archéologique
du Pérou
saccagé par la spéculation
Pública - Agence de journalisme - Traduction de Abdoulaye Bah
Il était quatre heures de l'après-midi le samedi 29 Juin, quand Estequilla Rosales, une Péruvienne de 51 ans, a entendu un bruit venant de l'autre côté du site archéologique qu'elle connaissait très bien. En tant que vice-présidente de l'association Kapaq Sumaq Ayllu depuis 14 ans, elle a été chargée d'aider à protéger un patrimoine culturel national du Pérou, le complexe archéologique de El Paraíso de 45 hectares, un des plus grands et des plus anciens au Pérou. C'est à cet endroit qu'elle passe ses journées. Et c'est à proximité, sur la colline de Santa Josefina, qu'elle a construit sa maison.
Le bruit provenait de quelque chose à laquelle Estequilla ne serait jamais attendue, pas même dans ses cauchemars. Un groupe d'hommes faisant usage d'équipement lourd détruisait l'un des onze monticules archéologiques inscrits sur le site.
Sous un petit monticule, il y avait une pyramide pré-inca, de quatre à six mètres de haut et 2,5 kilomètres carrés, qui date de l'antiquité.
“J'étais désespérée, ne sachant pas quoi faire, parce qu'il n'y a pas de couverture téléphonique ici. Alors, je suis montée sur la colline et j'ai dit au gardien d'appeler la police”, se souvient Estequilla :
Maintenant, je me sens plus calme. Mais quand c'est arrivé, j'ai senti vraiment une douleur profonde, comme s'il s'agissait d'une personne, quelqu'un que j'avais beaucoup aimé. Parce que cela fait partie de mon pays, ils avaient assassiné mon identité, ma culture. Et c'est, pourrait-on dire, une trahison de la patrie. Je suis profondément désolée qu'un péruvien puisse être assez ignorant pour détruire ainsi.
Le Complexe archéologique de El Paraiso, à une heure de Lima, dans le comté de San Martin de Porres, est situé dans une zone où il y a une spéculation immobilière croissante.
Découvert dans les années 1950, le site est resté inactif jusqu'en décembre 2012, quand le ministère de la Culture a commencé à réaliser le projet. Au fil des années, la zone entourant le site a été progressivement reprise comme propriété privée. Aujourd'hui, la ligne de démarcation du site archéologique est exactement là où les parcelles privées et les cultures commencent.
Il y avait 12 pyramides inscrites sur le site. La principale a été presque entièrement restaurée par l'archéologue suisse Fredéric Engel entre 1965 et 1966.
En janvier 2013, le service responsable des fouilles au ministère péruvien de la Culture a découvert des preuves suggérant que El Paraiso est aussi ancien que les pyramides d'Egypte ou la civilisation mésopotamienne.
Datant d'il y a de 4.500 à 4.800 ans, il serait l'un des berceaux de la civilisation du continent latino-américain. C'est la preuve que, bien avant les Espagnols, l'Église et le Christ, Lima était déjà une grande capitale.
Marco Guillén, l'archéologue en chef du projet élaboré par le ministère de la Culture à El Paraíso, explique :
Elle est l'une des rares villes au monde qui présente une continuité culturelle au fil du temps. Et c'est un grand avantage. (…) Lima, la capitale, possède la plus ancienne huaca [sic] (monument antique et sacré) au Pérou. C'est la façon dont la civilisation apparaît ici. La destruction de la pyramide équivaut à la déchirure d'une page d'un livre de l'histoire du Pérou. Il n'y a pas moyen de savoir ce qui s'est passé.
Au milieu de la route, il y avait une pyramide
Quand on quitte Lima pour se rendre à El Paraíso, on prend un minibus – une sorte de camionnette dont le nombre dépasse celui des autres moyens de transport public à Lima – jusqu'à la ville voisine de Pro. C'est un voyage de 40 minutes à travers la circulation chaotique de la capitale péruvienne.
De là, il y a deux minibus pour atteindre une voiture, près de la gare, conduite par l'un des membres de l'Association Kapaq Sumaq Ayllu. Le paysage est nu, parsemé de modestes maisons. Quand on arrive à la voie étroite qui mène au complexe, on voit des ordures abandonnées à l'air libre, des vautours et des enfants qui cherchent des jouets au milieu de la saleté.
J'observe un mur qui longe le bord de la route sur tout le chemin. “C'est une muraille”, explique Miguel Castillo, responsable du projet d'El Paraíso, assis à l'arrière de la voiture. Plus tard, je saurai que la muraille a 30 kilomètres de long et entoure les collines de la région. Au fil du temps, il a fait place tout le long du chemin à des bâtiments et à des terrains privés.
“Quand nous sommes arrivés, il y avait des panneaux placés sur chaque colline. Ils pensent que ce domaine leur appartient”, dit l'un des archéologues du projet. La pancarte dit “propriété privée reconnue. Loi du 8 août 1984″, suivie de la description de la zone et son numéro d'immatriculation.
Le gouvernement est inefficace :
Il a les moyens de définir et de protéger les huacas [sic], mais il ne fait rien. Il en est de même au Brésil, en Argentine … Ce que nous avons est dû à l'initiative personnelle de quelques personnes, des archéologues. Mais ce n'est pas suffisant.
Les membres de l'Association Kapag, ainsi que leurs agents de sécurité, ont été victimes d'une agression une semaine auparavant. Pour des raisons de sécurité, un vigile a accompagné notre groupe – avec toute l'équipe d'archéologues – marchant dans la zone où la pyramide avait été détruite.
Les ouvriers autochtones qui étaient embauchés auparavant pour l'excavation, sont maintenant assis sur le sommet des collines, et surveillent. Après la destruction de la pyramide, la sécurité a été redoublée.
Il y a maintenant quatre policiers qui protègent le lieu, jour et nuit, ainsi que deux gardiens d'une entreprise privée embauchés par le ministère de la Culture, et ils font tous un gros effort pour superviser l'ensemble des 45 hectares de terrain.
Source : Global Voices