samedi 21 septembre 2013

Cuba, le pianiste Robertico Carcassés censuré !

Politique et musique ne font pas bon ménage à Cuba

Par Elaine Díaz - Traduction de Abdoulaye Bah

Le 12 Septembre 2013, la campagne pour la libération de “Los Cinco” a culminé avec un concert à la Tribune anti-impérialiste, un lieu situé près de la Section des intérêts américains à La Havane. Pendant plus de trois heures, y ont pris part des artistes appartenant à divers genres musicaux. Vers la fin, pendant la prestation du groupe Interactivo, son fondateur, le  pianiste Robertico Carcassés, a improvisé un choeur critiquant le gouvernement cubain.

“Nous voulons que nos frères reviennent et nous voulons bien plus”, a déclaré Carcassés, se référant aux quatre prisonniers politiques cubains emprisonnés aux États-Unis. 

Le public reprenant : “Je veux, n'oubliez pas que je veux toujours.” 

Carcassés reprend de nouveau: “Je veux qu'ils libèrent les Cinq Héros et Maria”, faisant allusion à la marijuana, une drogue dont la vente et la consommation sont illégales à Cuba aujourd'hui.


Plus tard, il a ajouté: “[Je veux] le libre accès à l'information pour me faire ma propre opinion et que le président soit élu au suffrage direct et pas autrement”. 

 L'improvisation a pris fin avec la phrase: “Ni militants, ni dissidents, les mêmes droits pour tous les Cubains et que le blocus [des États-Unis envers Cuba] et l'auto-blocus prennent fin “.


Bien que le concert n'ait pas été interrompu, et ait été diffusé entièrement en direct sur ​​la télévision publique cubaine, Interactivo a posté ce qui suit sur ​​sa page Facebook :

(…) Roberto a dit des choses que tout le monde connaît sûrement déjà, et nous avons tous été convoqués à une réunion à l'Institut cubain de la musique où on nous a informés que Roberto était maintenant “séparé du secteur” pour une durée indéterminée. Ce qui veut dire qu'il ne peut pas se produire ni en solo ni avec Interactivo dans un établissement public (d'état).

Lorsque le message a été supprimé, quelques minutes plus tard, il avait déjà été partagé 40 fois avec 36 commentaires. 

Les concerts du groupe dans deux boîtes de nuit à La Havane, samedi dernier et mercredi prochain, ont été annulés, un fait que l'auteur a confirmé par téléphone. Une travailleuse du Café Miramar dit qu’ “elle ne connaissait pas les raisons” qui ont motivé l'annulation.


Les réactions sur les blogs et les réseaux sociaux ne se sont pas fait attendre. Carcassés a été loué et critiqué par un public hétérogène. 

Selon la journaliste cubaine Marta María Rodríguez, qui a interviewé Carcassés [espagnol] en 2003 pour le quotidien cubain Juventud Rebelde :

Je ne peux pas ni ne souhaite arrêter d'exprimer ma solidarité avec Robertico (Roberto Carcassés) et avec Interactivo. Il est inacceptable de ne pas se prononcer en faveur de la liberté d'opinion, d'expression, en toutes circonstances. Si nous permettons que nos artistes soient censurés, qu'est ce qui va nous arriver ? 
Un autre grand artiste, James Mullen, a dit que “la liberté, après tout, n'est rien d'autre que la capacité de vivre avec les conséquences de nos actions”. Les conséquences pour Robertico seront les siennes. Mais, celles qui dérivent de l'acceptation de sa censure sans nous faire entendre, au-delà de nos idéologies, sont toutes nôtres.

Le mouvement Cuban Americans for Engagement (Américains d'origine cubaine pour l'engagement) faisant allusion à de récentes déclarations du pianiste sur le blocus des États-Unis sur Cuba, a écrit :

Que dit Robertico Carcasses de l'embargo étatsunien contre Cuba ? “Ce sont les relations politiques avec les Etats-Unis qui déterminent le succès de notre musique à l'étranger, puisqu'ils dominent la majeure partie du marché mondial et pratiquent depuis plus d'un demi-siècle un blocus ridicule contre mon pays.
CAFE veut que tous ceux qui apprécient Carcassés à cause de ses critiques contre le gouvernement, fondées ou non, appropriées ou non, débattent de ces expressions avec la même vigueur et prennent des dispositions pour se débarrasser de ce qu'il appelle: “un blocus ridicule contre mon pays depuis plus d'un demi-siècle”.
Sur le blog Capítulo Cubano [espagnol], Vizenso Basile avance les considérations suivantes :

Il ne s'agit pas de juger les demandes de Robertico. Carcassés a exercé son droit fondamental à exprimer son opinion et il n'y a pas le moindre doute à ce sujet (…) Il n'a rien dit de subversif, de contre-révolutionnaire, ni d'extraordinaire. Au contraire, il a abordé des questions qui peut-être – aujourd'hui – intéressent le plus la population de l'île. 
Un changement dans les médias, l'ouverture complète à un Internet qui ne coûte pas plus cher qu'une pépite d'or, un système présidentiel au lieu de parlementaire (même si en ce qui concerne ce point il peut y avoir des doutes et des opinions divergentes), une réconciliation nationale qui élimine les divisions anachroniques dues aux contingences historiques du siècle précédent; en un mot contre l'auto-blocage, ce blocus interne, parfois absurde, qui synthétise, contient et génère de nombreuses contradictions, reconnues à plusieurs reprises par les dirigeants mêmes de Cuba.

Plus tard, Basile a remarqué :
Ce qui s'est passé, c'est que Carcassés a fait des demandes qui sont sacrées et presque indispensables dans le Cuba d'aujourd'hui, mais il l'a fait au mauvais endroit au mauvais moment. C'est ce qui s'est passé le 12 Septembre. Le problème est la conséquence de ses actes. Roberto est devenu le héros médiatique du moment, celui qui défie le régime.
En d'autres termes, Roberto – consciemment ou inconsciemment – a volé de l'espace à la cause de Los Cinco et a relégué le principal objectif d'une mobilisation populaire géante et spontanée – il faut le répéter – au second plan. Il ne s'agit pas de le juger, de le critiquer ou de le condamner. Il s'agit simplement d'analyser les conséquences de son acte pour les médias qui, bien que peut-être sincère et nécessaire, ont donné un prétexte à la presse internationale pour manipuler et taire les vérités sur Cuba. Au-delà de cela, rien de plus et rien de moins. On ne devrait ni applaudir, ni exercer des représailles.

Un article publié dans Progreso Semanal [espagnol] considère que “l'issue de cette saga reflètera les limites de la tolérance officielle dans un contexte où le Président Raúl Castro a appelé à un débat – au bon endroit au bon moment et de la bonne manière – et au dégel de certaines questions”.

Source : Global Voices