus et injustices.
C’est une décision raciste,
discriminatoire, qui viole de nombreux principes de droits humains,
auxquels la République Dominicaine a adhéré, tels que la Déclaration
Universelle des Droits Humains en son article 15 ou le Pacte
International sur les Droits Civils et Politiques en son article 24.
La demande d’épuration, faite par la Cour à la Junte Centrale
Electorale, pour décanter la population dominicaine en différentes
catégories de citoyens, est un précédent dangereux qui risque de
provoquer des dérapages.
Considérant l’histoire des relations entre Haïti et la République
Dominicaine, une histoire marquée par des moments de solidarité, mais
aussi par le massacre de 1937, nous demandons, M. l’Ambassadeur, à
votre gouvernement de ne pas emprunter cette voie dans laquelle ce
courant anti-Haiti veut le conduire.
C’est le moment plutôt pour les autorités dominicaines de revoir les
relations et l’histoire des deux pays, pour mettre en valeur et
promouvoir les actes historiques porteurs de vie et de solidarité et non
des actions qui prônent la haine, la division et qui peuvent déboucher
sur un génocide.
Nous profitons de cette opportunité pour féliciter tous les
Dominicains et Dominicaines qui ont dénoncé cette décision de la Cour
Constitutionnelle et qui travaillent pour l’établissement de relations
harmonieuses, justes et solidaires entre les deux peuples.
Veuillez recevoir, Monsieur l’Ambassadeur, nos respectueuses salutations.
Les organisations signataires :
- Groupe d’Appui aux Rapatriés et aux Réfugiés (Garr)
- Commission Episcopale Nationale (catholique romaine) Justice et Paix
- Plateforme Haïtienne des Organismes de Droits Humains (Pohdh)
- Défense des Opprimés (Dop)
- Mouvement des Femmes Haïtienne pour l’Education et le Développement (Moufhed)
- Bureau à Port-au-Prince du Service Jésuite aux Réfugiés et aux Migrants
- Sèvis Ekimenik pou Devlopman ak Edikasyon Popilè (Sedep)
- Réseau National de Défense des Droits Humains (Rnddh)
- Observatoire Haïtien de la Justice, ci-devant HSI (Ohj)
- Plateforme Haïtienne pour un Développement Alternatif (Papda)
- Fòs Refleksyon ak Aksyon sou Koze Kay (Frakka)
Source : AlterPresse (Haïti)